5 mars 2008
Une amélanche sur le bout de la langue
Posté par Paul dans la catégorie : le verre et la casserole; voyages sur la terre des arbres .
Quand ils visitent mon jardin, gourmets et gourmands de tous âges ne se privent pas de butiner les groseilles et les framboises, les mûres et les cassis, parfois même les baies de sureau. Tous ces petits fruits sont bien connus des amateurs. Très peu par contre connaissent l’amélanche : c’est une petite baie rouge sombre qui apparaît au printemps sur un arbuste, portant, oh surprise, le nom un peu bizarre d’amélanchier et qui appartient à la famille des rosacées. Il faut dire que ce petit arbre, même s’il y pousse très bien, n’est pas très répandu dans notre pays. Du coup, sa production fruitière n’est pas ou peu exploitée. L’amélanchier est courant au Canada, en particulier au Québec. On y dénombre pas moins d’une vingtaine d’espèces différentes. Les amélanches font partie des nombreuses baies traditionnellement exploitées, comme la framboise sauvage, le bleuet (grosse myrtille) ou la canneberge.
Les populations indiennes autochtones utilisaient ces fruits pour la préparation du pemmican (viande séchée traditionnelle). La viande de bison (ou autre) séchée était broyée en poudre grossière puis mélangée à part égale avec de la graisse fondue. Les Indiens y ajoutaient ensuite des noix et des baies comme les amélanches. Les Sioux l’avaient baptisé « saskatoon ». La préparation était ensuite refroidie puis stockée dans des sacs en peau de bison. Le pemmican, une fois connu, a été largement utilisé par les colons européens, en particulier par les trappeurs impliqués dans la traite des fourrures. Il a fait aussi partie des approvisionnements de la marine royale lors des expéditions dans l’Arctique par exemple. Je propose cette adresse « le bâton de parole » à ceux qui seraient intéressés par d’autres recettes traditionnelles indiennes…
Cet usage n’est plus vraiment d’actualité, mais on peut se servir des petites « poires » de l’amélanchier pour confectionner de délicieux sorbets, des confitures, des muffins ou des tartes. Ce fruit ne présente qu’un seul inconvénient : il possède plusieurs graines assez grosses qu’il est nécessaire d’enlever avant d’effectuer une quelconque préparation. Naturellement assez doux, il ne demande pas une grosse quantité de sucre lors de la cuisson (rien à voir avec la groseille !). Son goût s’apparenterait plutôt à celui de la mûre. Attention à la concurrence des oiseaux : elle est redoutable ! Lorsque les fruits sont mûrs à point, c’est-à-dire lorsqu’ils sont passés du rouge moyen au rouge sombre, presque noir, il ne faut pas tarder à les cueillir. Les merles profiteront de la moindre de vos hésitations.
L’amélanchier est aussi un arbrisseau très décoratif. Au printemps, ses bourgeons gonflent très vite. Comme les jeunes pousses, ils sont de couleur gris argenté avec un fin liseré rouge et recouverts d’un fin duvet. A l’automne, les feuilles des amélanchiers prennent une magnifique couleur rouge orangé. Au Québec, ils participent au festival des colorations de l’été indien, au milieu des érables rouges et des bouleaux jaunes. Selon les espèces, l’amélanchier peut mesurer de 2 m à 10 m de haut. Il peut être taillé à la façon d’un arbre, sur une tige unique, mais il est plus courant de le laisser sous forme buissonnante. Dans ce cas il ne nécessite ni taille, ni entretien particulier. C’est une plante facile qui s’adapte à tous les terrains, avec une préférence quand même pour les sols frais, profonds, et les emplacements plutôt ensoleillés.
Nous avons parlé de littérature québecoise, récemment, à l’occasion d’une chronique sur Jacques Poulin. C’est dans ce pays qu’il faut se rendre si l’on veut trouver une évocation littéraire de l’amélanchier. L’arbre a donné son titre à un roman de Jacques Ferron, ayant pour thème un récit d’enfance. Pour vous mettre dans l’ambiance, je vous propose ce court extrait :
« Tous ces arbres, arbustes, arbrisseaux avaient un langage et parlaient à qui voulait les entendre. Le cornouiller menaçait de ses harts rouges les mauvais enfants. Le bouleau, ne voyant que ses branches et leurs feuilles, brunes, vertes, disait qu’il aurait préféré être blanc. Dans les coins sombres, l’aulne dénonçait l’humidité d’une voix sourde et jaune. De fait, si l’on n’y prenait pas garde, on se mouillait les pieds. Le plus extraordinaire de tous était l’amélanchier. […] Durant un petite semaine, on ne voyait ni n’entendait que l’amélanchier, puis il s’éteignait dans la verdure, plus un son, parti l’arbre solo, phare devenu inutile. Le bois se mettait à bruire de mille voix en sourdine, puis le loriot chantait et mon père disait à propos de l’amélanchier qu’il s’était retiré : «Laissons-lui la paix : il prépare sa rentrée d’automne.» L’été se passait et que trouvions-nous? Quelques baies noires rabougries, laissées par les oiseaux, et un amélanchier content d’avoir écoulé son stock de minuscules poires pourpres avant notre retour, premier à avoir ouvert la saison, premier à la fermer, qui disait :
—Tout est vendu, revenez l’année prochaine, mais de préférence avec des ailes…. »
(« L’amélanchier » de Jacques Ferron aux éditions Typo à Montréal)
One Comment so far...
fred Says:
5 mars 2008 at 15:00.
« L’amélanchier est courant au Canada »
Y’a pas qu’au Canada qu’une bonne vieille Turista fait courir ô grand Zihou !