24 avril 2008

Le grain de sel de la blogueuse intermittente…

Posté par Pascaline dans la catégorie : au jour le jour...; Le sac à Calyces .

Vers six heures, nous échangeons un “bien dormi ?” avant de repartir pour un dernier petit somme. Puis Paul se lève, toujours le premier, nous n’avons pas les mêmes besoins en sommeil, et il va refaire le monde, l’esprit en roue libre, un œil vaguement posé sur son bol de thé.
Nous nous croisons le plus souvent quand je me lève et qu’il va allumer son mac.
Je prends mon temps, monte à mon tour dans mon bureau, évite de le déranger. J’entends le cliquetis régulier des touches sous ses doigts.

Il arrive un moment où il me demande de relire son texte. Les modalités se sont vite mises en place depuis qu’il a créé son blog. Je relis deux fois, de façon professionnelle : une fois pour le sens, les idées, pour mes ressentis, une autre pour traquer la fôthe. En général ça marche, depuis qu’on fait comme ça Lavande peut presque dormir sur ses deux oreilles…
Donc je commence à lire, j’aime bien comme il écrit.
Mais (même si à force je m’habitue) c’est quand même toujours une surprise pour moi. Essayez, vous comprendrez. Ecrivez sur des sujets aussi variés six jours par semaine. Bon, il a fait sauter une fois ou deux, là, mais ce n’est pas essoufflement, c’est juste qu’il fait beau et qu’on passe longtemps à bosser dehors.
Essayez d’écrire deux pages par jour, c’est le contrat d’un écrivain professionnel. Je veux dire que quand une personne qui en a fait sa profession a réussi à taper ses deux pages, elle est contente.
Un écrivain sait qu’il faudra couper et jeter une bonne proportion de son texte, c’est comme ça, c’est connu. Paul a toujours fait un bon premier jet. Vous me direz que c’est un blog, vous me direz même que ce n’est qu’un blog, que c’est fastoche de taper un coup ici un coup là en variant les sujets, qu’il n’y a là rien de bien extraordinaire. Le direz-vous ? Parce que si, justement, c’est extraordinaire.

Depuis que Paul a créé “notre” blog, j’ai publié quatre textes je crois, et lui… les cent-dix autres. Je veux bien participer, il m’a demandé d’ailleurs un texte dont je ne vous donne même pas le thème pour ne pas déflorer, eh bien j’y ai bossé, et maintenant il est quelque part à dormir, mon texte. Ça m’ennuie, mais c’est aussi comme ça que j’écris. Avec beaucoup de sommeil. Enfin, mes textes dorment, ça aussi c’est connu des écrivains, on laisse décanter et on y revient plus tard.
Paul écrit des premiers jets qui n’ont pas besoin de dormir ni d’être retaillés.
Si je veux produire un article documentaire, je vais à la pêche aux documents. Assez vite je suis débordée, j’ai de la matière à profusion mais ne sais plus où donner de la tête (ou des ciseaux).
Paul, lui, va à ses sources. Il pioche, il pêche, il rapporte sa récolte, il compulse, il classe, et hop !, il écrit. Enfin je suppose tout cela. Je vous disais, j’entends taper et c’est tout. Mais quand je lis la dernière de ses productions, j’y trouve tout l’esprit de synthèse qui me fait défaut. Certes, il est capable de survols un peu superficiels, le format blog ne permet pas les longs développements, mais ce qui m’épate, c’est que ça se tient.
Quand je dis ça se tient, c’est parce qu’il réussit à faire le tour des tenants et aboutissants des sujets qu’il traite. C’est beaucoup moins frustrant que les infos des grandes chaînes de télé (et encore, je n’en regarde, parfois, qu’une et ce n’est pas la une !).
Je ne suis pas jalouse, car cela voudrait dire que je veux être lui (je préfère l’avoir plutôt que l’être). Et aussi parce que moi, au moins, j’écris des textes longs. Non pas qu’il en soit incapable, il l’a déjà fait d’ailleurs. Moi, j’ai besoin d’exprimer ma passion de l’écriture par quelque chose de consistant.

Tous deux passionnés d’écriture, nous sommes à peu près aux antipodes l’un de l’autre.
Je parlais de son esprit de synthèse : là sans doute réside la différence fondamentale. Quand Paul commence à écrire un texte, il écrit un texte. Moi, quand je commence à écrire un texte, je m’embourbe. Mais c’est en bourbant qu’on devient bourberon, et maintenant, avec l’expérience, ce qui devrait me désespérer ne me fait plus souci : quand plus rien ne va, quand je suis bloquée, c’est simple, il me suffit de passer à autre chose en attendant de reprendre mon texte plus tard.
Paul a la tête bien structurée et ses affaires sont bien rangées. Moi, je possède exclusivement des affaires perverses qui ont le pouvoir de glisser et de se déplacer sans cesse, ce qui explique que mes zones perso soient plus bordéliques que les siennes.

Le lecteur attentif l’aura deviné : les quelques lignes ci-dessus ne se sont pas faites en un jour… Après cela, j’avais l’intention de comparer esprit de synthèse et esprit d’analyse, mais quel intérêt ?
J’ai toujours adoré me trouver dans les coulisses pour avoir un double regard, sur la pièce qui se joue d’une part, et sur ce qui se passe de l’autre côté, ce travail invisible qui permet de montrer un spectacle, et grâce auquel, après tant d’efforts, on dit “c’est fini, on est prêts”. J’espère que les lecteurs de ce blog devenus de plus en plus nombreux avec le temps et le bouche à oreille partageront mon plaisir à découvrir Paul depuis les coulisses.

Pour ma part, ma réflexion personnelle conduite par l’écriture de ce texte confirme mon incapacité à tenir un blog. Un constat, mais pas douloureux : chacun son truc. D’autres que lui réussissent aussi l’exploit d’écrire beaucoup sans être ch… Moi, j’ai d’autres cheminements à suivre…

7 Comments so far...

fred Says:

24 avril 2008 at 13:10.

Ben oui .. c’est ça le talent ma pauv’ dame !
ça donne une impression de facilité …. et puis quand on s’y essaye on se rend compte du contraire ! Gloire au grand ZIHOU ! Empereur de la Blogosphère ! Chantre du numérique !

Sylvaine Vaucher Says:

24 avril 2008 at 13:43.

C’est comme une déclaration d’amour, ces frissons de plume qui se renvoient un écho comme un
boomerang, c’est beau, c’est limpide, c’est illustré et c’est Char qui disait « Un grand poète se remarque à la quantité de pages insignifiantes qu’il n’écrit pas « 

Lavande Says:

25 avril 2008 at 09:21.

« Paul a la tête bien structurée et ses affaires sont bien rangées ».
Ça me rappelle une réflexion de Dom (le fils ainé de P&P) quand il avait 3 ou 4 ans: « j’ai découvert un truc: si je remets une chose toujours à la même place, je la retrouve tout de suite! »
Il doit tenir de son père alors…en tout cas pas de sa tante qui essaie désespérément d’appliquer cette maxime…depuis des décennies… sans beaucoup de succès.
Pour ce qui est de l’orthographe, c’est vrai que la relecture Caly est efficace: au début j’envoyais un petit mail du matin, de temps en temps, pour signaler un accent malencontreux. Maintenant quasiment rien. Dommage, j’avais trouvé à exercer ma maniaquerie de l’orthographe sur quelqu’un que ça n’énervait pas…Je plaisante, mais pour moi c’est quand même une caractéristique qui compte: une bonne orthographe, c’est un vrai confort de lecture.Et ça se perd ma pauv’dame comme dirait Fred. Dans le post d’hier d’Assouline il y a plusieurs interventions de candidats à Normale Sup Lettres: pas une sans faute d’orthographe. Et ne me dites pas que ce sont des fautes de frappe parce que confondre le participe passé (é) et l’infinitif (er) c’est à mon avis plus que ça. Bon, c’était mon quart d’heure de maniaquerie radoteuse. Je sors!

Clopine Trouillefou Says:

25 avril 2008 at 09:52.

Quelle jolie déclaration d’amour… Mais n’en tirez aucune conclusion hasardeuse sur les talents de l’un ou de l’autre ! Vous souligner la facilité de Paul, qui, par contraste, rend votre pratique besogneuse ? Mais les sujets, les desseins n’étant pas les mêmes, rien de plus naturel que cette différence. Et puis, pensez à Flaubert, debout à sa table de travail, grimaçant, gesticulant, parlant à haute voix, souffrant comme un possédé, pendant qu’Hugo, olympien, après une petite promenade digestive où le souffle de la mer joue avec la mèche barrant le front du grand homme, rentre calmement, s’asseoit, et te vous aligne cinq chapitres des Misérables, le misérable !

Plus sérieusement, je crois que les couples où les deux conjoints se dévouent à l’écriture sont d’habitude plus fragiles que les autres. Dans l’histoire littéraire, que de déchirements, de tiraillements, de tragédies parfois. Colette et son barbon de Willy, Carson et son Mac Culler’s jaloux… Chez vous, point de ces rivalités, ni de ces ressentiments : vous avez de la chance, non ? Alors, s’il vous plaît, ne tombez pas dans une dépréciation qui pourrait porter atteinte à votre harmonie… Et écrivez encore longtemps, pour votre plus grand plaisir.

Clopine (et puis, si malgré tout Paul persiste dans l’apparente aisance, et que cela vous gratouille, passez au sabotage ! mélangez-lui ses fiches, interrompez-le au motif que la baignoire déborde ou qu’un chèque est à signer, trompez-vous dans les paragraphes et faites grève de correctrice. Na, d’abord. /<)) Et enfin, si malgré tout rien n’y fait, piquez-lui son blog….)

meuh non je plaisante, hein !

allez, bien à vous

Paul Says:

25 avril 2008 at 10:23.

Aucun risque de conflits en ce qui concerne l’écriture car nous ne marchons pas sur le même chemin même si nous aimons tous les deux écrire. Nous ne marchons pas sur le même chemin et nous en sommes conscients. Mon écriture personnelle, je la considère comme journalistique (sans aucun paramètre péjoratif), et surtout utilitaire. J’écris une réponse à une question que je me pose. J’écris parce que j’ai une raison d’écrire et que je suis convaincu (même si je suis le seul) que ça va servir à quelque chose. J’écris dans un but matériel précis, imminent, sur commande (je peux être le commanditaire bien sûr): une chronique de blog, une brochure, un scénario (pour un jeu). Je crois que je n’ai carrément pas la capacité de me lancer dans un travail de longue haleine, surtout si je ne sais pas s’il servira à quelque chose (s’il sera publié en l’occurence). Même lorsque j’écris un journal des événements survenant dans mon quotidien, la fonction en est utilitaire : parer aux trous à venir de ma mémoire défaillante, c’est tout. Pascaline n’a pas certaines de mes capacités pour l’instant, mais elle possède une bonne partie de celles que je n’ai pas. D’où complémentarité et non concurrence, source de conflit. Elle est capable de ce travail d’orfèvre de l’écriture qui « cent fois remettra sur l’établi » la tâche qu’il a commencé… moi pas. Elle peut naviguer, me semble-t-il, avec en vue un horizon très lointain, moi pas. J’ai une écriture de paysan qui sème des carottes pour les voir pousser très vite, ou de menuisier qui rabote deux pièces de bois pour qu’elles s’emboîtent. Je suis pressé : je n’ai jamais rien écrit de valable avec un stylo, parce que c’est lent, que l’on rature et que j’ai horreur des ratures. Le traitement de texte a été pour moi l’invention qui a bouleversé totalement mon rapport à l’écriture. Les fonctions du traitement de texte sont, pour moi, un prolongement direct du fonctionnement de mon cerveau. J’écris vite parce que je ne commence à écrire que lorsque le processus de création est pratiquement terminé dans ma tête, sinon je n’écris RIEN. Je n’ai pratiquement jamais « l’angoisse de la page blanche », parce qu’il ne me viendrait pas à l’idée de me mettre devant un clavier et un écran vide, si je ne savais pas d’avance ce que je vais y faire. Pascaline est faite du bois dont on fabrique les écrivains, bois précieux s’il en est. Moi je suis fait du bois avec lequel on construit les établis. On peut être agacé par ce que fait l’autre : moi j’aimerais bien écrire des romans comme ceux que j’aime lire, mais je crois que je suis en train de prendre conscience de mes limites. En fait d’agacement, je crois qu’il s’agit plutôt d’admiration et ce n’est pas un facteur de conflits, loin de là. Merci, Clopine, Sylvaine, Fred, les autres !

Ta femme Says:

25 avril 2008 at 10:36.

Merci à tous pour vos commentaires.

AAAAAAAAAAArg ! Et au moment où je suis plongée dans mon commentaire de vos commentaires, voici que tombe celui de Clopine, plouf, qui va apporter de l’eau bénite à moulin à prières (l’expression n’est pas de moi).

Oui, Fred, nous ne sommes pas égaux devant le talent, n’est-ce-pas ? Certains ne connaissent même pas les capacités qu’ils portent en eux – mais ceci est un autre débat.

Tiens, Sylvaine, je n’avais pas pensé à la déclaration d’amour. On pourrait parler de déclaration d’amour à la vie en général et à toutes les créatures vivantes en particulier…

Lavande, je ne sais pas si Dom tient de son père, puisque si on est ordonné « naturellement », (génétiquement ???) il n’y a pas d’apprentissage nécessaire…!!!

Oui, ma pov’ dam’, l’orthographe ça se perd, et on en parlait pas plus tard que tout récemment Paul et moi : toi, nous, et d’autres, nous faisons partie de la vieille école, et nous y sommes fortement sensibles. Quand nous tombons sur un texte bourré de fautes, nous en sommes autant gênés que toi avec tes candidats à Normale Sup (Lettres de surcroît !).

Comme instit’, nous avons toujours beuglé qu’il n’était pas normal de sanctionner les élèves à cause de l’orthographe (il y a de ces cas affligeants où Un Tel va rater son année parce qu’il perdra EN MATHS, pour ses fautes d’orthographe, les points dont il a besoin, ça s’est vu !).

La lecture globale, n’a jamais été pratiquée (Meirieu est allé compter avec précision et parle de 0,5 % de pratique, et encore dans une durée limitée), donc elle ne peut être la vraie cause des problèmes actuels de lecture des élèves. De même j’aimerais connaître la raison réelle de cette baisse de niveau en orthographe : si elle est liée au fait que les gens n’écrivaient pas autrefois, et que s’ils avaient écrit ça aurait été pire, on pourrait parler de progrès en orthographe, non ?

Nous sommes donc le cul entre deux chaises, fort sensibles aux inélégances, et en même temps désireux que l’orthographe ne soit pas une machine à bousiller les mômes.

A NOUS DEUX CLOPINE !!!

« C’est toi Laurel c’est moi Hardy »

« C’est moi Flaubert, c’est toi Hugo », voilà ce que je vais y chanter, au Paul !

Ils étaient tous les deux fortement barbus, non ? Flaubert, je vois plus trop sa tronche, ça fait un bail qu’on ne s’est pas croisés ; on va avoir du mal à se procurer les moumoutes ad hoc.

Des couples d’écrivains déchirés ? Nous avons un long passé de couple d’instits, c’est une catégorie qui se déchire aussi, ou pas, je ne connais pas les statistiques, et sans doute avons-nous établi un consensus avec le temps !

Quand nous enseignions encore, je disais à Paul que nous ne faisions pas le même métier, lui ayant fait presque toute sa carrière en cycle III (CE2, CM), et moi spécialisée sur la fin en maternelle, et les dernières années en Petite Section.

Nous pourrions dire la même chose, lui blogueur et moi… n’écrivant pas, au sens où j’ai plusieurs romans qui dorment dans mes tiroirs et qui y resteront jusqu’à ce que j’ai dépassé une longue paresse, là, qui me tient…

Mais je n’en suis pas à me déprécier, peut-être que mon « grain de sel » le fait croire puisqu’il parle beaucoup plus de Paul que de moi. Je suis consciente de mon état de besogneuse, comme tu le dis si bien. Il faut bien que je sois consciente de mes capacités, avec réalisme, pas de sous ni de sur estimation…

Là-dessus Paul part arroser ses carottes après avoir lui aussi posté son commentaire, et moi je cours derrière, il aura encore fini avant moi !

Je suis très touchée par ce qu’il vient d’écrire, et j’y souscris…

Nous avons beaucoup ri à tes suggestions de sabordage. J’y réfléchis…

Quant à lui piquer ses fiches… il me faudrait mettre le feu à son ordinateur, ni plus ni moins…

Pourquoi pas ? Says:

25 avril 2008 at 16:04.

«“j’ai découvert un truc: si je remets une chose toujours à la même place, je la retrouve tout de suite!”
Il doit tenir de son père alors…en tout cas pas de sa tante qui essaie désespérément d’appliquer cette maxime…depuis des décennies… sans beaucoup de succès. »

Pourtant, il me semble au contraire que tu appliques cette maxime avec grande rigueur puisque tu remets absolument tout à la même place. Peut être un ajustement serait nécessaire à ce niveau : varier les places où remettre les choses… parce qu’après tout, après 10 ans à tout remettre uniquement dans le garage…

Bon, et surtout je me relie 5 fois pour être sûr de ne pas me faire passer pour un étudiant à Normale Sup !

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