4 mai 2010
Des « Gautiers » aux « Nu-pieds »
Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Un long combat pour la liberté et les droits .
Révoltes normandes sous l’ancien régime
Il y a peu, nous parlions dans ces colonnes de la révolte des Pitauds, et peu de temps auparavant de celle des Rustauds. Les soulèvements populaires ont été si nombreux dans l’ancien temps, que les historiens n’ont pas toujours pris la peine de leur donner un nom. Certaines de ces révoltes n’ont même pas laissé de traces dans la mémoire collective. Elles ont pourtant lourdement marqué les milliers d’hommes et de femmes qui s’y étaient engagés. Selon l’historien Pierre Goubert, on dénombre plus d’un millier de soulèvements populaires dans le royaume de France du règne d’Henri IV à la mort de Louis XIV (qui ne marqua pas leur fin, bien au contraire). Le cadre de certains d’entre eux était strictement urbain, mais beaucoup enflammèrent les campagnes. La plupart de ces révoltes, que l’on qualifiait souvent d’ « émotions », avaient un point commun : elles ne s’opposaient pas fondamentalement au régime monarchique, mais elles en dénonçaient les excès, fiscaux en particulier, dont le peuple ressentait durement le poids et l’injustice. Parfois c’était la rareté et la cherté du pain qui mettaient le feu aux poudres, en d’autres occasions le comportement de la soldatesque, mais le plus souvent c’était la hausse ou la création de nouveaux impôts, toujours jugés excessifs… On ne critiquait pas le souverain du moment, mais les représentants de son administration, les fermiers ou à défaut leurs commis ainsi que les intendants. Bien souvent, on faisait appel au sens de la justice du monarque ; au pire on l’admonestait gentiment, lui reprochant son indifférence ou lui demandant de calmer les ardeurs de ses collecteurs. Plus qu’un véritable appel au changement social, ces troubles se référaient souvent à un âge d’or idyllique : « jamais les choses ne se seraient passées ainsi du temps de… » Peuple naïf qui dut subir cette oppression terrible pendant des siècles avant d’essayer de la renverser… Peuple oublieux qui ne s’aperçut pas, en 1789, qu’il se laissait déposséder de sa victoire contre la noblesse et ses privilèges, par de nouveaux parvenus… Peuple finalement peu rancunier qui, à la fin du XVIIIème siècle acclamait ceux qui, peu de temps après, l’enchaineraient à nouveau.
Loin de moi l’idée de consacrer une chronique de mémoire à chacun de ces grands « émois ». Pour beaucoup, d’ailleurs, on ne possède que fort peu de documentation, même si les publications plus ou moins officielles de l’époque, comme le « Mercure » ou la « Gazette de France », en rendaient régulièrement compte (en ce qui concerne la chronique d’aujourd’hui, c’est le cas par exemple pour la jacquerie des « Nu-pieds »). Mon tour de France des soubresauts d’humeur dans les régions continue néanmoins, histoire de montrer d’une part l’ampleur du phénomène, d’autre part le fait que nos ancêtres n’avaient point trop l’habitude de se laisser marcher sur les pieds ! Après Lyon et ses Canuts, l’Alsace et ses Rustauds, la Guyenne et ses Pitauds… tournons-nous du côté de la Normandie, du côté de La Chapelle Gautier plus précisément puisque c’est dans cette bourgade que se produisit l’un des soulèvements les plus importants de la région.
L’histoire débute en avril 1589, pendant la huitième période des guerres de religion, baptisée « guerre des trois Henri » puisqu’elle oppose le roi de France Henri III, catholique modéré, Henri de Navarre (futur Henri IV), Huguenot, et les partisans de Henri de Guise, catholiques forcenés, partisans de l’extermination des Huguenots. Jusque-là, la région de Basse Normandie avait été plutôt calme et relativement prospère. La situation s’est très vite dégradée pour les paysans : impôts de plus en plus élevés pour soutenir l’effort de guerre, affrontements incessants entre les deux religions ennemies, nombreux mouvements de troupes avec tout ce que ce phénomène peut entrainer comme actes de pillage et de barbarie. C’est le viol d’une jeune femme par les soldats qui va servir de prétexte au déclenchement du soulèvement populaire. Au son du tocsin, quelques 6000 paysans se rassemblent à la Chapelle Gautier (Eure) et choisissent pour chef l’un d’entre eux, un dénommé Vaumartel. Les Ligueurs catholiques, sous les ordres du Comte Charles de Cossé-Brissac, voient dans ce mouvement de révolte l’occasion d’augmenter les désordres dans la région et de créer quelques ennuis supplémentaires au « parti huguenot » (Henri III, jugé trop mou, accusé de trahison, est souvent assimilé à ce parti par les Ligueurs). Leur principal adversaire du moment, le Duc de Montpensier, est en train d’assiéger les partisans du Duc de Guise à Falaise, et le sort de la ville est des plus incertains. Cossé-Brissac, bien qu’il ne prête aucune attention aux demandes des paysans, saisit l’opportunité qui se présente et demande à Vaumartel de ranger ses troupes sous sa bannière. Il espère ainsi faire lever le siège de Falaise. Il faut noter à ce propos que les choix politiques des uns et des autres sont parfois difficiles à suivre dans cette période plutôt trouble. Le cas du Duc de Montpensier est assez significatif : ce noble, quoique catholique, n’a pas rejoint la Ligue et va d’ailleurs apporter son soutien à Henri IV qu’il considère comme candidat légitime à la monarchie, après la mort d’Henri III – d’où une certaine confusion que l’on peut trouver dans les récits concernant la révolte des Gautiers. En avril 1639, Henri III est encore vivant puisqu’il ne sera assassiné qu’un peu plus tard, au mois d’août, par le moine fanatique Jacques Clément.
La première phase du plan de Cossé-Brissac se déroule comme il l’espérait. Le Duc de Montpensier quitte les murailles de Falaise et se porte au devant de l’armée très composite qui marche vers la ville. La situation militaire évolue très vite de façon déplorable pour les Gautiers. Lors d’une première bataille importante aux environs des villages de Pierrefitte et de Villers, l’armée censée secourir Falaise est battue à plate couture par les troupes royales. Les pertes sont considérables pour les insurgés. Leur chef, Vaumartel, meurt lors de ce combat ainsi qu’un bon millier d’entre eux. Cossé-Brissac, plus soucieux de sa propre survie que de celle de tous ces va-nu-pieds, se réfugie à Falaise avec une partie de sa troupe. Les paysans en armes fuient en direction de Vimoutiers. Plutôt que de reprendre le siège de Falaise qu’il estime risqué, compte-tenu de l’arrivée des renforts, le Duc de Montpensier préfère traquer les restes de l’armée des Gautiers. La répression est féroce dans un premier temps et de nombreux paysans sont exécutés. Finalement le commandant de l’armée royale accorde une amnistie aux derniers survivants : ils sont autorisés à rejoindre leurs habitations afin de s’occuper de leurs récoltes, en échange d’un engagement à ne plus jamais porter les armes contre le roi. Avec la publication de l’Edit de Nantes, en 1598, le calme va revenir dans la région, mais seulement pour quelques décennies.
Un nouveau soulèvement éclate en basse Normandie, juste un demi-siècle plus tard, en juillet 1639. Ce second mouvement est connu sous le nom d’insurrection des « Nu-pieds ». Il va être plus violent, mieux organisé et par conséquent d’une plus grande ampleur que celui des Gautiers. La cause en est cette fois essentiellement fiscale. Tout au long du XVIème siècle la hausse des impôts a été relativement modérée. A partir de 1630, à cause de l’explosion des dépenses et « grâce » à une amélioration du centralisme administratif, la pression financière augmente considérablement sur les couches populaires. Selon l’historien Yves Marie Bercé, « La croissance des taxes prit des proportions inouïes, parmi les plus brutales de l’histoire de la fiscalité », et ce dès l’année 1632. Le montant des Tailles est multiplié par deux ou trois et leur recouvrement devient de plus en plus problématique. Le gouvernement, sous les auspices de ce bon Monsieur le Cardinal de Richelieu, décide d’une politique fortement répressive à l’égard des paroisses où le montant des impayés s’avère trop important. Les intendants envoient leurs huissiers accompagnées de compagnies de soldats (les carabins). Ces gens s’installent dans les communautés endettées et y séjournent aux frais des habitants jusqu’à ce que les arriérés soient payés. On procède à de nombreuses saisies de biens, et parfois même à des contraintes par corps (emprisonnement) lorsque le paiement ne se fait pas assez vite. La colère de la population augmente en conséquence. En juillet 1639 donc, les paysans normands, exaspérés par le comportement des carabins, se soulèvent à nouveau. La cause directe de ce nouvel émoi est une rumeur qui se propage dans la province selon laquelle celle-ci devrait être soumise à la gabelle, taxe particulièrement impopulaire. Quelques agents du fisc sont malmenés, voire même purement et simplement trucidés, comme Charles le Poupinel, collecteur des impôts à Avranches… Le 12 août à l’occasion du marché de Vire, des paysans très remontés, auxquels se joignent les habitants des faubourgs, s’en prennent aux conseillers de l’élection (juridiction fiscale) réunis pour débattre des affaires courantes. Ils se livrent à un « caillassage » en règle des notables qui sont obligés de s’enfuir par les fenêtres du bâtiment où ils étaient réunis, afin d’échapper au pire. L’un d’entre eux, le Sieur de Sarcilly est estourbi à coups de bâton. Les émeutiers s’emparent de tous les papiers qu’ils peuvent trouver et en font grand feu de joie sur la place du marché (raconté par Yves Marie Bercé dans son ouvrage « croquants et nu-pieds ») . L’étincelle a jailli : le feu s’embrase…
L’effectif des « nu-pieds » est évalué à environ 20 000 hommes. Ils s’organisent en bandes armées d’environ 4000 combattants appelées « armée de souffrance » et se livrent à des expéditions de plus en plus audacieuses contre les agents du fisc. Ils marchent sur la ville de Rouen dont ils s’emparent sans difficulté. A leur tête se trouve un personnage singulier, Jean Quetil, qui se donne lui-même le surnom de « Jean Nu-pieds ». La révolte ne touche pas que les paysans : d’autres catégories sociales, parmi les plus démunies (ou parfois simplement frustrées), se joignent à eux. Comme le soulèvement des Gautiers, celui des Nu-pieds a une connotation fortement religieuse. Les révoltés se donnent pour patron Saint Jean Baptiste, et de nombreux curés (comme ce sera le cas plus tard pour les Pitauds) se joignent à l’insurrection. Celle-ci a par ailleurs un caractère fortement régionaliste : dans les manifestes rédigés par les éléments les plus lettrés du mouvement, les allusions ne manquent pas à l’âge d’or normand, celui où les Ducs régnaient sur la province et où le montant des impôts n’était pas fixé « ailleurs », par des étrangers à la belle Province. Tout ceci n’est guère du goût du Cardinal de Richelieu qui décide de mater la rébellion de façon énergique de manière à faire un exemple servant de leçon à tous ces manants… Nous sommes en pleine période de marche forcée vers la centralisation dans le royaume et il n’est pas question de s’opposer à ce mouvement : seule la volonté du Roi importe (note : toute ressemblance avec un quelconque processus de mise en place d’une constitution européenne au XXIème siècle n’est que purement fortuite !) Richelieu charge de cette mission délicate le colonel Jean de Gassion, sous le commandement du chancelier Pierre Séguier. Gassion exécute les ordres à la lettre et de manière particulièrement zélée. Le 30 novembre 1639 les Nu-pieds sont vaincus à Avranches, malgré une résistance acharnée pour défendre la ville. Les responsables du mouvement sont jugés et exécutés. Au nom de la justice royale, de nombreuses villes normandes sont privées de leurs privilèges. Un certain Barnabé du Laurens de la Barre joint ses efforts à ceux de Gassion, et la réputation des deux hommes est particulièrement sinistre dans les campagnes normandes. La ville la plus touchée est Rouen : Pierre Séguier loge ses soldats chez l’habitant et fait régner la terreur dans les environs. Aucune distinction n’est faite entre ceux qui sont restés fidèles au Roi et ceux qui se sont révoltés. Tous sont traités avec la même cruauté. La ville est condamnée à payer une amende d’un million de livres et son parlement est suspendu. En janvier 1640, six mois après avoir débuté, le brasier est éteint dans la souffrance et les larmes… Le calme règne en Normandie… Quelques années plus tard, le jeune Louis XIV ne manquera pas de récompenser ses bons et loyaux serviteurs !
7 Comments so far...
fred Says:
4 mai 2010 at 12:50.
c’est « marrant » cette propension de Vimoutiers à accueillir des « rebelles » ! 😉
Paul Says:
4 mai 2010 at 16:03.
@ Fred – Eh oui, il me semble bien que nous avons une connaissance commune qui habite Vimoutiers… Il ne se prénomme pas Gautier par exemple, ni Jean. Pour l’instant, pas de bruit, il dort. En tout cas, ça s’est bien calmé cette région-là : il me semble que l’activité la plus subversive c’est une course de voitures à pédales si je ne m’abuse.
Patrick MIGNARD Says:
4 mai 2010 at 22:28.
Le 1er paragraphe est extrêmement intéressant – les autres aussi d’ailleurs – mais celui-ci doit nous aider à méditer sur la situation que nous vivons aujourd’hui, les constantes de l’Histoire et nous inciter à savoir tirer les leçons du passé pour ne pas recommencer les mêmes erreurs.
Zoë Says:
5 mai 2010 at 21:59.
Cher Paul, comme je ne suis pas encore à la retraite, je déserte un peu le web en ce moment me dédiant à des tâches multiples o’combien!) et variées (plus encore) dont le jardin, encore que cette année il aura eu le service minimum. Je constate en venant ici le retard de lecture, dont le bric à blog (merci de votre amicale recommandation de « l’arbre »). Dossier sur les plantations, les retraites, et un reportage dans le passé dont vous avez le secret. Je reviendrai. Gardez au chaud.
Paul Says:
6 mai 2010 at 06:34.
@ Zoë – C’est vrai qu’en ce moment tout le monde (moi y compris) semble très occupé et, en toile de fond, un peu morose. Les spams sont plus nombreux sur le blog que les commentaires ! Je continue mon petit bonhomme de chemin : moi aussi j’ai ralenti la « production » histoire de m’adapter au rythme de lecture de mes habitués, mais aussi – ne soyons pas hypocrite – parce que je n’ai guère de temps à consacrer à l’écriture, d’autant que je continue à consacrer un temps minimum à « zapper » de sites en sites sur la toile, histoire par exemple d’avoir une autre vision de l’information que ce qu’en donne la télévision…
Phiphi Says:
8 mai 2010 at 12:50.
Tu ne t’abuses pas Paul 😉
A noter que les 24 Heures ont lieu tous les deux ans et que je les rate régulièrement pour cause de Dragonneries prolongées 😉
JOLY Says:
6 novembre 2010 at 13:23.
cela pourrait se réveiller! Ci joint chanson « anti jacobine » actuelle ; – )) chantée régulièrement. En effet la région est toujours pillée et défigurée par le pouvoir central!!! Le combat se fait pied à pied!
J’SOUMES COUME DES VA-NU-PYIDS
Nous aussi nous sommes comme les va nu -pieds
Souoven-ous des va-nu-pyids, du Pé Jehaun Quéti ?
Nous gâs, rêtus, roguus pou le trémutu, annyi,
No veit les sâonyis qui s’émouvent en Normaundie.
Ma achteu, sav-ous qué l’vuus saung couole enco ?
Le quoeu yest à la batte et la bannyire yest en hâot !
Repensez aux va nu –pieds du père Jean Quéti
Nos gars étaient vaillant, solides pour la révolte, aujourd’hui
On voit les sauniers qui se soulèvent en Normandie
Car à présent, i lfaut savoir que le vieux sang normand coule encore
L’esprit est au combat et les drapeaux sont hissés
La countraée yétait dauns touos les triges ergentue,
Les gâs fyirs et en souen d’yête byin quoeurus !
Haro, raboulaez noute Carte és Normaunds !
Laissiz noute Té bâilli à mouogi à nous gens,
Laissiz nos Sires-dé-sei ; pou le caté des Prinches, brin d’ergent !
La Normandie était partout très riche
Ses habitants fiers et toujours prêts à travailler
Mon Duc on me fait tord, redonnez nous notre Charte
Qu’on nous laisse notre terre nous nourrir
Qu’on nous laisse décider de notre vie, pas de nos sous pour engraisser les princes
Noute countraée a sen noum : o s’noume Libertaé !
Brin d’acalmin, i nous fâot noute byin oû hammé.
A la trache des fuulouns qu’accabassent noute payis ;
Gens dé ma couée, et maême vos houmes d’Egllise, parsandyi,
Drêchiz-vous, pou la glouère et l’avenin dé la Normaundie !
Notre contrée à son nom et c’est liberté
On en se calmera pas tant que nos biens ne seront pas revenus chez nous
Allons combattre les fêlons qui se servent de notre pays
Ceux de chez moi et même vous les gens d’église, par le sang de Dieu
Debout pour la gloire et l’avenir de la Normandie