13 janvier 2010
De fil de neige en aiguille de glace…
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .
Qu’il est doux de s’agiter calmement…
Des yeux étranges me surveillent depuis que j’ai commencé à écrire cette chronique. Je suis donc obligé d’être quelque peu attentif à mes propos. On ne sait jamais ce qui peut se passer…
Une dizaine de jours dans la neige (une bonne trentaine de centimètres), c’est un phénomène suffisamment rare dans notre région vallonnée mais point trop élevée, pour que l’on prenne un peu le temps de s’appesantir sur cette étrangeté météorologique. Cela vaut bien une bonne balade chaque après-midi, histoire de surveiller un peu ce qui se passe dans le voisinage et surtout dans la nature. La quantité impressionnante de traces que l’on peut observer dans les champs, sur les talus ou au bord des chemins, témoigne d’une vie animale intense, qui échappe d’ordinaire à notre perception. Hier après-midi, nous avons fait un long circuit sur le plateau en dessus de chez nous. Malgré la bise malveillante qui nous cinglait le visage par moments, c’était fort agréable, d’autant qu’une petite séance lecture écriture nous attendait au retour, ainsi qu’une paire de pantoufles bien chaudes. Une fois dans la maison, nous avons cependant estimé, à la suite d’un auto-diagnostic très complet, qu’il n’était pas nécessaire de recourir au vin chaud, pour sortir d’une quelconque hypothermie. Depuis qu’on a mis le nez dehors par moins 20° l’hiver dernier au Québec, on frime terriblement, et on n’appelle plus le Saint-Bernard et son tonnelet lorsque le thermomètre flirte seulement avec les moins 3 ou les moins 4. Bien que je ne l’apprécie guère, je dois reconnaître que la neige présente quelques avantages. Elle gomme certains défauts du paysage parce qu’elle l’uniformise. Les maisons neuves des lotissements par exemple s’intègrent mieux au village ancien. L’étalage d’objets en plastique de couleurs criardes qui orne d’habitude chacune de ces demeures se transforme en une collection de petits monticules discrets, genre taupinières. L’activité tourne au ralenti et la nature reprend quelques uns de ses droits : le paysage a un petit côté sauvage. Faute de moyens, la municipalité ne déneige pas les petites routes et l’on aurait pu faire en ski le circuit que nous avons bouclé. Les automobilistes craignent pour la santé de leurs précieux véhicules et l’on peut marcher pendant au moins dix minutes sans être obligés de se pousser dans le talus pour laisser passer une longue suite de carrosses fringants et pétaradants.
Me voilà donc au chaud, la tête remplie d’images scintillantes, l’esprit serein et une petite envie d’écrire qui pointe son nez. Le problème c’est que je n’ai rien de bien structuré dans la tête. Je sens que je vais encore papoter… Je regrette un peu pour le vin chaud, mais bon… Le travail que j’ai effectué pour rédiger la précédente chronique sur l’hiver 1709 m’a pas mal bousculé. La dernière ligne écrite, j’ai eu envie de continuer à chercher d’autres documents, d’autres témoignages… Ce n’est pas la première fois que l’une de mes démarches aboutit à un résultat pareil. Du coup, je me retrouve avec un dossier deux fois plus important que celui que j’avais réuni au départ et le sentiment un peu frustrant que je ne vais pas en faire grand chose. Il faudrait rédiger une chronique à rallonge en quelque sorte. N’empêche je me suis quand même plongé dans une étude un peu plus poussée des conséquences de ces hivers dramatiques au XVIIIème, ici, dans la région. Je me suis dit que la prochaine chronique attendrait bien quelques heures. : je suis reparti à lire les copies de registres d’état-civil que l’on peut maintenant consulter sur internet grâce au travail remarquable des associations de généalogistes. Je me suis intéressé à nouveau à cette pauvre Eymare Hyver (cf chronique précédente), sur laquelle je ne sais malheureusement que fort peu de choses, ainsi qu’à quelques autres ancêtres dont la vie s’est déroulée pendant cette période tragique de notre histoire. Les météorologues qualifient, avec beaucoup d’élégance, ces quelques dizaines d’années à cheval sur le XVIIème et le XVIIIème de « petite aire glaciaire ». Ces braves paysans ont connu les hivers 1693 et 1694 comme mise en train, survécu parfois à 1709, pour trépasser finalement en 1716. Je dis ça sur un ton léger, mais la réalité, une fois qu’on a le nez dans les registres est vraiment terrifiante. On peut taper tranquillement sur le clavier de son ordinateur une phrase comme « la température dans certaines chaumières descendait jusqu’à moins 10° ». Quand on s’interroge sur le sens profond de ce que l’on vient d’écrire, on s’aperçoit que l’on ne réalise pas vraiment. Il est quasiment impossible de réaliser le décalage. Pourtant, la vérité est là, toute crue, dans les colonnes de chiffres : la même année que cette fameuse Eymare, dans son village (autour de 200 habitants sans doute à l’époque), il y a une trentaine de morts. Rien que le mois de mars, le pire : un décès tous les trois jours. Le curé n’en finissait pas de dire la messe et les témoins (indispensables pour attester d’un décès) de témoigner : une demi-douzaine d’enfants… 3 jours, 3 mois, 6 mois, 1 an au moment de la mort… quelques personnes dans la force de l’âge, quelques « vieux » de cinquante-soixante ans qui se sont accrochés jusqu’aux premiers jours d’avril et qui n’ont pas survécu au chant du coucou, car ils n’avaient plus un sou dans leur poche. Vous connaissez sans doute ce sympathique dicton du coucou, du sou et de la fortune. Son sens caché est plutôt tragique. Celui qui a un « sou » dans la poche, c’est celui qui n’a pas épuisé ses réserves à la fin de l’hiver et qui a donc de fortes chances de survivre. Le corps résiste longtemps aux froids extrêmes, aux privations, à la faim… puis un jour il abandonne la lutte, d’un coup, sans crier gare. Le voisin, venu faire sa tournée, retrouve un corps sans vie allongé sur un grabat à même le sol… Ce n’est pas au cœur de l’hiver que l’on meurt mais à l’aube du jour où l’espérance renait.
Brr… pas gai tout ça. J’ai eu l’occasion de travailler sur des sujets moins noirs. A titre de pause, je vais me remettre à ma chronique de demain… Une nouvelle chute de neige est annoncée pour la nuit. Qu’importe… Le fauteuil est moëlleux ; la tasse de thé bien chaude, toute fumante ; il y a une provision d’oranges dans la corbeille. Le principal souci de la journée a été en effet de faire le plein en légumes et en fruits autres que surgelés. Le problème a été réglé grâce à un raid dans la matinée sur les stocks du petit supermarché voisin. Deux journées sans livraison, et les prix ont grimpé en flèche. On a l’impression d’acheter les salades vertes au marché noir ! A part ces triviales questions alimentaires, il suffit de sortir de temps en temps pour alimenter une chaudière à bois particulièrement affamée ces derniers jours… Je laisse tomber ma chronique. Un petit coup d’œil à l’actualité des blogs. Rien de vraiment comparable avec 1709, mais guère réjouissant quand même. Il paraît que l’on va encore débattre cette année sur les retraites, conformément aux vœux de notre bon président. Comme « mise en bouche », la presse a publié quelques résultats d’enquêtes bien orientés. On a sondé les Français, mes chers concitoyens. Je ne sais pas trop où, ni avec quoi vu la singularité des réponses. En fait j’ai une petite idée, mais compte tenu de sa vulgarité, je la garderai à l’abri du froid en mon for intérieur. Comme le fait remarquer Sébastien Fontenelle, dans son dernier article sur « Vive le feu », ce sondage est certainement d’une haute valeur scientifique. On a demandé à un millier de personnes, dont la moitié d’actifs environ (ce qui veut dire que l’autre moitié des sondés sont sans doute des retraités), à quel âge elles envisageaient leur départ à la retraite et si elles étaient prêtes à prolonger la durée de leur temps de cotisation… Surprise, les sondés ont anticipé les désirs du gouvernement (et de l’auteur du sondage) et sont prêts, en majorité, à bosser jusqu’à soixante-deux ans au moins. Les 500 retraités sont pour (on ne voit pas pourquoi ils seraient contre !), ainsi qu’une cinquantaine de malades mentaux (la perversité à mes yeux est une maladie) et de politiciens (vous noterez que je distingue les deux ensembles : je ne fais pas d’assimilation hâtive). Et hop, cinq cent cinquante pour, la majorité. Notez que, si j’avais été député européen ou animateur à la télé, j’aurais peut-être continué à mi-temps jusqu’à 65 ou 70 ans. Comme d’habitude, on ne m’a pas sondé. Dommage, comme je suis sympa et respectueux des ceusses qui travaillent et cotisent à leur tour pour moi, j’aurais proposé la retraite à 50 ans, car je pense, personnellement, avoir arrêté au moins cinq ans trop tard…
Ce n’est pas très grave, si je diverge par rapport à la ligne éditoriale que je m’étais fixée, puisque celle-ci ressemblait aux traces des voitures dans la neige : magnifiques courbes sinusoïdales, ponctuées d’arrêts intempestifs contre les talus. Je continue donc à slalomer entre histoire et actualité. Pour en finir avec cette tragi-comédie des retraites, sujet qui me concerne directement, je dois bien le reconnaître, ce que je remarque de plus inquiétant c’est le « glissement » du langage. Du temps où je m’agitais encore avec frénésie, on parlait de la retraite comme d’un DROIT légitime, alors que maintenant on n’en parle plus que sous la forme d’un COÛT (exorbitant va de soi). Je vous dirai un de ces jours le fond de ma pensée (quoique celle-ci n’ait ni fondement ni fondations) à ce sujet… Il a fallu des décennies, voire même des siècles, pour que les manants aient enfin des droits (autre que celui de fermer leur g… et de se cailler l’hiver). On est en train, petit à petit, de balayer cette notion de droit (du moins pour les ceusses en bas de l’échelle) du langage courant, en attendant de la rayer carrément des cadres juridiques. Les conflits sociaux, ces dernières années, n’ont été que des combats d’arrière-garde, cache misère d’une reculade organisée avec la complicité de certains bonzes syndicaux, un abandon programmé des acquis les plus précieux. Méfions nous : de la retraite à la débandade et à la débâcle, il n’y a qu’un pas. Demandez aux maréchaux de Napoléon, si vous en connaissez un, ou bien relisez les ouvrages des grands stratèges : le repli sur des lignes de défense préparées à l’avance n’est en général qu’un doux euphémisme. On comprend donc que les 59 999 000 Français qui n’ont pas été sondés par le JDD, soient légèrement inquiets. Entre deux discours sur le réchauffement climatique, nos vaillants écologistes feraient bien de s’intéresser quelque peu aux questions sociales, histoire que l’on ne croit pas que le vert est une couleur réservée aux élites bien pensantes. A mes yeux, l’écologie n’a de valeur que si elle est accompagnée de l’adjectif « social ».
Je ne vous parlerai pas plus de vert, ce jour, car ce n’est vraiment pas la couleur dominante dans la campagne. Petit coup d’œil au dehors… Même les résineux paraissent noirs par contraste avec la luminosité du sol. A cet instant précis, je suis conscient du fait que nous vivons des moments particulièrement heureux et que nos journées n’ont guère de points communs avec celles de nos lointains ancêtres. En disant cela, bien sûr, j’exclus de mon propos ceux dont les aînés étaient de la haute noblesse ou de la grande bourgeoisie. Il y en a tellement peu que discourir à leur sujet ne m’intéresse guère. Je ne parle que des gueux, si chers à Richepin, eux qui n’avaient que leurs mains et leur cœur pour toute fortune. Le bonheur est l’une des choses les plus fragiles que l’on puisse tenir dans ses mains. Il ressemble étrangement à une plume d’oiseau… Il y a justement un rouge-gorge qui s’empiffre sur la mangeoire. Il est trop nerveux pour que j’ai le temps de le photographier. Rien de grave, l’image est gravée dans ma mémoire. Avant que le manteau blanc ne fonde, n’oubliez pas de faire un joli bonhomme et de lui mettre une carotte au milieu de la figure. Il y a des traditions qu’il ne faut pas laisser filer avec le vent du Nord !
Je suis moins inquiet : les grands yeux noirs n’ont pas changé d’expression. Mes divagations laissent de marbre cette créature issue d’un inquiétant au-delà… A moins qu’il ne s’agisse du masque qu’une sorcière a laissé tomber en se rendant au sabbat !
Illustrations de l’article : toutes les photos sont « maison » bien entendu. Observez bien les empreintes du cliché n°3. Elles ne sont pas courantes, puisqu’il y a non seulement les pattes mais aussi les plumes des ailes qui ont marqué au moment de l’envol de l’oiseau. C’est la légèreté exceptionnelle de la neige qui a permis de conserver ce genre de traces.
Album : la page album photo du blog a été mise à jour (enfin !) avec un document de premier choix, montrant le travail d’information de qualité réalisé par la presse quotidienne dans notre région.
10 Comments so far...
Lavande Says:
13 janvier 2010 at 17:45.
Je donne ma langue au chat pour les grands yeux noirs. On pourra savoir ce que c’est quand les lecteurs auront avancé quelques hypothèses?
En fait d’yeux noirs moi je connais ceux-là:
Очи черные, очи страстные !
Очи жгучие и прекрасные !
Как люблю я вас! Как боюсь я вас !
Знать, увидел вас я в недобрый час !
Ох, недаром вы глубины темней !
Вижу траур в вас по душе моей,
Вижу пламя в вас я победное:
Сожжено на нем сердце бедное.
Но не грустен я, не печален я,
Утешительна мне судьба моя:
Все, что лучшего в жизни бог дал нам,
В жертву отдал я огневым глазам !
bon ça fait un peu prétentieux donc je vais donner la traduction:
Les yeux noirs, les yeux passionnés !
Les yeux ardents et magnifiques !
Comme je vous aime, comme je vous crains !
J’aperçois votre regard en ce moment
Oh, non sans raison vous êtes plus sombres que les profondeurs
Voir le deuil en vous pour mon esprit obscur
Voir une flamme s’élever en vous
Mon cœur brûle en elle/lui
Mais non je ne suis pas triste, non je ne suis pas morose
Je me réjouis devant ma destinée
Dieu nous a tout donné, le meilleur de la vie
Et dans la mort je lui donnerai mes yeux de feu.
zoë Says:
13 janvier 2010 at 21:46.
Cher Paul, nous avons été fascinés par cette visiteuse particulière, la neige. Je vous invite sous l’arbre, j’y ai associé des photos de neige et des musiques. parce quela neige est une invitation à l’intériorité comme vous le dites, une tasse de thé chaud, un bon morceau de musique et au loin ce paysage si harmonieusement réconcilié.
la Mère Castor Says:
14 janvier 2010 at 11:43.
Ici, il tombe des trombes d’eau. Moins joli que la neige, la terrasse ressemble à un aquarium et nous, pauvres poissons, moisissons à l’intérieur.
Paul Says:
14 janvier 2010 at 12:51.
C’est la fonte des neiges ici. De l’eau on va pas en manquer. Consolation, cette eau de fonte des neiges est très bonne pour les nappes phréatiques car elle s’enfonce doucement et n’est pas « capturée » par la végétation en sommeil. Mais c’est vrai que ces longues journées de grisaille, passée l’excitation de la neige, n’ont rien de folichon !
Lavande Says:
16 janvier 2010 at 11:32.
Très intéressant billet sur Haïti dans la république des LiBres:
http://lardlibres.canalblog.com/
photos Google de Haïti et de la république dominicaine qui laissent sans voix!
Lavande Says:
16 janvier 2010 at 12:06.
Il est débilou ton logiciel qui fait systématiquement awaiter modération aux com qui ont un lien!
Pour l’énerver j’en mets encore un , na!!!
cathy Says:
28 janvier 2010 at 19:31.
Je suis sûre que tes yeux noirs et perçants sont de connivence avec les bidons sans frontières…
Si tu ne connais pas, ça devrait te plaire !
(et un lien de plus 😉
http://www.bidonssansfrontieres.com
Paul Says:
28 janvier 2010 at 20:03.
Alors là Cathy, chapeau ! J’adore ! Tout particulièrement BSF dans les dunes, la chorale ou les cafetières ! J’espère que les lectrices et les lecteurs un peu curieux de ce blog auront l’idée de « tester » ton adresse et d’aller rendre visite à ce site absolument excellent.
Mes yeux noirs ont sans doute un lien de parenté avec les Bidons. Tout à fait ! Mon seul regret c’est que maintenant que la neige a fondu, ils n’ont plus l’air que de gros macaronis un peu nouilles !
Encore merci !
cathy Says:
29 janvier 2010 at 20:10.
Ravie que ça te plaise ! Moi aussi j’aime beaucoup. D’ailleurs, je fais partie de leur fan-club 😉
C’est marrant, tes yeux noirs, j’aurais dit que c’était des buses… Me trompe-je ?
Paul Says:
29 janvier 2010 at 20:31.
@ Cathy – Bon maintenant, je peux lâcher le morceau, ce sont bien d’infâmes gros tuyaux en béton. Au printemps ils seront enterrés et permettront de canaliser l’eau qui coule le long de ma petite route et donc… de l’élargir, à la grande joie des rois du volant qui trouvaient la piste trop étroite pour leurs exploits. Je conserverai au moins une image plaisante d’eux avant leur enterrement ! Moi, ils me font irrésistiblement penser à un masque de carnaval à Venise ou ailleurs, ces grands yeux noirs.