7 février 2010
Quelques pas sur le chemin…
Posté par Paul dans la catégorie : les histoires d'Oncle Paul .
Je me suis assis devant l’ordinateur. J’ai entamé ce que j’estime être ma plus mauvaise démarche d’écriture. J’ai regardé longuement la page blanche sur l’écran et mes doigts inactifs sur le clavier. Je me suis dis « là, mon p’tit gars, il est temps que tu te mettes au boulot ; ça serait bien que la chronique d’aujourd’hui change un peu des précédentes, que tu surprennes un peu tes lecteurs, que tu rédiges un truc dans le style de ce que tu avais écrit l’été dernier… et que tu n’as jamais publié ». Une idée m’est venue, accidentellement, car, en général, quand je me prends par la main, comme ça, je ne m’emmène nulle part. J’étais un peu surpris de voir des mots s’afficher à l’écran. D’habitude, ce style d’écriture sur commande, ça ne me mène à rien ou à pas grand chose. J’ai fait quelques pas sur le chemin, puis je me suis aperçu que c’était une voie sans issue. Le premier paragraphe renfermait une de ces phrases à rallonge dont j’ai le secret, une série de « que » à répétition évoquant le caquètement d’une poule s’acharnant sur un ver de terre. Un désastre au niveau du style, une misère au niveau des idées : le vide absolu remplacé par des sables mouvants. J’aurais mieux fait de reprendre l’un de ces débuts de chroniques bien cadrées que j’ai toujours en réserve dans mon placard à idées. Seulement voilà, je voulais autre chose… Je rêvais en fait d’écrire une sonate dont le principal instrument aurait été le pronom personnel de la première personne du singulier ; utiliser cet artefact si commun dans de nombreux blogs, dans lesquels les auteurs nous font part de leur état d’âme, des infortunes de leur quotidienneté ou de leurs désirs frustrés… Des clichés bien souvent, mais certains paysages mille fois revus ne perdent pas pour autant leur charme ; un ressenti tellement personnel qu’il semble ne présenter d’intérêt que pour celui qui l’a exprimé… Et pourtant, grâce au charme d’un vocabulaire bien choisi et d’un style gouleyant, ces chroniques intimistes trouvent facilement un public.
Rien de tout cela dans ce texte que j’avais commencé à écrire, racontant les malheurs d’un auteur égaré, indécis, pour ne pas dire embourbé, dont les idées, une fois pixellisées à l’écran, avaient autant d’originalité et d’élégance qu’un coucher de soleil sur le parking d’un hypermarché en banlieue urbaine. « Que, qui que… » c’était reparti dans le second paragraphe. Les mots s’empilaient laborieusement et la musique de leur assemblage était plutôt discordante. J’ai fini par prendre la seule décision que la triste réalité m’imposait. J’ai tourné le dos à mon blog et je suis allé lire, sans grande motivation, ce qu’écrivaient les autres…. ces millions d’écrivains à la fortune du pot essayant chaque jour d’épancher leur besoin de communiquer et construisant, avec un acharnement digne d’admiration, le miroir dans lequel ils espèrent piéger des milliers d’alouettes, à grand renfort de plics et de plocs sur leur clavier. Le petit jeu m’a lassé très vite, car loin d’avoir l’esprit ouvert, suffisamment désintéressé pour me nicher dans l’imaginaire d’autrui, j’étais parti en quête d’une recette d’écriture bien entendu inexistante. Il y a peut-être une ressemblance entre l’écriture et la cuisine, mais celle-ci est limitée, car, contrairement à ce qui se passe devant un fourneau, les « trucs » d’écrivain ne s’échangent pas. Nul doute sur le fait que l’on peut se réfugier dans les rêves de quelqu’un d’autre ou devenir le héros d’une histoire que l’on n’a pas conçue. Mais on ne peut, en aucun cas, connecter cet imaginaire étranger avec ses propres doigts.
Comme il se devait, ma quête est restée vaine. J’ai laissé tomber l’expression libre de tous ces futurs prix littéraires et autres grands reporters en attente de reconnaissance. De liens en liens, je me suis retrouvé directement branché sur l’actualité du jour. Il semble, hélas, que lorsqu’on a la migraine, ce ne soit pas très bon comme thérapeutique de mettre le volume à fond pour écouter les bruits discordants du monde. Dans mon cas, cette tentative de « soigner le mal par le mal » n’a pas fonctionné du tout. Mon regard a quitté l’écran et s’est attardé sur le bouton « on-off » de l’ordinateur. Une décision d’une logique implacable a suivi cette phase méditative. Il me fallait de l’air, de l’oxygène, de la fraicheur, de la verdure, un peu d’eau fraiche… pour irriguer, réactiver, dynamiser le troupeau de cellules avachies qui s’accumulaient dans ma boite crânienne. Je suis sorti et je me suis aperçu qu’en dessus du bois, face à la maison, il y avait un petit coin de ciel bleu très prometteur.
J’ai fait quelques pas sur le chemin, et très vite mon dos s’est redressé. J’ai senti que l’air pénétrait à flots dans mes poumons. Petit à petit, mes sens ont repris leur fonction : des odeurs d’humidité sont montées à mes narines ; j’ai entendu ce bruit singulier que fait la terre mouillée lorsqu’elle essaie de digérer toute l’eau que le ciel a déversée sur sa verte chevelure ; j’ai trouvé changés, de façon à peine perceptible, les arbustes de la haie. Ils sont différents de ceux qui m’avaient accompagné pendant ma dernière promenade ; quelques petites pointes claires égaient leur ramure noirâtre… Certes, tous ces signes sont discrets et l’on ne peut encore discerner que la promesse de leur parure printanière. C’est important malgré tout : jusqu’à ce jour, la végétation s’est contentée d’une intense activité souterraine pour préparer son explosion à venir. Peu de signes de ce renouveau annoncé étaient visibles. J’ai traversé un pré puis je suis monté dans le bois. Plus j’avançais, plus les arbres devenaient grands. Il faut dire aussi qu’ils étaient de plus en plus serrés et qu’ils se faisaient une concurrence impitoyable dans leur quête de lumière. Plusieurs d’entre eux n’ont pas résisté au poids de la neige ou à celui des années, et se sont brisés, recroquevillés sur leur tronc creux et moussu. La forêt s’est peuplée de nouvelles créatures fantastiques, géants difformes ne conservant de leur noblesse ancienne que quelques éléments de prestige, futures maisons de retraite pour de vieux pics édentés en quête de nourriture tendre. Ce n’est pas un hasard si je pense à l’oiseau au long bec. Depuis quelques minutes, le bruit de castagnette qu’émet l’un de ces ouvriers consciencieux accompagne les craquements du bois mort écrasé par mes pas. De temps en temps, le souffle du vent réveille les branches et je reçois une avalanche de gouttelettes d’eau. D’habitude je n’aime pas ces douches imprévisibles et je salue d’une bordée de jurons les créatures végétales quand elles s’ébrouent à mon passage. Mais en cet instant, je suis indifférent à ce comportement facétieux. Je lève les yeux vers le ciel et ce que j’aperçois me rassure: la tache bleue a gagné en surface, ce n’est donc pas la pluie qui recommence.
Lorsque j’arrive en haut de la colline, je me retourne et contemple le paysage laissé derrière moi. La silhouette de la maison a changé depuis qu’on a abattu le grand épicéa dont les rameaux entreprenants envahissaient la toiture. Nous avons aussi démoli un petit abri, une vieille porcherie du temps où notre palace était une simple ferme. Ces deux disparitions ont suffi à changer la perception que nous avions de l’ensemble des bâtiments. Il faut dire que cela faisait plusieurs décennies que l’on avait le même décor sous les yeux. Un arbre et quelques murs en moins… une brèche dans la couronne de bâtiments ceinturant notre cour : pour le passant, étranger à notre environnement familier, une simple anomalie sans doute… pour nous, occupants de la vieille bâtisse, une vraie révolution. Je reste un bon moment, quelque peu songeur, à contempler ce paysage qui évolue au fil des ans. Je pense à ce film dans lequel le propriétaire d’un bureau de tabac sort, sur le trottoir, devant son magasin, et prend un cliché de sa rue, chaque jour, à la même heure, avec le même angle. Même si je ne ressens pas le besoin de faire la même chose avec une telle assiduité – à la campagne le décor n’évolue pas à la même vitesse qu’en ville – je me rends compte que cela me plairait de pouvoir comparer, de façon rigoureuse, le spectacle qui s’offre à mes yeux avec celui que j’aurais pu contempler une dizaine d’années auparavant. Faute de souvenirs photographiques, il me reste les instantanés, souvent enjolivés, que je conserve dans ma mémoire. J’essaie de ne pas me figer dans une attitude passéiste, mais malgré cela, je ne trouve pas que ce paysage qui m’environne évolue dans une direction plaisante. Quant aux gens qui l’investissent année après année, il me faut de plus en plus de patience pour les supporter. La sonnerie de l’angélus au clocher du village a interrompu ma réflexion. J’ai décidé de rebrousser chemin. Il est grand temps de s’attabler devant une bonne assiette et il n’y a rien de mieux qu’un petit verre de rouge pour combattre la mélancolie naissante.
J’ai posé mon stylo et refermé mon cahier. La prochaine fois que je change de lieu pour écrire, je me servirai de l’ordinateur portable. J’ai horreur d’écrire au stylo ; je n’aime pas les pages raturées et la vision chaotique qu’elles donnent de l’errance des idées. J’aime écrire, effacer, reprendre, remanier, sans que le travail incessant sur les mots me donne l’impression d’un vaste chantier de démolition. Je ne suis pas trop mécontent de ma production, sauf, peut-être le coup de l’angélus pour induire la transition vers la conclusion. C’est un cliché d’un romantisme empreint de vétusté. Mais je ne vais pas remanier le paragraphe pour autant. Après tout, j’ai rempli mon contrat : l’animateur de l’atelier d’écriture nous demandait de rédiger un texte de mille huit cent mots environ, évoquant, avec un peu d’originalité, le thème archi connu de « l’angoisse de l’écrivain devant la page blanche ». La consigne d’écriture ne m’inspirait guère… entre autres raisons parce qu’un écran vierge ne m’a jamais causé d’inquiétude. Il n’y a aucune obligation dans le fait que j’écrive, seulement du plaisir. A quoi bon se prendre la tête ? Pour rédiger une chronique hors du commun, il suffit d’appuyer un doigt sur la lettre « a », ou, mieux encore, de copier-coller le pronom « je », aussi longtemps que nécessaire pour passer un soupçon de baume sur un égo un peu trop à vif !
3 Comments so far...
Lavande Says:
8 février 2010 at 08:53.
On aura droit à la photo après suppression du sapin et du petit bâtiment?
Paul Says:
8 février 2010 at 08:55.
@ Lavande – Certainement, à l’occasion d’une prochaine chronique philosophique sur le thème « faire, défaire, refaire et autres balivernes » ! A part ça, c’est vrai qu’il faudra qu’on s’intéresse à la bibliothèque de Bologne. Les photos sont alléchantes…
Diantino Says:
10 février 2010 at 23:46.
Bonjour, je découvre ce blog …
Ce qui compte en écriture, c’est le plaisir. Le premier plaisir de tracer les mots ou de les taper, peu importe, de mettre noir sur blanc ce qui tourne dans la tête plus ou moins distinctement. Ensuite c’est le plaisir de l’échange. Dans un atelier d’écriture on écrit d’abord pour soi mais aussi pour les « copains » du groupe. on s’enrichit des idées, des expressions, des commentaires des autres. On est tolérant, on ne juge pas. Enfin ça se passe comme ça dans l’atelier auquel je participe pour la cinquième année. Et si l’animateur nous proposait d’écrire tel nombre de mots, nous le regarderions d’un air ahuri…liberté chérie ! Je souhaite à Paul de recevoir de tels échanges amicaux à partir des articles de son blog et pour notre plaisir d’ avoir encore longtemps l’envie d’écrire.