14 juin 2010
Cuisiner la courgette sacrée : une approche didactique
Posté par Paul dans la catégorie : Jeu de rôles; le verre et la casserole .
[ Où il arrive que l’on reparle de notre légume fétiche à l’occasion de la naissance du premier spécimen 2010. Promis, on s’intéressera à la coupe du monde de football, dès que le ballon aura pris la forme d’une courgette. ]
Le diplôme de “maître ès-courgettes” obtenu pour mon cinquantième anniversaire de la part de quelques amis experts en la matière (non point en horticulture mais plutôt en gastronomie et en fayotage) me donne, semble-t-il, une certaine légitimité pour aborder cette question délicate qu’est la cuisine de la courgette. Je vous délivre ci-dessous quelques pieux conseils concernant la préparation de ce légume aussi divin que délicat. Je m’adresse à vous en toute indépendance d’esprit, le gouvernement ayant refusé de m’investir d’une mission d’étude officielle, prétextant l’insuffisance des crédits dans ce domaine. Ma modeste tentative pour arguer du fait que la courgette valait bien la mondialisation comme thème de réflexion n’a pas été prise en compte ; quant à ma proposition de n’accepter que la moitié de la rétribution offerte mensuellement à Mme Boutin, elle a été écartée d’un geste méprisant. Visiblement nos gouvernants n’ont que peu de considération pour des experts acceptant de travailler pour des salaires de misère, ce qui explique leur mépris global à l’égard des salariés du secteur privé ou de la fonction publique, du moins en ce qui concerne ces derniers, pour ceux des échelons inférieurs… Mais trêve de placotage, revenons à nos cucurbitacées.
La courgette est un légume facile à cultiver pour peu que l’on respecte quelques unes de ses exigences de base : une terre profonde, humide, et riche en humus ; des températures clémentes (inutile de semer ou de planter, tant que les températures descendent au dessous de 10° la nuit) et un arrosage régulier, au sol plutôt que par aspersion. Le plant de courgette est productif et ne nécessite aucune taille. Les bonnes années, on peut récolter (selon la taille à laquelle on effectue la cueillette) de cinq à dix kilos de fruits par pied. La courgette est un légume facile à cuisiner pourvu que l’on respecte quelques règles primordiales ; la principale d’entre-elles, qu’omettent beaucoup de cuisiniers inexpérimentés, c’est que ce fruit aux saveurs subtiles ne doit jamais cuire à grande eau, mais toujours à la vapeur ou à l’étouffée (le mieux). Les recettes proposées ci-après, varient selon la taille des fruits. On ne cuisine pas de la même manière petites et grosses courgettes. Les premières conservent leur peau et nécessitent une préparation minima avant cuisson ; les secondes doivent êtres épluchées et égrainées. La préparation des courgettes, dès lors que leur poids dépasse quelques centaines de grammes, ressemble fort à celle des courges. Nous en reparlerons. Une courgette bien fraiche est toujours plus savoureuse qu’un fruit ayant trainé à l’étalage ou en chambre froide. Sa peau doit être légèrement satinée, un peu duveteuse, un peu collante. En culture forcée (serre et engrais), ce fruit béni des dieux charbinois, perd les composantes les plus subtiles de son goût, notamment un léger goût de noisette. Avant d’allumer les feux et le four de votre cuisinière, sachez que les bébés courgettes peuvent être mangés crus (je sais, c’est cruel), assaisonnés, dans une salade mélangée, et qu’ils n’ont rien à envier, dans cet usage, à leur cousin concombre. Je ne vous apprendrai rien non plus je pense en vous rappelant que les fleurs (mâles de préférence, sinon vous n’aurez pas de fruit) permettent de confectionner de délicieux beignets, excellent élément de base pour un régime amaigrissant (je crois que je me laisse emporter par mon élan…). Il est temps que je vous livre, non point les quelques dizaines de recettes que je connais, mais quelques uns des fleurons de ma pratique culinaire en ce domaine. Pour en savoir plus, la meilleure solution c’est de vous inscrire à un stage gastronomique à la maison (tarif social, en fonction des revenus mensuels, donc plus élevé pour Mme Boutin – va de soi).
Sauté de courgettes au curry – Ingrédients d’accompagnement incontournables : oignons, vin blanc sec (1 verre) ou muscat (1/2 verre), sel, poivre, curry. On fait sauter les oignons dans deux ou trois cuillères d’huile d’olive ; lorsqu’ils sont dorés on ajoute les petites courgettes coupées en rondelles, le vin blanc, le sel et le poivre. On met un couvercle sur la sauteuse, on passe à feu doux et on oublie pendant quelques minutes. Lorsque les courgettes ont transpiré, on « touille » avec délicatesse, on remet le couvercle et on oublie un peu plus longtemps. Lorsque les courgettes paraissent à peu près cuites, on enlève le couvercle, on passe à feu vif, on touille et on retouille consciencieusement jusqu’à ce que le mélange soit rissolé à point. Variante : on peut ajouter des cubes de poivron rouge, mais en dose raisonnable. Précision : on « oublie » pour un cuisinier, cela ne veut pas dire que l’on est frappé d’amnésie et que l’on part regarder un long métrage à la télévision. Cela veut simplement dire que l’on peut faire autre chose, en conservant ses narines en activité de surveillance (à moins que l’on ne dispose d’un drone possédant un capteur olfactif).
Tian de courgettes à la mode de chez nous – La base de la recette est la même que la précédente, sans curry, sans vin blanc, avec un peu de noix de muscade en option. Lorsque les courgettes ont bien mijoté et rendu leur eau, on les tasse bien comme il faut au fond de la sauteuse avec une cuillère, de façon à former une galette plutôt compacte. Dans un petit saladier, on prépare un flan tout simple : on mélange deux œufs et un verre de lait avec une fourchette, puis l’on verse la préparation sur les courgettes, sans changer de récipient. On place un couvercle sur la sauteuse puis on laisse cuire à feu doux jusqu’à ce que le flan ait pris au centre du plat. Cette préparation succulente peut se déguster chaude, tiède ou froide, avec ou sans sauce tomate en accompagnement. Démocratique n’est-ce pas ?
Tian de courgettes au four – Une fois les courgettes cuites selon la méthode n°1, on leur ajoute un mélange œuf (2), yaourt (un pot), farine (deux cuillères rases) ou mieux un verre de flocons de céréales (blé, épeautre ou mélange). Cette fois, l’épice dominante pour agrémenter le plat, ce sera du paprika. On ajoute aussi du Comté rapé, de la tomme d’Abondance ou du gruyère suisse (Alpenzell, délicieux). On verse le mélange soigneusement malaxé dans un plat à gratin et l’on fait dorer à four chaud (220 ° mais éviter le grill). Petite touche originale : ajouter deux ou trois cuillères de graines de sésame à la surface du gratin…
Tian de courgettes au four (variante sophistiquée) – Au lieu de pré-cuire les bébés courgettes comme dans la recette précédente, on les coupe en rondelles fines que l’on dispose dans un plat, en reconstituant artistiquement chaque fruit, c’est à dire en replaçant la rondelle à l’emplacement exact où on l’a trouvée en entrant dans la pièce. On remplit ainsi avec habileté un plat à gratin un peu grand, mais pas trop haut de bord, en veillant à ce qu’il n’y ait qu’une couche de rondelles (inutile de placer des rondelles métalliques ou des joints de plombier pour séparer les fruits, cela ajoute à l’esthétique mais pas au goût). Si l’on a vraiment une âme d’artiste, on peut réaliser une très jolie déco en intercalant des lanières de poivron rouge. Limitez vous à des effets relativement simples car vos invités seront là dans quelques minutes… On verse alors sur le gratin un mélange type flan, assez liquide, mais dans lequel on aura pris soin d’incorporer une cuillère ou deux de maïzena histoire d’absorber un peu le liquide rendu en cours de cuisson. Le plat va cuire doucement à four moyen. Une trop grande chaleur initiale dessèche le mélange et donne un affreux goût de brûlé aux courgettes sacrées.
Courgettes farcies – ce plat se réalise avec des courgettes longues de taille moyenne (5-6 cm) dont la peau doit être encore bien tendre (elle se perce facilement avec un ongle). On coupe les courgettes en deux dans le sens de la longueur et on enlève le cœur (graines et fibres) avec une cuillère. Si l’on a du temps devant soi, on met un peu de gros sel sur chaque demi courgette et on leur fait rendre leur eau pendant une heure environ. On peut profiter de ce répit pour préparer une farce succulente. De nombreuses options sont possibles, végétariennes ou non. On peut reprendre le même type de mélange que pour des tomates farcies : riz cuit, viande de bœuf, chair à saucisse, épices… ou en profiter pour innover un peu. Les farces à base de quinoa pré-cuite ou de flocons de céréales variées sont délicieuses. Si l’on choisit une option végétarienne, on peut ajouter du fromage de chèvre écrasé ou émietté, du tofu (bof !), ou simplement des œufs et des épices variées. Il faut veiller à ce que la farce soit suffisamment compacte pour qu’on puisse former une sorte de quenelle à disposer sur chaque courgette. Si l’on a été trop généreux en liquide (eau pour le gonflage des flocons, lait ou yaourt) la farce va s’étaler puis déborder de son support. La cuisson se fait au four à température moyenne et elle doit être assez longue. Le plat est prêt lorsque la farce est légèrement dorée et que la pointe du couteau pénètre facilement dans le légume. Les courgettes rondes sont souvent utilisées pour ce type de préparation, mais comme c’est d’un « classique » et d’une « banalité » navrante, j’ai préféré vous proposer l’option courgette longue.
Gratin de courgettes – La meilleure façon d’utiliser ce légume lorsqu’il est gros. Dans ce cas, mieux vaut peler et égrainer les fruits. on les coupe en morceaux que l’on fait cuire à l’étouffé (rappel = sans eau), à feu doux, juste avec un peu de sel. Cela prend un certain temps pour que les cubes s’écrasent facilement à la fourchette et que l’eau en excédent s’évapore. Plutôt que d’utiliser une hotte, ouvrez plutôt la porte de votre cuisine (ou la fenêtre) ; la vapeur d’eau s’échappant de la marmite pourra alors librement monter au ciel. Arrivée dans la haute atmosphère, elle se condensera, formera des nuages et, lorsque les conditions jugées nécessaires par les météorologues de météo France seront réunies, il pleuvra des courgettes… On peut aussi égoutter ses courgettes cuites dans une passoire et perdre ainsi une partie du précieux liquide qui les compose. Sachez que dans ce cas vous perdez une bonne partie des sels minéraux que contient ce légume généreux. Mieux vaut faire réduire un peu et préparer une liaison plus épaisse si la purée est très aqueuse. En ce qui concerne la liaison, eh bien on fabrique une pâte à crêpes un peu épaisse en mélangeant 4 œufs, un verre de farine et du lait (en quantité variable selon la texture dont on a besoin pour épaissir la pâte – ça c’est le coup de main du cuistot). On mélange soigneusement courgettes et liaison, sans employer de mixer : le simple fait d’ajouter la farine change la consistance. On verse dans un plat à gratin ; on ajoute l’un des délicieux fromages rapés mentionnés dans un paragraphe antérieur ; on fait cuire à four chaud jusqu’à ce que la croûte soit dorée. Selon le goût de chacun on peut ajouter différentes épices : noix de muscade, cannelle, cumin, poivre ou paprika agrémentent agréablement le gratin (grr ! grr ! grr ! difficile à prononcer, heureusement qu’il s’agit là d’une transmission de savoir par écrit…).
Terrine de courgettes – Une façon plus raffinée encore d’utiliser la chair des grosses courgettes. De plus, ce plat a le mérite de se manger froid, ce qui est bien agréable en saison estivale. Pour débuter la préparation, il faut d’abord faire cuire les courgettes (même méthode que pour le gratin) puis leur faire rendre leur eau en les pressant dans une passoire. Inutile de vous dire qu’il faut une quantité importante de fruits pour obtenir un volume de purée correct. Un camion de courgettes doit procurer à peu près une brouette de matière sèche, ce qui explique que ce légume soit vivement recommandé dans le cas des régimes amincissants (par contre, gare aux ingrédients ajoutés dans nos préparations – l’Alpenzell ou la tomme d’Abondance ne figurent pas dans la bible des régimes minceur). Pendant que vos rondelles (de courgette) mijotent, mélangez 3 œufs, 1 yaourt et 100 à 150 g de mie de pain. Ajoutez votre préparation aux courgettes cuites, épicez (muscade, poivre, cumin) et malaxez bien. Remplissez un moule à cake puis faites cuire pendant 45 minutes à four moyen (180 ° c’est pas mal). Laissez refroidir puis mettez votre plat au réfrigérateur jusqu’au lendemain. Servez froid avec un coulis de tomate : c’est extra et vous m’en direz des nouvelles…
Le créateur contempla son œuvre et s’aperçut qu’il vous avait dévoilé sept recettes différentes pour préparer ce divin légume : une pour chaque jour de la semaine. Certes, il n’avait pas parlé des tagliatelles de courgettes, de la soupe (froide ou chaude) ou du clafoutis aux courgettes et à la tomme de chèvre, mais chaque chose en son temps. Rien n’empêchait un addenda à cette brillante chronique pendant la décennie à venir… Le créateur se dit qu’il avait rendu grand service à l’humanité et qu’il méritait bien quarante jours de repos. Il soumit son charabia à sa correctrice préférée, puis s’empara d’une bière fraîche, d’un polar bien ficelé, et se livra sans vergogne à l’un de ses vices favoris. Chose odieuse s’il en est : il s’avérait, en page 47, que l’assassin avait dissimulé son arme dans une courgette opulente. Certains êtres abjects ne reculaient vraiment devant aucune pratique barbare… La sieste terminée, promis, le créateur écrirait au brillant Saint-Nicolas pour qu’il nous ponde une loi à ce sujet…
NDLR – Merci aux marchands de graines potagères pour leur aimable participation à l’illustration de cette chronique culturelle. Ceux qui sont avides de culture maraichère et gastronomique peuvent aussi se rapporter au petit livre « Courgettes, je vous aime… », de Béatrice Vigot-Lagandré aux éditions du Sureau. C’est très complet ; il est dommage que l’auteure ne connaisse pas la courgette du Charbinat ; elle serait au bord de l’extase… Une seule réserve en ce qui me concerne : la confiture de courgettes… euh… permettez que je tape en touche !
5 Comments so far...
la Mère Castor Says:
15 juin 2010 at 18:03.
Non seulement c’est un festival, mais ça répond précisément à ma question du jour : comment diable cuisiner les courgettes ? Ma recette du jour : des rondelles de tomates (je sais, ce n’est pas la saison, mais elles sont bios et on me les a données) étalées sur une plaque et cuites au four avec de l’huile d’olive, des courgettes en lanières (faites à l’économe) cuites à la vapeur, et dans un plat, une couche de tomates, une de courgettes, on intercale du fromage de chèvre frais touillé avec du basilic et de l’huile d’olive, on recommence un tour de légumes, au four 10 minutes, et hop. Un peu long (comme mon commentaire, mais c’était pour partager) mais bon.
Paul Says:
15 juin 2010 at 19:39.
@ Mère Castor – Un commentaire peut être long quand il a un contenu aussi alléchant ! Miam ! On va pas tarder à expérimenter je crois !
Zoë Says:
16 juin 2010 at 11:32.
Justement, hier soir, j’ai fait une tarte composée comme suit : courgette découpées en tranches, caroottes itou, lanière de jambon, le tout placé sur un fond de pâte feuilletée, mélanger caviar de tomate et de basilic (j’ai un producteur qui fait ça si bien) allonger avec un peu d’eau, mouiller les légumes, disposer des lamelles de fromage de chèvre ou tout autre fromage et passer au four.
Je retiens les recettes, moi aussi j’adore ce légume.
Ah tiens, on a des mots barrières désormais : Kyong stomp!
Paul Says:
16 juin 2010 at 12:12.
@ Zoë – bravo, excellent, continuez ! J’adore les chroniques qui se prolongent dans les commentaires. A la fin de l’été, je sors un bouquin et j’empoche les millions d’euro de droits d’auteur !
Plus sérieusement, voici encore une recette qui met l’eau à la bouche… La production des courgettes démarre dans mon jardin et comme chaque année j’espère bien qu’elle sera colossale histoire de ne pas ternir ma réputation. Venez nous voir, vous ne repartirez pas les mains vides !
fred Says:
17 juin 2010 at 09:09.
Le grand ZIHOU est à la courgette ce que Forrest Gump est à la Crevette !