8 octobre 2010
Madame Baluchon-La Feuille vous parle de la Roumanie et surtout du roumain dans le texte…
Posté par Pascaline dans la catégorie : Carnets de voyage; Le sac à Calyces .
Et voilà que monsieur Baluchon – ou monsieur La Feuille – me lance :
« Et si tu rédigeais une chronique sur l’art de parler roumain ? »
Oups ! On était sur un chemin de randonnée et j’en étais plutôt à parler l’ours, là, tous les sens en éveil, surveillant les indices, guettant sous bois le déplacement discret d’une masse sombre. Jusque-là, la présence de chevaux libres, mais non sauvages, avait été un élément fort rassurant de ma quête et notre petite balade se déroulait dans la plus totale sérénité.
J’ai une bonne pratique du français dont je maîtrise en outre plutôt bien les formes argot et québécoise. Au lycée, j’avais acquis un bon niveau en anglais, puis en espagnol, niveaux qu’il me faudrait reconquérir pour affirmer que je parle ces langues.
Envies de voyages aidant, j’ai appris des quantités variées de minimum vital dans d’autres langues. Il ne me reste rien du hollandais si ce n’est la formulation phonétique de “trop cher” qui m’avait tant amusée : “tédur”.
Rien non plus du grec, mais cette langue m’avait fascinée car j’y trouvais sans arrêt les fondements de ma langue maternelle. Ayant touché au latin (et détesté cela, j’étais jeune, j’ignore comment je ressentirais une éventuelle replongée dans une langue dite “morte”, et surtout si complexe !), je m’apercevais, à chaque nouvelle page du voyage en Grèce, de tout ce que le français doit à ces deux idiomes.
Je garde en revanche de très vagues notions d’italien et d’allemand, quelques mots pour ce dernier, le tout acquis à l’occasion de diverses escapades hors Hexagone.
Je ris encore en pensant à cette dame, en Slovénie, à qui j’avais dit dans son parler “je ne parle pas slovène”. “Mais alors qu’est-ce que vous êtes en train de faire ?” m’a-t-elle demandé sans doute, et aujourd’hui je force un peu mon hésitation pour affirmer que je ne parle pas le ceci ou le cela, histoire de mieux convaincre.
Pour le portugais il y a un an, ces multiples expériences m’avaient motivée à faire un réel effort, à tenter d’avoir une vraie capacité à communiquer, même sur peu de sujets.
Me lancer dans la langue roumaine un an après avait un côté décourageant (repartir de zéro, et à quoi m’aura servi le portugais si je ne le parle plus ?) et enthousiasmant. Apprendre une langue étrangère est une activité que j’adore. Est-ce une tare ou une qualité, ça m’est égal !
J’ai donc commencé à me constituer une minuscule bibliothèque de mots, de ces petits mots pour dire bonjour au revoir, que j’ai eu beaucoup de mal à retenir au début, et même à déchiffrer ! Je ne vais pas acheter une méthode complète pour chaque nouveau pays où me traîne monsieur Baluchon (sans d’ailleurs que je lui résiste fort). Il me faut le minimum vital dans un livre de petite dimension, indispensable pour l’avoir partout avec soi.
Mais avant de prononcer quoi que ce soit, il m’a fallu chercher des démonstrations orales sur internet, et j’ai eu du mal à trouver comment prononcer cet étrange parler.
Quant à la qualité de ma prononciation, je nourris des doutes.
Quand j’ai demandé notre route à un brave homme, il me l’a expliquée, puis m’a fait un long discours, à quoi j’ai compris que je devais lui dire “je suis française”. Ce monsieur me trouvait un accent, et je pense qu’il le trouvait tout-à-fait marqué et peut-être même déroutant. Or non seulement il est resté poli, ne s’est pas moqué, mais encore il a sauté sur son vélo quand il a réalisé qu’il nous avait dit “tout droit” là où il nous fallait tourner à gauche. Un kilomètre plus tard, nous potassions la carte, et nous l’avons vu arriver.
Avouons-le, le roumain est une langue difficile.
Dites “i”, en rentrant la langue au fond de la bouche. Il y aurait ce son dans le turc, et aussi dans le roumain. Ça commence bien ! Et ces accents circonflexes dans tous les sens, et ces virgules en bas des lettres ?
Bon, il n’y en a pas des tonnes : le “A” s’écrit de trois façons. Sans accent, avec le circonflexe dans un sens… ou dans l’autre, à l’envers quoi – mais j’ai vu parfois écrit à la place le tildé espagnol. La virgule, elle, se place sous le “S” ou le “T”.
Pour la prononciation, c’est autre chose. Mais à part “copii” qui veut dire enfants ou copies selon l’accent tonique, la position de celui-ci ne semble pas d’une grande importance. Ce terme, “copii”, devrait d’ailleurs être empaillé et placé dans un musée : selon l’article qui l’accompagne, il lui arrive de s’écrire “copiii”, oui, avec trois “i”, et ce n’est pas le petit verre de “palinca” (écrire le deuxième “a” avec un circonflexe à l’envers, prononcer “palinque”) que je viens de déguster qui explique cette graphie surprenante.
J’avance de découverte en découverte : le “s” se prononce tout le temps “ss” sans exception, et “ch” s’il est muni de son appendice que j’ai vu appeler cédille ; le “t”, lui, se prononce “t”, mais muni de sa virgule, se prononce “ts”.
Pour moi c’est passionnant. Mais l’ami que nous nous sommes fait à Sibiu n’aime pas ce “ts” à l’origine slave, rappel d’oppression.
Nous avons rencontré un professeur de français de nationalité roumaine, qui nous a expliqué que pour dire au revoir, “la revedere”, il fallait accentuer la première syllabe. Je suis formelle, certains accentuent l’avant-dernière, d’autres la dernière. Mon professeur a eu une moue indulgente quand je le lui ai dit.
Forts de nos connaissance, nous lui avons demandé s’il trouvait lui aussi une connotation guerrière fréquente dans le vocabulaire d’origine slave, où l’on retrouverait les mots de l’ordre, du commandement…
Il n’a pas relevé la question, mais a été affirmatif pour ce qui concerne le latin. Le vocabulaire originaire du latin concerne la femme et ce qui l’entoure : la maison, la nourriture (dont le pain), la boisson, le fils…
Difficile le roumain ? Et comment !
J’ai fait l’impasse sur les déclinaisons.
Il faut dire que l’on a parfois cherché la difficulté, je cite “Roumain express” de Olimpia Badea et Jean-Yves Conrad édité chez Dauphin :
« Suite à la réforme orthographique de 1993, les “î” à l’intérieur des mots ont été remplacés par des “â”. Par contre les “î” au début des mots ont été conservés. »
Je confirme, nous avons vu des “teren de vînzare” et des “teren de vânzare”. Car cette réforme n’a fait qu’ajouter une écriture supplémentaire, sans supprimer la précédente !
Ce “î” devenu “â” se prononcerait “u”, sous toute réserve.
Et des mêmes auteurs je cite encore :
« Le roumain trouve dans ses origines du latin, du dace, du slave, du hongrois, du grec moderne, du turc, de l’allemand, de la langue tzigane, du latin savant, de l’italien, de l’anglais et du français. »
Notre professeur de français, pour sa part, estimait que les mouvements de la population roumaine, plus récents qu’en France, expliquaient que la langue ne soit, en quelque sorte, pas encore “fixée” comme le français, qui a vu les déplacements de peuples dans une histoire plus ancienne. Oh je sais, les mouvements ne cessent jamais, il ne s’agit que de proportions différentes.
Autre rencontre, autre révélation : la Roumanie se trouvant à l’extrémité orientale d’une unité géographique, et le Portugal à son extrémité occidentale, les peuples les plus baladeurs ont effectué la grande traversée continentale, expliquant les racines communes à ces deux idiomes.
“Bouna zioua” en roumain se dit “bom dia” en portugais, sachant que le son “z” peut glisser vers le son “d”, et puis même : les ressemblances sont évidentes et il n’est pas besoin d’un grand savoir universitaire pour le vérifier. L’abondance des exemples remplace une connaissance plus approfondie.
Mais qui m’expliquera la relation entre le romanche et le roumain ?
J’ai découvert sans les chercher les innombrables relations du roumain avec un grand nombre d’autres langues. Voilà qu’en ouvrant une porte et malgré mes précautions, ce sont des tonnes de questions qui me dégringolent dessus. Le peu de linguistique que j’ai eu l’occasion d’apprendre était infiniment barbant, mais sans doute est-ce le mode d’enseignement qu’il faut incriminer et non pas le contenu.
Les yeux fermés j’imagine ces cartes sur lesquelles des flèches de tailles et de couleurs variables, orientées ouest-est, racontent la lente installation des peuples, les interpénétrations des langues, cette grande marmite d’où sortent des soupes si diverses…
Faut-il connaître l’histoire et la géographie pour apprendre le roumain ?
Non bien sûr, on peut bien faire du monsieur Jourdain sans le savoir.
Mais l’idée d’une langue internationale, même si je dois repartir à zéro pour l’étudier, cela me parlerait quand même bien. Je trouve très amusant d’apprendre les mots d’une autre langue, et j’apprécie la réaction de la personne en face, qui m’a entendue parler français à monsieur La Feuille, quand je lui dis quelques mots dans sa langue.
En même temps j’arrive vite au bout de mes rudiments et c’est toujours extrêmement inconfortable. Je pense souvent aux étrangers qui n’ont pas choisi de l’être, aux migrants, aux expulsés… Nous, au moins, nous sommes libres dans nos déplacements et nous retrouverons la terre de notre langue maternelle quand nous le voudrons.
Et pour ce faire, après avoir traversé à l’aller Suisse, un bout d’Allemagne, d’Autriche, la Hongrie, au retour nous reverrons la Hongrie, puis la Slovénie et l’Italie.
On ne devrait étudier une langue que par plaisir. Plus généralement on ne devrait étudier que par plaisir.
Rencontrer les gens quand on visite leur pays est une dimension incontournable du voyage. Comment faire ? Une vraie langue internationale, ça manque cruellement. Mais l’étude de celle-ci ne doit pas se faire au détriment de la langue maternelle, incontournable pour chacun d’entre nous : le bilinguisme me semble donc la solution. Si nous avions plus en commun, il y aurait peut-être plus de fraternité et moins de peur de l’étrange étranger.
En même temps, il disparaît des parlers à une vitesse inquiétante, des parlers qui sont la langue maternelle d’une population trop petite ou trop disséminée. Des parlers qui sont aussi la conservation de la culture ancienne, et à ce titre ont une inestimable valeur.
Bilinguons donc, en espérant qu’il en reste toujours quelque chose.
En Roumanie, n’oubliez pas de demander du “bronze dé bourdouf”, on vous servira du fromage de brebis.
4 Comments so far...
Yvanne Says:
10 octobre 2010 at 21:56.
Hellooooo, les voyageurs !
Ça faisait un moment que je n’étais venue faire un tour sur votre feuille et voilà que je tombe sur un article que je trouve intéressant à plus d’un titre.
Je vous souhaite un bon séjour. Vous passez par le Danube rouge au retour ?
Bisous
Lavande Says:
10 octobre 2010 at 22:26.
Eh bien j’ai compris toutes les pancartes! je suis bonne hein?
Pascaline Chion Says:
11 octobre 2010 at 13:15.
Yvanne, j’ai triché, nous sommes rentrés, là. J’avais bien avancé l’écriture de mon article et c’était plus simple de conserver au futur ce qui relevait en réalité du passé. Le temps ça change sans arrêt, ma pov’ dame, celui qui passe comme celui qu’il fait.
Ainsi nous sommes passés relativement près d’Ajka, avant même la catastrophe, et c’est forcément mieux pour nous.
Pascaline Chion Says:
11 octobre 2010 at 13:19.
Lavande, oui tu es bonne, mais la difficulté était réduite quand même !
J’ai évité de photographier les innombrables pubs pour « orange », alors que cette couleur se nomme « portocaliu » en roumain… On se doute du pourquoi de ces « orange » partout, ainsi que de son grand concurrent dont j’ai oublié le nom.