17 juin 2010
Mazette… on n’est pas sortis de l’auberge
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique .
Où le chroniqueur de la « Feuille Charbinoise », se croyant hors de la mêlée, se défoule allègrement sur le dos de ses compatriotes, avant de se ressaisir grâce à une conclusion pleine d’espoir et de philosophie…
J’ai écouté la radio une fois de trop. « Les Français sont résignés » martelait le commentateur-chroniqueur-agent de com de l’Elysée. Les Français sont résignés à gagner moins, travailler plus, partir à la retraite dix ans plus tard, manger des épluchures plutôt que des pommes de terre, payer pour l’éducation de leurs gosses, aller aux urgences à cent kilomètres de chez eux, à la Poste juste un peu plus près… Les Français sont résignés : tant qu’ils pourront allumer leur télé, trouver du charbon de bois pour leur barbecue, et dire du mal des fonctionnaires ou des voisins maghrébins à la concierge de leur immeuble, ils accepteront le dos courbé les sanctions que leur infligent les nouveaux maîtres de la finance et du cynisme. Irrespirable l’air des grandes villes, immangeables les fruits qu’on leur vend à prix d’or, imbuvable l’eau du robinet, inacceptable le salaire à la fin du mois ? Tant qu’il y aura du foot à regarder, des faits divers à savourer, des miss Univers à acclamer… peu importe le reste. Le pays est devenu une gigantesque fumerie d’opium ; une masse de citoyens vieux dans leur tête avant même de l’être dans leur corps se vautrent sur un immense canapé, une bière dans la main et la télécommande dans l’autre. Zapper la misère, zapper l’injustice, zapper l’arbitraire, zapper… zapper… jusqu’à plus soif, jusqu’à trouver les images apaisantes de clinquant et de toc, de paillettes et de biftons… Valeureux sont les quelques énergumènes qui ont encore la force de gueuler dans cet océan de mièvrerie et de fadaise.
J’éteins la radio.
J’ai lu la presse quotidienne une fois de trop. Les Français sont résignés nous dit-on, mais Bernard Thibaut, lui, est indigné. Il déplore la perte constante et accélérée des acquis sociaux que ses aïeux avaient conquis. Il dénonce le recul considérable que représente la réforme des retraites en cours. Le pire c’est qu’il arrive à déclamer ses grandes tirades anti-gouvernementales sans avoir l’aire de rire… Il a la mémoire courte le Nanard. Il ne se rappelle déjà plus les efforts conséquents qu’il a faits en 2003 avec son état-major de campagne pour torpiller la lutte en cours contre les projets gouvernementaux concernant… les retraites justement. Il ne se rappelle sans doute déjà plus les efforts désespérés pour saboter toute tentative de grève générale reconductible et les appels répétés à une petite grève de 24 h tous les quinze jours pour marquer le coup, garder une image de syndicat de lutte, exaspérer l’opinion et fatiguer les salariés. Une époque singulière où le dénombrement des manifestants par les syndicats était inférieur à celui de la police… D’étranges marchés se sont passés à cette époque-là dans les salons parisiens, entre les bonzes de la CFDT, de la CGT et les négociateurs gouvernementaux. On a tant et tant répété aux Français que leur avenir était dans les urnes et leur présent à la téloche qu’ils ont perdu certaines habitudes plutôt saines de leurs aînés… Certes on occupe encore des lieux de travail, on séquestre, on menace… mais quel courage il faut avoir face à la torpeur des instances syndicales et au silence méprisant des journaleux ! Pas facile de tenir un mois en grève quand les baveux de la presse vous désignent chaque jour à vos concitoyens comme l’ennemi public numéro 1 à abattre. Les cheminots en savent quelque chose !
A la chaudière le journal, dans la mesure où ce n’est pas du papier glacé !
Alors, face à la misère croissante, le système D, la débrouille… on achète toujours autant, mais on cherche les prix les plus bas, sans réfléchir plus loin que les quelques piécettes que l’on a dans son porte monnaie. On ne fait pas attention au fait que l’on pousse ainsi les paysans à proposer des produits d’une qualité toujours plus médiocre et que l’on arme les distributeurs pour tirer dans le tas de ces mêmes producteurs. Chaque fois qu’une grande surface baisse le prix d’un kilo de fruits de 50 c, le producteur, lui, touche un euro de moins. Il fut une époque où le paysan pliait bagage quand il n’en pouvait plus et partait bosser à l’usine, mais des usines il n’y en a plus. Les porte-containers déversent à flots dans les ports gigantesques les produits « made in ailleurs », que fabriquait l’usine du coin. Peu importe la qualité, pourvu que cela brille… Peu importe les conditions de travail de l’ouvrier chinois ou pakistanais, peu importe que l’on provoque son propre licenciement, chaque être humain a le droit d’avoir la même quantité de cochonneries que son voisin, pourvu que cela étincelle. « On ne fabrique plus rien en France » me dit mon voisin en exhibant fièrement sa trousse à outils toute neuve « made in Taïwan ». « On ne trouve plus de boulot ; moi, ma spécialité, c’est la métallurgie ; eh bien, dans la métallurgie, ils n’embauchent plus ! » se plaint le beaufre d’à côté en constatant que sa perceuse fume comme un pétard du 14 juillet. Liquidation du tissu industriel, liquidation du tissu agricole… il n’y aura bientôt plus que quelques emplois dans le tertiaire : un pays de commerçants achetant les uns chez les autres des produits que l’on ne fabrique plus mais que l’on se fait voler et qu’il faut donc assurer : vendeurs, assureurs, banquiers, gendarmes et voleurs… Je ne suis pas certain que ce système puisse fonctionner longuement… Sans parler de ce que les réserves en matières premières de la planète pensent de tous ces trucs qu’on change sans arrêt parce qu’ils cassent ou parce qu’ils sont démodés… La planète on s’en fout et puis les émissions de Nicolas Hulot et d’Arthus Bertrand sont si belles ! Le rapport avec les tonnes d’ordure que l’on bazarde chaque semaine ? Aucun… Pourquoi tu me demandes ça, chérie ?
J’ai allumé la télé une fois de trop. Les hommes politiques commencent à trépigner ! Leur bave dégouline sur l’écran ; c’est nettement plus dégoûtant que les escargots. Lorsque Roland aura terminé sa coupe et que le critérium de tennis de Mongolie Orientale sera bouclé, il sera grand temps de passer au prochain round du grand spectacle de la politique fiction : les présidentielles… Elles ne tarderont pas à arriver. Les journaleux sont déjà au boulot pour expliquer aux Français à quel point cette opération doit les passionner… Les paris en ligne sont autorisés, n’hésitez pas à miser vos euro sur les bons chevaux. Les moutons le savent bien : tous les tondeurs ne travaillent pas de la même façon, mais au bout du compte, il ne leur reste pas plus de laine sur le dos. Alors les futurs concurrents frétillent : la silhouette du grand seigneur Villepin se profile derrière celle du bateleur, collectionneur de montres, actuel ; l’ombre de Strauss Kahn apparait derrière la silhouette gracieuse de Mme Aubry (à moins que ce ne soit celle de cette chère Ségolène…) ; les outsiders d’extrême gauche et d’extrême droite espèrent créer la surprise… Un suspens terrible ; un spectacle de premier choix…. Je n’en doute pas et je suis assez admiratif, pour un fois, à l’égard des journalistes qui vont essayer de convaincre le bon peuple de l’intérêt de la chose électorale et du fait que c’est Strauss Kahn qui incarne le mieux « l’espoir pour la gauche ». Imaginez un peu à quel point c’est bandant de voir la tronche omniprésente de Sarkozy remplacée par celle du « si télégénique » DSK. Centre droit, centre gauche, gauche du centre, droite du milieu, j’avoue franchement, je me tâte, je me tâte… J’attends avec impatience les arguments de ceux qui vont m’expliquer, l’air un peu affligé, qu’il faut « absolument » voter pour l’actuel président du FMI, chancre du socialisme, au second tour, afin d’éviter la victoire de cette droite néo-libérale et cynique qui vient de plumer les Français pendant 5, 10, 15…. années d’affilée. Je rentre les épaules pour être prêt à assumer les injures diverses que l’on profère à l’égard des abstentionnistes congénitaux dont je fais partie : « collabo », « Versaillais », « suppôt de Satan, Le Pen, Bayrou » (au choix). Perso, je serai plus branché par une compétition genre triathlon simultané brasse, vélo, tennis… Ce soir-là promis, je me collerai devant la télé avec une provision de bière de la brasserie locale et je baverai, les yeux injectés de sang, en hurlant mon soutien à l’équipe de France composée pour l’occasion. Autre fantasme pervers, je me dis que le jour où les philatélistes gouverneront le monde à la place des « footeux » on aura une émission tous les soirs en direct sur les sorties de timbres, les « enveloppes premier jour », ou l’avantage de l’auto-collant sur le truc à lécher…
Au panier la télé ou alors contentez-vous des reportages sur le panda géant. C’est mignon.
Retour à la case sérieuse… Pour l’instant, nous vivons dans l’attente, un singulier mélange de découragement et d’espoir. Cela donne une furieuse envie de ne plus s’intéresser qu’au désherbage de ses carottes et à la lecture du dernier roman à la mode… Du haut de la tour nous ne voyons pas venir l’étincelle qui pourrait embraser le feu qui couve. Les flammes sont maigrelettes et le dispositif anti-incendie trop efficace. La mainmise des puissances d’argent sur les médias est quasi totale et elle est redoutable. On monte en épingle certains faits mineurs tandis que d’autres, primordiaux, sont passés sous silence. On feint de présenter objectivement certains événements, puis peu à peu, on dénature ce que l’on a présenté au départ en choisissant habilement certaines formulations, certaines images, certains témoignages. Il suffit d’observer avec quel talent nos commentateurs politiques ont présenté, puis manipulé l’information sur l’affaire de la flottille pour Gaza : l’importance du choix des mots, la multiplication des insinuations perfides… J’en reparlerai dans le prochain « bric à blog » mais vous pouvez lire, en attendant l’excellente analyse réalisée par ACRIMED (*). C’est édifiant. On peut être étonné qu’après une telle présentation des faits, une bonne partie des sujets de sa majesté Sarkozy soient encore convaincus de la responsabilité des Israéliens dans cette affaire « mineure ».
Tout est sous contrôle et les citoyens applaudissent des deux mains à la moindre exaction policière ? Pas si sûr… Il faut se méfier des clichés et des simplifications. Un coup d’œil dans le passé peut s’avérer instructif… Certes, à l’époque, il n’y avait pas le JT mais quand même… En 1750, les paysans français applaudissaient au passage des carrosses conduisant à Versailles les nobliaux enrubannés. En 1789, ils piquaient les fesses de ces mêmes intouchables et boutaient le feu à leurs demeures séculaires. Je choisis cet exemple, non pour suggérer le fait qu’il faut obligatoirement recommencer ce qui a déjà été fait ou repasser par les mêmes cheminements : en bref, je ne suis pas un fan de la guillotine à tout va… Je veux simplement exprimer l’une de mes convictions profondes : il faut se méfier de l’océan lorsqu’il paraît trop calme… Je crois que, malgré toutes les bassines de découragement que l’on nous déverse sur le dos, il nous faut garder confiance en un avenir meilleur. Il nous faut aussi témoigner la plus grande défiance à l’égard de l’image que les sondages sur commande donnent de nos concitoyens. Comme le disait Oscar Wilde, « l’opinion publique n’existe que là où il n’y a pas d’idées ». La route est longue et l’on n’est certes pas sortis de l’auberge, mais s’il y a bien une chose qu’il ne faut pas accepter, c’est la résignation. Notre destin nous appartient : nul ne peut en être le maître à notre place. Si vous avez des doutes concernant cette assertion, lisez l’excellentissime ouvrage d’Elisabeth Weissman, « la désobéissance éthique », chez Stock. Je suggère aux instituts de sondage de s’adresser aux gens dont il est question dans ce livre : les réponses à leurs questions vicieuses seront sans doute fort différentes !
C’est promis, je rédige bientôt une chronique « lecture d’urgence » : mon panier déborde de livres peu recommandables à vous recommander… Et puis la météo du moment encourage la lecture !
Post scriptum : avec cette actualité tourbillonnante, je n’ai guère le temps de vous parler d’Eurosatory, le salon des marchands de mort. Pas grave, je l’ai déjà fait par le passé et il n’y a rien de neuf sous le ciel militaire : même les budgets ont une mine resplendissante. Un détail macabre, cette année le salon a lieu du 14 au 18 juin. 14-18 l’ont quand même pas fait exprès ?
Note – (*) deux articles à lire : « Raid sanglant de l’armée israélienne : quelques « bavures » médiatiques » – « Raid sanglant de l’armée israélienne : France 2 à l’assaut de l’information«
4 Comments so far...
Zoë Says:
19 juin 2010 at 21:41.
Je suis comme vous Paul, je refuse de me résigner. J’évite la télé, je n’échappe pas au matraquage radiophonique (aujourd’hui toute la journée, Anelka exclu, trop grossier, vilain pas beau, pfff). Si le choix est Sarkosy, DSK, j’admet que voter ne veut rien dire. En attendant je fais ma petite part d’agit prop comme vous j’imagine. Qui sait quelle houle peut se lever in fine.
Tout à fait autre chose. Je ne croise plus Lavande sur le Net. J’espère que cette absence n’est pas due à quelque problème. Juste qu’elle fait autre chose, ou visite d’autres blogs. Faites lui mes amitiés.
lead retreat est le mot de passe !!!
Lavande Says:
20 juin 2010 at 17:51.
Bonjour Zoë! Votre préoccupation m’a fait plaisir. Ça prouve que les amitiés sur la toile, pour virtuelles qu’elles soient, existent quand même bien.
Mon activité blog ces temps-ci a effectivement baissé. Des blogs que j’appréciais ont disparu (Dexter, les Libres) d’autres sont en régime ralenti (l’Arbre). Ma motivation à participer baisse un peu. Ajouté à quelques problèmes familiaux, tout celà fait que je me manifeste moins. Mais l’envie en reviendra!
Paul Says:
21 juin 2010 at 07:18.
@ Zoë et Lavande – Merci pour vos deux interventions. Il est certain qu’il y a un ralentissement de l’activité « blog » du moins dans le réseau que je fréquente. Ici, sur la Feuille Charbinoise, le nombre de consultations a diminué d’un bon tiers, la baisse étant surtout marquée le week-end. Il y a beaucoup de nouveaux/elles lecteurs/trices, mais peu se manifestent par le biais des commentaires par exemple. De la même façon, le nombre de courriels privés reçus sur la boîte de « La Feuille » a singulièrement baissé aussi. Le nombre de « spams » avait par contre augmenté à un tel point que j’ai été obligé de rétablir la procédure de contrôle. Je trouve cela tannant mais je trouve encore plus rasoir d’avoir à effacer des dizaines de messages idiots chaque semaine. Je crois que ce ralentissement des échanges sur les blogs est lié à une certaine lassitude et à pas mal de découragement. Sur les sujets d’actualité, soit les gens s’empoignent et s’invectivent comme des lutteurs de foire, soit c’est le silence radio. Au Québec, Normand Baillargeon, que j’apprécie, a stoppé son activité bloguesque et c’est dommage. Soit l’été est précoce (ce qui ne se voit pas dans le ciel) et l’activité repartira à la rentrée, soit le ralentissement risque de durer pas mal de temps ; on verra. En ce qui nous concerne, on continue notre petit bonhomme de chemin…
Zoë Says:
21 juin 2010 at 10:20.
Bonnes nouvelles de Lavande, tant mieux. Je comprend la baisse d’intensité étant moi-même en rour libre sous l’arbre. La feuille est toujours aussi passionnante, donc elle doit continuer, même si on ne commente pas toujours. Bien vous tous deux.