9 février 2010
Le bréviaire du Néo-Consommateur
Posté par Paul dans la catégorie : Feuilles vertes; le monde bouge .
Avertissement genre Wikipédia : ceci est une ébauche d’article. Les données exposées ci-dessous sont amenées à évoluer, à être corrigées ou bien complétées. Ce bréviaire risque bien de n’être jamais complet, mais il serait cependant intéressant qu’une partie au moins des propositions qu’il contient soient débattues (pas trop longtemps) et mises en application (dans la mesure du possible). Il ne s’agit là ni d’une profession de foi pour la décroissance, ni d’un quelconque plaidoyer pour le développement durable des uns et le sous-développement durable des autres. Il s’agit juste d’une tentative de percevoir de façon rationnelle les possibilités du monde qui nous entoure, et d’envisager des lendemains qui chantent, pas seulement pour un centième de la population de la planète. Dans le cas contraire, nous prendrions le risque de courir à une déflagration générale dont les conséquences seraient sans doute un retour généralisé à l’âge de pierre. Il ne s’agit pas de la traditionnelle alternative « le nucléaire ou la bougie », mais de la certitude énoncée que le nucléaire (et toute la politique économique sous-jacente) nous amène droit à la bougie. Je suis bien conscient qu’il s’agit là de propositions réformistes qui ne feront au mieux qu’ébranler le socle de certitudes sur lequel se construit la surexploitation généralisée de notre planète et du plus grand nombre de ses habitants. Mais je sais aussi que l’arme économique (boycott, réduction de certaines dépenses, grève générale) est une arme dont nous avons le contrôle total, nous autres simples citoyens, et que son emploi de façon massive inquiète sérieusement les grands groupes industriels. Il est regrettable que ce moyen de lutte soit aussi peu utilisé : il suffit qu’un boycott fasse reculer le chiffre d’affaires d’une entreprise de 5 ou 10% pour que celle-ci capitule : les exemples historiques ne manquent pas. Je vous propose d’énoncer quelques « règles simples de consommation » et d’étudier ensuite leurs conséquences.
Il y a bien entendu des omissions regrettables… L’ordonnancement des propositions n’est pas réfléchi et les différents paragraphes gagneraient sans doute à être structurés de façon différente, mais ce n’est pas grave puisqu’il s’agit d’une chronique interactive et durable !
- Réfléchir au degré de nécessité de l’achat d’un objet, et différer (pas forcément abandonner) ce qui, après réflexion, n’est pas une dépense « incontournable ». L’argent économisé sur les investissements les plus futiles, permettra de couvrir des besoins essentiels en faisant l’acquisition d’un matériel plus solide et plus fonctionnel. Chacun a bien entendu ses priorités et établira ses listes en fonction de son travail, de son temps libre et de ses goûts. Il ne s’agit pas de s’ériger en « garde rouge » et de décréter ce qui est bien ou ne l’est pas. Telle personne aura un besoin impératif de sa voiture car elle ne peut recourir au covoiturage ; telle autre ne peut se passer d’un ordinateur (il faut bien que je me ménage une porte de sortie). Je serais mal placé pour adopter une démarche anti-consumériste stricte ; je trouve simplement malencontreux de faire des économies sur les postes budgétaires fondamentaux pour acquérir massivement des biens de seconde nécessité dont la vie éphémère se terminera (au mieux) dans un centre de tri…
- La règle précédente est valable dans le domaine alimentaire aussi. Manger moins de viande, permet d’en acheter de la meilleure, provenant d’élevages dans lesquels les animaux sont bien nourris et leur bien-être pris en compte. L’économie ainsi réalisée permet aussi d’acheter, sans doute un peu plus cher, des légumes ou des céréales issus d’autres méthodes de production que celles de l’agriculture intensive. Ce qui est ruineux (et aberrant sur le plan environnemental) c’est de vouloir transposer des menus classiques en menus bios, sans remettre en cause la moindre de ses habitudes alimentaires, notamment le fait de consommer des produits d’origine animale en énormes quantités. Ceci n’est pas une profession de foi pour le végétarisme (certains me le reprocheront mais j’assume) mais une porte ouverte sur une gastronomie plus diversifiée, plus riche en saveurs et plus rationnelle surtout sur le plan écologique. Limiter l’achat d’aliments transformés permet de réaliser des économies conséquentes. Si l’on ne cherche pas à boire du vin à chaque repas, on peut très bien ouvrir de temps en temps une bonne bouteille ayant une autre origine qu’un laboratoire de chimie.
- Ne jamais recourir à un crédit à la consommation pour acquérir quelque chose dont le besoin n’est pas immédiat. Non seulement on le paie plus cher et on enrichit son banquier, mais on engage ses choix pour une durée plus ou moins longue (parfois supérieure à celle de l’objet). Ce que j’énonce là mérite bien entendu réflexion en ce qui concerne l’acquisition d’un bien coûteux et indispensable genre logement ou véhicule. Il faut espérer que, dans les années à venir, de nouvelles solutions se développeront pour favoriser l’entraide ou la recherche de formes de financement collectif dont le but soit autre que l’asservissement du débiteur à celui qui avance les fonds.
- Mettre en avant les critères de qualité et de durabilité d’un objet, plutôt que son prix, quitte à différer un achat de quelques temps. On n’a pas besoin forcément d’avoir une panoplie électroménagère complète. Mieux vaut posséder l’équipement minimum mais faire le choix d’appareils ayant la plus faible consommation et la plus longue durée de vie possible. Ne pas se faire avoir par le miroir aux alouettes du capitalisme vert. Lorsqu’une machine fonctionne, on la conserve, même si depuis la date d’achat, d’autres modèles plus performants en matière énergétique ont été conçus. Même si ce que l’on jette est partiellement recyclé, le bilan écologique de la fabrication du « neuf » est toujours plus coûteux que le maintien en service du « vieux ». (cf chronique plus ancienne « l’essentiel c’est que vous consommiez« )
- Etre attentif et surtout réaliste en ce qui concerne l’évaluation du prix d’un objet. Vouloir acheter toujours moins cher est un comportement totalement irrationnel, voire même suicidaire sur le plan économique. Un coût de fabrication ne peut baisser, dans la logique capitaliste, qu’en « rationalisant » la production. En clair, cela veut dire, produire dans des unités de plus en plus grosses, dont l’impact écologique sera de plus en plus lourd sur l’environnement. Ensuite il faut tirer vers le bas le prix de revient des matières premières utilisées quitte à recourir à des éléments frelatés. Pour finir, il faut abaisser jusqu’au plancher le coût de la main d’œuvre responsable de la fabrication. Cette dernière option a pour conséquences soit la baisse progressive des salaires, soit la délocalisation pure et simple des entreprises dans des « paradis sociaux », c’est à dire des pays ne possédant pas ou peu de législation sociale, et une population ouvrière ou bien agricole, solidement encadrée par un régime politique de type dictatorial. Même si l’on fait abstraction de la composante environnementale (il y a des inconscients partout), la recherche du « bon coup à faire », et de la « promotion fracassante » est une démarche qui revient bien souvent à présenter son dos pour mieux se faire battre.
- Favoriser les achats de proximité, la production locale, plutôt que de choisir des marchandises fabriquées ou récoltées à l’autre bout de la planète, sous réserve que la production locale se fasse dans des conditions acceptables. Cette règle mérite un temps de réflexion, car l’autarcie totale est une imbécilité au XXIème siècle, et il vaut mieux que les Norvégiens achètent des oranges du Maroc plutôt que de faire pousser des orangers sous serre chauffée. La consommation d’oranges en hiver est quelque chose de plaisant. Il ne faut pas se leurrer, les sources hivernales de vitamines ne sont pas si abondantes que ça pendant la saison froide. Il ne s’agit pas de supprimer les échanges mondiaux, il s’agit de les raisonner. Exemple d’un circuit aberrant : la tourbe extraite en Lituanie, transportée en cargo jusqu’à Dunkerque, en camion jusque chez nous, au pied des Alpes, transformée en compost, mise en sac, puis livrée en camion aux serres provençales. On doit pouvoir faire pire, mais il faut se donner du mal. Transporter des marchandises en cargo sur des milliers de kilomètres ne revient pas forcément plus cher que de le faire en camion sur une distance dix fois moindre : il serait urgent qu’un système d’étiquetage intelligent permette de discerner le vrai du faux dans ce genre de problématique.
- Tenir compte des conditions sociales dans lesquelles sont produits les objets que nous voulons acheter. Entre une production coopérative issue d’une structure autogérée et une marchandise issue d’une structure industrielle ou agricole de type capitaliste, on choisit la première. Une carotte bio, désherbée par des ouvriers agricoles sans aucun droit et mal payés, dans une serre en Andalousie, vendue par un hypermarché en France, n’a d’écologique que le joli dessin décorant son emballage. Dans le cadre d’une AMAP par exemple, ou d’un marché local, on trouvera la même carotte chez un maraîcher voisin, et rien n’empêche d’aller donner un coup d’œil sur la façon dont il produit légumes et fruits. Il sera ravi de communiquer sur son travail. Par ailleurs, il est toujours bon d’être vigilant : ce n’est pas parce qu’un produit est local que le mode de production est socialement acceptable ; l’emploi d’une main d’œuvre sous-payée, ça existe aussi chez nous.
- Favoriser la mise en commun de certains équipements c’est aussi un choix important. Cela commence à se faire dans quelques structures d’habitat collectif : une laverie bien équipée est moins coûteuse et plus performante qu’une collection de machines à laver dans une série d’appartements. Lorsque l’on a 100 mètres carrés à tondre, il n’est pas obligatoire d’avoir une tondeuse juste pour soi. Avec un peu de bonne volonté les problèmes de calendrier d’utilisation ou de coûts d’entretien se résolvent sans trop de peine. Le dernier numéro de « l’âge de faire » et le site internet « Utopies libertaires » évoquent la création de bibliothèques d’outils (Tool libraries) dans certaines villes aux Etas-Unis, afin d’inciter les gens à bricoler avec du bon matériel : fabriquer, entretenir les objets dont ils ont besoin dans leur cadre de vie. L’achat collectif permet d’acheter du matériel haut de gamme, robuste et performant, qui ne tombera pas en panne la première fois que l’on appuiera sur le bouton. Dans certains cas, des aides à l’apprentissage sont aussi proposées afin d’éviter les déconvenues et les accidents. On peut fabriquer ses propres étagères ou son lit, puis économiser pendant quelques années et acheter un très beau buffet en bois massif chez l’ébéniste du coin, plutôt que de tout acheter en aggloméré dans une grande surface de bricolage. Vous ne transmettrez probablement pas votre cuisine « trucbidule » à vos enfants, mais vous leur léguerez sans problème le bahut fabriqué avec du « vrai » bois.
- Développer le partage des compétences. Nul n’est prophète dans tous les domaines : pour bien faire quelque chose, il faut être motivé et posséder quelques savoirs en la matière. L’omniscience n’existe que chez les robots dans les bouquins de SF. Les systèmes d’échanges de service (type SEL) peuvent permettre de pallier aux incompétences tout à fait légitimes de bon nombre de personnes. Je te propose des cours d’anglais ; tu tonds ma pelouse. Tu fais la vidange de ma voiture ; je te dépanne en informatique. Outre les avantages économiques, cette démarche a une qualité essentielle : elle recrée du lien social.
Considérations de riches, me diront certains. Beaucoup de gens n’ont même pas les moyens de se poser ce genre de questions. Tout à fait d’accord avec cette critique, même si je ne me considère pas comme faisant partie d’une catégorie particulièrement favorisée de la population française. A mes yeux, les propositions énoncées ci-dessus ne remettent aucunement en cause les luttes pour des revendications sociales. Je sais fort bien qu’un nombre important d’habitants de nos pays développés et un nombre encore plus important des pays en voie de développement, n’ont tout simplement pas les moyens économiques d’effectuer un quelconque choix, puisqu’ils sont totalement dépendants d’une aide extérieure y compris pour leur alimentation. Contrairement à certains écologistes radicaux, je soutiens toutes les luttes visant à une amélioration du pouvoir d’achat des populations qui se situent en bas de l’échelle des salaires. Tout travail effectué doit donner lieu à une rémunération correcte. Je soutiens aussi tous les combats ayant pour objectif une amélioration des conditions dans lesquelles se déroule ce même travail et une diminution de sa durée. En me plaçant dans une perspective beaucoup plus large aussi (et malheureusement plus éloignée) je suis tout à fait favorable à la création d’une allocation garantissant le droit à une vie décente pour chacun des habitants de cette planète : pouvoir se loger, se nourrir, se vêtir de façon correcte, avoir accès à l’éducation, aux soins médicaux, à la culture… Garantir le minimum vital en échange d’une part de travail social permettant un fonctionnement harmonieux de la collectivité ; permettre à chacun d’acquérir le superflu en fournissant la part de travail supplémentaire voulu en fonction des compétences dont on dispose… Mais je glisse dans une autre catégorie de chroniques, celle que j’ai intitulée « le clairon de l’utopie » et cela ne correspond pas tout à fait à l’objet de mon propos ce jour. Je propose simplement d’essayer de faire quelques pas dans la bonne direction (ou tout au moins dans une direction qui ne soit pas trop mauvaise).
6 Comments so far...
zoë Says:
9 février 2010 at 21:12.
Que de sages conseils. J’en approuve l’esprit en renchérissant sur le danger d’un nouvel intégrisme. Chacun doit pourvoir faire des choix, mais pour cela il faut changer d’imaginaire. ce n’est pas gagné, mais ça vient, ça vient.
François Says:
10 février 2010 at 20:19.
Sur les deux premiers points, je dirais même qu’on peut les lier. Acheter moins de superflu peut permettre de faire remonter la part budgétaire dévolue à l’alimentation, qui n’a fait que s’éroder avec le temps. Depuis quelques années, j’ai augmenté (je ne sais pas de combien, je n’ai pas calculé) mes dépenses dans l’alimentation et la qualité de ce que nous mangeons s’est grandement améliorée.
Sur le point du crédit, j’irais plus loin, moi qui n’ait jamais acheté quoique ce soit à crédit. On veut nous faire croire que, le bonheur étant dans la consommation, le crédit nous rend plus heureux, car il nous permet de consommer tout de suite. Or, chaque crédit que l’on contracte est une chaîne supplémentaire qui nous asservit non seulement à la nécessité de gagner sa vie, mais d’augmenter son gain régulièrement, ce qui se fait généralement aux dépends des autres. D’ailleurs, tu avais fait un article, Paul, sur la manière dont beaucoup de gens hypothèquent leur salaire avant même de l’avoir gagné.
Ce qui est moche avec la durabilité des objets (électroménagers en particulier, ou électronique de loisir), c’est qu’il devient de plus en plus difficile de les faire réparer. En effet, comme la valeur de ces objets n’a cessé de baisser (merci les p’tits Chinois), il devient de moins en moins intéressant – d’un point de vue purement commercial – de les réparer. Quand un lecteur de DVD ne coûte plus que 50€, le simple fait, pour un service après-vente, de discuter avec le client, coûte presque déjà autant. On ne parle même pas du coût total de la réparation. Nous en avons fait l’expérience encore récemment avec une radio-CD (valeur environ 40€). Elle est tombée en panne après 2 utilisations. Le service après-vente nous en a donné une neuve et nous a conseillé de jeter l’autre. Les petits magasins capables de réparer sont bien rares.
Exemple de transports idiots: des crevettes pêchées dans la Mer du Nord, transportées en Grèce pour être décortiquées, renvoyées en Allemagne pour être conditionnées, puis redistribuées à travers l’Europe pour la vente.
Quant aux achats en commun, ça me rappelle le débat que nous avons actuellement dans notre coopérative d’habitation. Certains ont proposé l’achat d’un beamer pour projeter des films. Le débat nous divise. D’aucuns pensent que c’est du superflu et que nous pouvons vivre sans. D’autres reconnaissent le côté « luxueux » de la chose, mais soutiennent, justement, que puisque c’est partagé, cela devient une dépense acceptable. Débat difficile. En tout cas, il y a une voiture en auto-partage dans le quartier, c’est toujours ça de pris! Et nous avons déjà partagé pas mal de matériel entre voisins.
Paul Says:
10 février 2010 at 20:57.
@ François – Pour le crédit je suis entièrement d’accord avec toi. Le point qui m’a fait hésiter c’est le logement, l’investissement qu’il représente, et le désir que l’on peut avoir d’être rapidement « chez soi » plutôt que de payer une location pendant de longues années. Pour ce qui est de l’asservissement j’en suis convaincu. Toutes les grèves longues auxquelles j’ai participé ont stoppé non pour des problèmes alimentaires mais à cause des multiples crédits à rembourser. Les banquiers ont réussi à enchaîner les gens à leur travail… Notre société offre par ailleurs un tel éventail de choix de marchandises à consommer, qu’il est difficile de trier entre ce qui est superflu et ce qui ne l’est pas, ce que l’on achète uniquement parce que c’est « tendance », mais que l’on utilisera ou dont on ne profitera que quelques heures par mois, et ce qui améliore vraiment le fonctionnement au quotidien. Les échelles de valeur varient d’un individu à un autre. Si l’achat collectif devient seulement un moyen d’acheter plus, là aussi il y a matière à débattre !
Merci en tout cas pour ton commentaire. La chronique reste ouverte à d’autres suggestions ou d’autres critiques !
la Mère Castor Says:
12 février 2010 at 19:34.
Intéressant, chacun peut toujours essayer de mieux faire, en effet. Ce que nous faisons pour beaucoup de points.