26 juillet 2010

Amy Johnson, une pionnière parmi d’autres de la conquête du ciel

Posté par Paul dans la catégorie : aventures et voyages au féminin; Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire .

Nombreuses sont les femmes pilotes qui ont joué un rôle essentiel dans le développement du transport aérien, même si les historiens de l’aéronautique, des hommes pour la plupart, ont mis longtemps à s’en apercevoir. Certaines de ces héroïnes de la conquête du ciel ont fini par laisser leur nom dans l’histoire, d’autres sont encore largement méconnues. Certes on entend moins parler d’Amelia Earhart et de Jacqueline Auriol, que de Charles Lindberg ou de Jean Mermoz, mais leurs patronymes évoquent en général quelques souvenirs dans nos mémoires. Elles sont cependant peu nombreuses, ces femmes pilotes dont nous avons conservé la trace. Avec l’habitude qui s’est installée petit à petit dans ce blog d’emprunter des routes secondaires et des chemins sinueux pour parler d’histoire, il fallait bien que je vous raconte un jour celle de l’une de ces aventurières mal connues, et j’ai jeté mon dévolu sur Amy Johnson. Sa contribution au développement des liaisons aériennes n’est pas négligeable puisqu’elle est la première aviatrice à avoir assuré la liaison Grande-Bretagne / Australie, en volant seule de Londres à Darwin, en 1930. Cet exploit s’ajoute à deux autres de ses titres de gloire : avoir été la première femme à obtenir une licence d’ingénieur en aviation, et ce en 1928 ; avoir relié, deux ans après son vol vers l’Australie, Londres à Capetown en Afrique du Sud.

Amy Johnson est née le 1er juillet 1903 à Kingston-upon-Hull, en Angleterre. Ses parents travaillaient dans l’industrie des pêches. Elle a suivi une formation universitaire en économie et a obtenu un diplôme  de la faculté de Sheffield. Elle s’est très vite aperçue qu’elle ne trouverait pas d’emploi à la hauteur de sa qualification dans sa spécialité et a suivi une formation en secrétariat, ce qui est une démarche beaucoup plus conventionnelle pour une jeune fille à son époque. Cette nouvelle orientation professionnelle lui permet de trouver rapidement un emploi à Londres, mais ce quotidien trop tranquille et routinier ne lui convient guère. Pendant ses loisirs, elle s’intéresse au pilotage bien que la pratique de ce sport ne soit guère encouragée pour les jeunes femmes. Rares sont les écoles qui acceptent de faire passer leur brevet de pilote aux demoiselles, fussent-elles issues de la bonne société… Tout cela n’est qu’excentricité et exhibitionnisme selon la morale en usage, et la place des femmes n’est pas dans la carlingue des avions… Le London Aeroplane Club finit quand même par lui décerner son brevet à la fin de l’année 1929. Son instructeur a eu l’idée singulière de lui dire que le seul moyen pour une personne de sexe féminin de trouver un engagement commercial dans le secteur, c’est de se faire remarquer, au préalable, en accomplissant quelque exploit de nature à intéresser les journalistes. Ce conseil ne tombe pas dans l’oreille d’une sourde… Dès l’année suivante, bien qu’elle n’ait qu’une expérience limitée, Amy Johnson décide de se lancer dans ce projet fou de relier Londres à Darwin, par un vol en solitaire dans un avion monomoteur. Grâce à quelques subventions, elle achète un appareil d’occasion, un Gypsy Moth, construit par les usines De Havilland. L’avion est baptisé « Jason » pour l’occasion. Il a déjà pas mal d’heures de vol à son actif, et il faut le modifier pour lui permettre d’accomplir des étapes de longue durée. Il faut notamment lui ajouter des réservoirs d’essence sous les ailes… La jeune aviatrice de 27 ans se prépare à son expédition. Elle ne peut emporter qu’un volume de bagages très limité, d’autant qu’il faut prévoir un minimum d’outillage pour effectuer les travaux d’entretien incontournables. A ce kit de premiers secours mécaniques, elle ajoute un fusil pour assurer sa sécurité personnelle et un minimum de ravitaillement. Certaines des étapes de son vol sont prévues à l’avance, mais d’autres dépendront de sa fatigue et de la résistance de l’appareil. Amy choisit un itinéraire passant le plus possible au dessus de la terre ferme, évitant chaque fois qu’elle le peut les longs survols d’étendues d’eau, toujours risqués.

Le trajet qu’elle va suivre représente une distance totale de plus de 16 000 km. Le Gypsy Moth vole à une vitesse maximum de 170 km/h et dispose d’une autonomie de 700 km environ… Elle s’envole vers le Sud-Est, survolant l’Europe, puis l’Asie puis se dirige vers le Sud, la Malaisie, l’Indonésie. La partie la plus dangereuse, c’est l’étape finale, la traversée de la Mer de Timor pour arriver sur les côtes australiennes… 19 jours de vol dans des conditions souvent difficiles avec des atterrissages de fortune dans la savane pour réparer un moteur endommagé par les tempêtes de sable. Lorsqu’elle décolle de l’aérodrome de Croydon, le 5 mai 1930, Amy Johnson est totalement inconnue du grand public. A son arrivée à Sidney, le 24 du même mois, elle est devenue une héroïne nationale : radios et journaux ont largement couvert l’événement au fur et à mesure que les informations concernant le voyage leur parvenaient. Le quotidien Daily Mail va même jusqu’à lui offrir une prime de dix mille livres sterling. L’année suivante, en 1931, avec un copilote, Jack Humphreys, elle effectue le trajet Londres Moscou en une journée, puis elle continue ensuite  jusqu’à Tokyo. En 1932, elle épouse un aviateur britannique, James Mollisson, amateur d’exploits lui aussi. Quatre mois après son mariage, elle décide de battre le record de vitesse sur la traversée Londres-Capetown (Afrique du Sud) – record justement détenu par son mari, James Mollisson !  Elle effectue le vol un première fois avec Humphreys comme copilote, puis une seconde fois, en solitaire, quelques années plus tard, en 1936. Les records se succèdent…

En juillet 1933, elle effectue une traversée de l’Atlantique avec son mari, à bord d’un De Haviland Dragon, mais l’avion a quelques ennuis à l’atterrissage à Bridgeport dans le Connecticut. Une panne d’essence contraint l’équipage à poser l’appareil en catastrophe. Les deux passagers sont blessés, mais heureusement sans gravité. La série noire continue cette année là puisque l’avion qu’ils se sont procuré pour le vol retour, s’écrase, lui aussi, mais au décollage cette fois. C’est l’âge d’or de l’aviation, mais la technologie a parfois des ratées et les accidents sont nombreux. La liste est longue des pilotes qui paient de leur vie des défaillances techniques de leur appareil ou des erreurs de guidage à cause de radios peu performantes ; disparaissent ainsi des aviateurs/trices chevronnés/ées comme Amelia Earhart, Jean Mermoz ou Charles Nungesser quelques années auparavant. La popularité d’Amy est immense en Grande Bretagne, depuis son vol spectaculaire jusqu’à Sidney. Une chanson, « Amy wonderful Amy » est même composée en son honneur. Dans les journaux où elle s’exprime de temps à autres, ses propos étonnent et questionnent le public. Lorsqu’on lui demande ce qu’elle pense des femmes et de l’aviation, par exemple, elle répond « les femmes manquent de confiance en elle-même, mais on peut leur faire confiance ». D’une façon générale Amy Johnson se prête fort peu au jeu médiatique et reste plutôt discrète. Il faut dire que sa vie est bien remplie. Les projets succèdent aux projets. Certains marchent, d’autres non. La disparition d’Amelia Earhardt en 1937 la marque profondément et elle décide de renoncer aux « records ». Le transport aérien se banalise et les réussites les plus spectaculaires soulèvent moins qu’avant l’enthousiasme du public. En 1939, en pleine dépression et en proie à de sérieuses difficultés financières, elle se sépare d’un mari qui, finalement, ne se préoccupe que fort peu de son sort.

Elle meurt, en janvier 1941, à l’âge de 37 ans, dans des circonstances plutôt surprenantes. Après avoir sillonné presque tous les continents en avion et survolé d’immenses étendues d’eau, au cours de sa brève existence, elle va périr noyée dans la Tamise. Cette fin singulière justifie quelques explications. A l’entrée en guerre de la Grande Bretagne, Amy Johnson, comme beaucoup d’autres pilotes civils, s’engage dans la RAF. Les femmes pilotes ne sont pas autorisées à piloter des avions de combat, mais jouent le rôle fort utile de convoyeuses (Air Transport Auxiliary). Par exemple, elles livrent sur les terrains, les avions neufs qui sortent d’usine et vont permettre de remplacer ceux qui ont été détruits. La tâche n’est pas exempte de dangers, car, très souvent, elles effectuent de longs trajets à bord d’appareils désarmés et dépourvus de radio, dans un ciel où les avions ennemis rôdent parfois. Si des progrès techniques importants ont été accomplis au cours de la dernière décennie, les défaillances sont encore fréquentes. Petit détail historique mais non point anecdotique, les convoyeuses de l’ATA britannique sont parmi les premières femmes à être payées avec un salaire identique à celui de leurs partenaires masculins. Elles représentent le huitième environ des effectifs du service. Amy Johnson décolle de l’aérodrome de Hatfield, à côté de Glasgow, pour une mission de routine. Elle pilote un Airspeed Oxford qu’elle doit convoyer à la base de la RAF de Prestwick. Sur cet aérodrome, elle prendra en charge un autre Oxford qu’elle ramènera à Kidlington. La première partie du trajet est effectuée sans difficultés, mais la météo est mauvaise. Sa chef de service lui propose d’abandonner la seconde partie de la mission, mais Amy refuse. Elle volera malgré le mauvais temps. A cause des intempéries, elle dévie sans doute du trajet qu’elle devait suivre. Son avion tombe en panne d’essence et elle saute en parachute à la verticale de l’estuaire de la Tamise. Elle ne porte pas de gilet de sauvetage. Malgré des secours assez rapides (le capitaine du steamer HMS Haslemere qui a aperçu la parachutiste, plonge pour lui porter secours, mais en vain), la jeune femme se noie et son corps disparait, emporté par le courant. On ne la retrouvera jamais. Seuls quelques débris de l’avion seront récupérés ainsi qu’un sac de voyage portant ses initiales… Amy Johnson est la première femme de l’ATA tuée au cours d’une mission pendant cette guerre. L’émotion est grande dans le public, bien que les gens aient de nombreuses autres préoccupations. En 1942, un film est tourné pour retracer sa carrière et immortaliser ses exploits.

Chaque fois qu’une personnalité disparait dans des conditions un peu mystérieuses, sa mort entraine la création de légendes populaires. Cela n’a pas manqué pour Amy Johnson comme pour Amelia Earhardt et les choses les plus farfelues ont été racontées. Une piste singulière a été cependant ouverte par la déclaration d’un artilleur de la défense côtière. Sur son lit de mort, en 1999. L’homme a annoncé qu’il avait abattu l’avion de Miss Johnson, le pilote n’ayant pas renvoyé les signaux d’identification convenable. Le secret sur cette bavure aurait été conservé à la demande des officiers… Aucune confirmation, ni infirmation de ce récit mentionné sur l’article anglais de Wikipedia n’a été apportée par le Ministère des armées. Peu de gens se souviennent d’Amy Johnson, sauf dans les milieux aéronautiques anglais et australiens, sans doute. L’avion qui lui a permis d’accomplir le premier de ses exploits, le Gypsy Moth « Jason » (photos paragraphes 2 et 3) est exposé au Science Museum de Kensington à Londres. Depuis l’époque héroïque de ces vols « long-courrier » beaucoup d’autres femmes sont devenues aviatrices et certaines, même, ont revêtu le scaphandre des cosmonautes. Il est dommage que le rôle important joué par toutes celles qui les ont précédées, soit encore occulté.

NDLR : plusieurs des documents illustrant cet article proviennent des archives du Kensington Science Museum. C’est le cas notamment de la carte ci-dessous. De nombreuses sources documentaires anglaises sont disponibles sur cette aviatrice. Les documents en français sont plus rares et pas toujours très exacts.

Leave a Reply

 

Parcourir

Calendrier

novembre 2024
L M M J V S D
« Avr    
 123
45678910
11121314151617
18192021222324
252627282930  

Catégories :

Liens

Droits de reproduction :

La reproduction de certaines chroniques ainsi que d'une partie des photos publiées sur ce blog est en principe permise sous réserve d'en demander l'autorisation préalable à (ou aux) auteur(s). Vous respecterez ainsi non seulement le code de la propriété intellectuelle (loi n° 57-298 du 11 mars 1957) mais également le travail de documentation et de rédaction effectué pour mettre au point chaque article.

Vous pouvez contacter la rédaction en écrivant à