31 mars 2008
Triste histoire patagonique
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour .
Les sentiments de l’opinion publique évoluent au gré des coups de projecteurs que donnent les médias sur tel ou tel événement ou sur telle ou telle région du globe. On pleure sur le Tibet, on s’indigne sur un massacre particulièrement odieux au Moyen Orient (en appliquant quand même la règle de correction que j’avais expliquée dans ma chronique « le poids des morts ») ; on s’inquiète sur l’envoi possible d’un contingent de soldats supplémentaire en Afghanistan… Lorsqu’une guerre, une lutte quelconque ou une catastrophe ne sont pas sous le feu des projecteurs de l’actualité, c’est un grand malheur pour ceux qui sont impliqués dans le processus. Certains ont bien compris l’importance de ce jeu médiatique et l’utilisent de façon diamétralement opposée. Jusqu’à ces dernières années, l’armée israélienne savait fort bien profiter du fait que les journalistes tournaient le dos à la Palestine, pour effectuer un certain nombre d’opérations « douteuses » (maintenant Tsahal n’éprouve même plus la peine de prendre de telles précautions) ; le commandant Marcos, lui, sait que la survie des communautés du Chiapas au Mexique dépend de l’intérêt que leur porte la communauté internationale.
Peut-être avez-vous entendu parler de la lutte des Indiens Mapuches, en Patagonie, non loin de la Terre de Feu, mais ce n’est pas assuré car leurs faits et gestes n’ont pas l’honneur pour l’instant d’être accompagnés par les gros titres du JT de vingt heures ou des couvertures de Marianne et autre Nouvel Obs. Les Mapuches (dont le nom signifie « fils de la terre ») sont une importante communauté indienne vivant depuis la nuit des temps dans la pointe Sud de l’Amérique, principalement au Chili. Leur histoire a toujours été mouvementée car il leur a toujours fallu défendre leur territoire contre les volontés impérialistes de divers conquérants. Les Incas n’ont pas réussi à les soumettre et ils n’ont pas été intégrés dans l’Empire de Cuzco ; quant aux Espagnols, il a fallu de nombreux combats pour qu’ils viennent à bout de ces autochtones résolus. Lors de la guerre d’indépendance du Chili, les Mapuches se sont alliés aux Espagnols car ils ne voulaient pas faire partie du nouvel Etat.
Les territoires sur lesquels vivent les Mapuches se réduisent comme une peau de chagrin, et leur situation sociale est de plus en plus critique. Nombre d’entre eux ont quitté leur terre natale et s’entassent dans les bidonvilles de Santiago, sans emploi et sans revenus. Sur une population estimée à environ un million d’individus, près de cinquante pour cent ont déjà été obligés à migrer vers le Nord du pays. La situation de ces migrants est catastrophique : alcool, drogue, MST… font des ravages dans la communauté. Les Mapuches restés sur place se battent pour récupérer leurs terres ancestrales qui sont peu à peu rachetées, à vil prix, par des compagnies nationales, multinationales ou de riches propriétaires européens, avec la complicité du gouvernement chilien. Les Indiens sont considérés depuis des siècles comme « ignorants, paresseux et alcooliques » et l’immigration européenne a été encouragée pour « valoriser des terres que les Indiens étaient incapables de mettre en valeur ». Le territoire Mapuche est donc grignoté peu à peu et les intérêts économiques prévalent largement sur les droits fondamentaux. Les Indiens ne se laissent pas faire et résistent comme ils peuvent mais leurs luttes sont criminalisées et sont systématiquement placées sur le terrain de la délinquance. Les procès sont truqués et les condamnations particulièrement lourdes.
Beaucoup ont cru, avec la fin de la dictature et plus récemment l’élection de Mme Bachelet que la situation des minorités opprimées allait s’améliorer. La nouvelle Présidente était en effet considérée comme « de gauche » sur l’échiquier politique (rappelez-vous ces images d’embrassades émouvantes avec Ségolène Royal, pendant la campagne électorale !). Elle arrive maintenant au milieu de son mandat et rien n’a changé : l’Etat chilien reste sourd aux revendications de ces citoyens de seconde zone. La répression s’abat sur eux comme au temps d’Augusto Pinochet. Les Indiens sont soumis à un harcèlement policier constant et leur vie ne pèse pas bien lourd. Le 3 janvier dernier, par exemple, lors d’une occupation de terres sur la commune de Vilcùn, un étudiant en agronomie âgé de 22 ans a été tué d’une balle dans le dos par les policiers. Un groupe de 5 prisonniers politiques mapuches a commencé, à l’automne 2007, une grève de la faim pour soutenir les revendications populaires et surtout pour obtenir la libération des détenus qui s’entassent dans les geôles gouvernementales. Mme Patricia Troncoso, par exemple, a commencé sa grève de la faim en octobre 2007 et l’a finalement cessée fin janvier 2008, dans un état physique catastrophique, après intervention d’un évêque qui a fait pression sur le gouvernement chilien pour obtenir un allègement du régime de détention des Mapuches. Deux journalistes français, partis enquêter sur le terrain à Collipulli sur le sort des prisonniers, ont été arrêtés et traités comme des délinquants par les autorités locales. Leur matériel vidéo et leurs enregistrements ont été purement et simplement confisqués.
Des réseaux de soutien existent dans différents pays, notamment en France, en Suisse et au Canada (voir liens en fin de chronique). Plusieurs actions de sensibilisation ont eu lieu, en France, en 2006 et 2007, notamment devant des magasins de la marque Benetton qui fait partie des multinationales impliquées dans le rachat à bon compte des territoires mapuches. D’autres actions montrent que le soutien s’élargit : le 6 mars, le maire de Genève a remis à Flor Rayen Calfunao Paillalef, militante des droits de l’homme et mapuche, le prix « femmes exilées, femmes engagées ». Une pétition, qui a déjà recueilli un nombre important de signatures prestigieuses, circule au Québec. Certes, toutes ces actions n’ont qu’un poids limité face aux enjeux économiques qui ont cours, mais elles permettront peut-être aux Indiens Mapuches de se faire entendre un peu sur la scène médiatique internationale, ce qui augmentera sans doute leurs chances de survie en stoppant le processus d’intégration et d’élimination « à petit feu » actuellement en cours. Signe d’espoir peut-être – mais au fil des luttes et des promesses non tenues les Indiens sont devenus méfiants – le Parlement chilien a enfin ratifié la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail qui reconnaît des droits collectifs aux peuples autochtones…
Pour terminer cette chronique, le témoignage d’une Indienne, Griselda Calhueque, au sujet du comportement des policiers chiliens : « J’élève mes enfants avec les forces spéciales des carabiniers. Ils débarquent constamment sans mandat de perquisition, à 5 heures du matin, donnent des coups dans la porte, cassent les vitres, retournent les matelas, nous mettent dehors avec les petits dans le froid. Si je proteste, je reçois des coups de crosse. Pour eux, nous ne sommes pas des personnes, seulement des sales Indiens. […] Dès que les enfants entendent un bruit d’hélicoptère ou une voiture, ils se cachent, terrifiés. Ils ont peur que la police vienne arrêter leur père… »
NDLR : comme promis voici quelques liens pour approfondir le dossier. « Réseau d’information et de soutien au Peuple Mapuche » – « Mapuches.org » (avec une video : « Benetton et les Mapuches ») – « Appel des Canadien.ne.s solidaires des prisonnier.e.s politiques mapuche » – et bien sûr le site du RISAL (voir dans les liens permanents de ce blog). Les photos illustrant cette chronique sont empruntées aux différents sites de soutien à la cause Mapuche.
One Comment so far...
fred Says:
1 avril 2008 at 12:51.
un des drames de la Patagonie reste quand même l’installation de Florent PAGNY !