29 novembre 2007
Calamity Jane…
Posté par Paul dans la catégorie : tranches de vie locale .
Non, vous n’y êtes pas du tout. Vous n’êtes pas physionomistes ! Ce port altier, ce regard d’acier, cette expression sévère, c’est tout simplement mon arrière grand mère maternelle, Rosalie, celle qui a fait construire la maison en bas de cour, loin de la route, où nous habitons actuellement. Les quelques témoignages que j’ai pu entendre, ou lire, sont formels… Alexandre, son cher et tendre, n’avait pas le choix : obéir ou se faire remonter les bretelles lorsque le travail n’avançait pas. La « mère Martin », l’une de nos anciennes voisines maintenant décédée, nous racontait que lorsqu’elle était jeune, elle travaillait parfois comme journalière pour Rosalie, à la ferme. Lorsque l’arrière grand-mère décidait que le fenil était mal rangé et qu’il fallait que toutes les balles de foin de droite passent à gauche, ce n’était pas la peine de tergiverser. La mère Martin prenait alors un air inquiet (comme si on allait lui faire des reproches) et nous disait : « heureusement qu’il y avait son mari… On montait dans le fenil, on brassait un peu de poussière, puis il me disait d’attendre que l’orage se calme et on s’asseyait sur une botte de foin, bien tranquilles. Moi je me demandais comment tout cela allait finir ! »
Au début du siècle précédant, Rosalie en eut assez de toute l’agitation qui régnait dans le hameau, de tous ces gens qui passaient sur le chemin et lorgnaient par la fenêtre à l’intérieur de sa maison. Il faut dire qu’avant 1914, au Charbinat, tous les foyers étaient occupés et les familles étaient plutôt nombreuses. Une quinzaine d’enfants montaient chaque jour à l’école au village, les femmes se rendaient au lavoir, il fallait conduire les vaches au pré… Donc Rosalie décida que la maison qu’elle habitait était trop petite, très mal placée et qu’il était temps d’investir les économies, c’est à dire l’argent économisé pièce à pièce grâce à la culture du tabac, dans une nouvelle maison, plus grande, et surtout LOIN de l’agitation insupportable du monde. Les choses ne trainèrent pas en longueur, et en 1911, mes arrières-grands parents habitaient le logement neuf.
La ferme du Charbinat possédait à cette époque 5 à 8 hectares de terres agricoles et de boisé. Assez de superficie pour assurer l’auto-suffisance d’une famille et pour lui permettre d’investir dans l’avenir. Non seulement Rosalie et Alexandre payèrent au comptant leur grande maison neuve, mais ils la firent construire en béton et commandèrent de belles huisseries au menuisier du village (les factures conservées dans les archives en témoignent). Leur fortune relative leur permit sans doute de « doter » convenablement ma grand-mère, puisque celle-ci épousa un fils d’instituteur, futur ingénieur des ponts et chaussées de l’époque, et s’éleva donc un peu en dessus de sa condition initiale.
La région de Morestel et de Bourgoin, pour l’essentiel de basses terres marécageuses, était l’une des plus pauvres du département au XVIIIème siècle d’après ce que j’ai pu lire dans les études historiques. Cette situation changea au XIXème. Les gros propriétaires louèrent ou vendirent les terres peu fertiles aux journaliers qui en avaient les moyens, afin d’investir l’argent ainsi récupéré dans la nouvelle poule aux œufs d’or, l’industrie. Les techniques de culture progressèrent et les marais furent asséchés. Sur les terres les plus riches on planta du tabac brun. Cette culture demandait beaucoup de main d’œuvre, mais ne nécessitait pas de grandes surfaces. Elle rapportait chaque année, sous réserve qu’il n’y ait pas de catastrophe naturelle, les liquidités permettant de nouveaux investissements. Le tissage se développa beaucoup également, fournissant du travail pendant les périodes creuses, et permettant aussi d’obtenir un argent que l’on ne dépensait pas au quotidien : le lait de la vache, la viande des cochons, les œufs, la farine et les légumes du jardin alimentaient la table au jour le jour.
La règle du jeu a bien changé de nos jours puisque les fermes du coin, avec une centaine d’hectares, ne tiennent qu’à coup de subventions européennes. La culture du tabac a disparu, une bonne partie de l’élevage aussi et l’assolement triennal se fait avec maïs, maïs et maïs. Je ne sais pas si ce monde qui marche sur les mains, la tête à l’envers, aurait beaucoup plu à Calamity Rosalie !
One Comment so far...
Lavande Says:
29 novembre 2007 at 11:15.
J’ai entendu raconter qu’Alexandre, lorsqu’il parlait de sa femme Rosalie, disait « mon gouvernement ».
Pour les questions délicates c’était : « demandez à mon gouvernement! »