17 février 2011
Quelques « livres compagnons » de ces derniers mois
Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures .
Lectures pour temps de grande froidure
Le démon des vieux papiers ayant de nouveau frappé à ma porte, j’ai lu un bon paquet de vieilleries en plus des nouveautés proposées par les éditeurs. Histoire de ne pas trop vous compliquer la tâche, je vais, présentement, m’étaler plus longuement sur des écrits récents. Exit pour l’instant le compte-rendu du passionnant « Voyage à la Sierra Nevada de Sainte Marthe » rédigé par ce bon vieil Elisée Reclus, que je viens de récupérer, à un prix très raisonnable, dans une édition de 1881 – la seconde je crois. Grâce (entre autres) aux conseils éclairés du tenancier du blog « Feuilles d’automne » (en vente néanmoins toute l’année), je progresse sur le plan technique dans l’un de mes vices majeurs. Les « papiers » dont il va être question dans les paragraphes suivants sont d’une parution un peu plus récente. Ce qui ne vous empêche pas de faire travailler les « libraires d’occasion » ainsi que qualifie si noblement la profession le tenancier dont il est question plus haut. Ça va, vous me suivez ? Notez bien que si le « Voyage » de Reclus vous intéresse, il en existe une édition plus récente, collection « hors barrière », éditions Zulma. A part ça, j’aurais aimé que cette rubrique devienne mensuelle comme le « bric à blog » mais je crains qu’un excès de routines ne finisse par m’endormir et qu’un fonctionnement un peu trop cyclique donne l’impression qu’on lit un blog de retraité. Je ne voudrais pas que les prochains commentaires soient rédigés sur des cartes vermeilles ! (si, si, ma chère correctrice, j’ai vérifié, « vermeil » s’accorde !)
Il ne s’agit bien sûr que d’une sélection et beaucoup de candidats malchanceux sont restés sur le bord du chemin. Les choix ont été parfois douloureux, mais je me suis dit que les « laissés pour compte » ont déjà trouvé ou trouveront bien leur place dans une autre chronique à venir. Je ne détaillerai pas, par exemple, les deux ouvrages d’Isabelle Eberhardt lus au moment le plus froid de l’hiver (« Au pays des sables » et « Amours Nomades »). Ils ont déjà bénéficié, les privilégiés, d’une chronique pour eux tout seuls : difficile en effet de parler de la belle aventurière des sables sans évoquer ses créations littéraires ! Il se peut même qu’elle serve, en quelque sorte, de fil conducteur dans cette chronique.
« La traduction est une histoire d’amour » – Jacques Poulin – Actes Sud.
Bon je commence en trichant un peu car celui-ci je l’avais lu, il y a quelques temps, chez le fiston à Montréal. Lu, beaucoup aimé mais pas encore acheté. C’était l’un des rares qui manquait à ma collection d’ouvrages de cet auteur québécois que je continue à apprécier énormément. J’ai profité d’un récent achat pour le lire à nouveau, avec autant de plaisir et je vais profiter de ce prétexte pour relire aussi l’opus suivant, « L’anglais n’est pas une langue magique ». Ces romans font partie d’un cycle au long duquel on retrouve plus ou moins les mêmes personnages, apparus dans « Les yeux bleus de Mistassini », dans un rôle principal ou secondaire, et notamment l’écrivain, Jack Waterman, amoureux des chats, du Saint-Laurent, et de la solitude. L’histoire racontée dans « La traduction est une histoire d’amour » est toute simple. C’est d’abord la rencontre entre l’écrivain et une jeune fille, Marine, tout aussi singulière que lui, traductrice de métier, qui lui propose de transcrire le roman qu’il vient d’éditer dans la langue de Shakespeare. Marine est irlandaise, rousse aux yeux verts comme il se doit ; elle revendique fièrement son indépendance, reconnaissant avoir, dans ce domaine, au moins deux références, sa mère et… Isabelle Eberhardt. Une étrange complicité nait entre ces deux personnages ; chacun respecte la liberté de l’autre et ils s’apprivoisent mutuellement au fil des rencontres. La jeune fille se met à l’ouvrage, installée dans un chalet au bord du fleuve, sur l’île d’Orléans. Un jour, une petite chatte noire vient s’immiscer dans le traintrain quotidien de son travail. Grâce à sa plaque d’identification, le petit animal, abandonné sur l’île par une jeune fille en détresse, va transformer nos deux intellectuels en détectives amateurs. Pour quelle raison sa propriétaire l’a-t-elle abandonné ? Qui est la personne âgée qui habite avec elle dans un vieil immeuble du centre de Québec et avec laquelle elle se dispute parfois ? La magie de l’écriture de Jacques Poulin opère très vite et transforme cette trame très simple en une quête à la fois matérielle et spirituelle pleine de sensibilité et de charme… L’auteur a un style bien à lui et sait créer une ambiance chaleureuse qui nous enveloppe peu à peu et attire notre regard comme la danse des flammes dans une cheminée. Tout à fait captivant ; de plus, j’adore retrouver des êtres dont la personnalité s’étoffe peu à peu, d’une histoire à l’autre.
« Dons » et « Voix », volumes 1 et 2 de la trilogie « chroniques des rivages de l’Ouest » d’Ursula K. Le Guin – traduction Mikael Cabon – L’Atalante
Je voulais attendre la sortie du troisième tome, au printemps, pour vous parler de cette dernière saga écrite par la grande dame de la littérature fantastique américaine, mais je n’ai pas résisté. Ce n’est pas grave, d’autant que, le temps que vous lisiez ces deux volumes, le troisième vous ouvrira les bras. Ursula K. Le Guin (fille de l’ethnologue Alfred L. Kroeber), pour ceux qui ne connaissent pas, c’est l’écrivaine auteure, entre autres, du « cycle de Terremer », de la « Main gauche de la nuit » ou des « Dépossédés »… ouvrages plus que célèbres, du moins pour les amateurs non sectaires, qui reconnaissent la littérature de Science Fiction comme un genre littéraire à part entière. Chaque sortie d’une nouvelle œuvre de la dame est attendue avec impatience par ses admirateurs inconditionnels dont Madame Lafeuille et moi-même faisons partie. Je reconnais donc avoir lu ces deux livres avec un a-priori favorable et ne pas avoir été déçu, d’autant que le travail réalisé par le traducteur (nouveau me semble-t-il pour cette auteure) est remarquable. L’histoire racontée dans « Voix » est indépendante de celle qui se déroule dans « Dons » le premier volume. Indépendante mais pas totalement puisque l’on retrouve – longtemps après – deux des personnages importants du tome 1 dans le tome 2 et surtout parce que la thématique est continue. Il s’agit d’une réflexion sur la « magie », et les effets qu’elle peut avoir, pervers ou non, à la fois pour les individus qui la pratiquent, et pour ceux qui les entourent. Je vous rassure tout de suite, il ne s’agit pas d’un quelconque remake des aventures pottériennes. La réflexion dépasse largement le cadre de la transformation du crapaud en princesse, et interpelle le lecteur sur les thèmes qui sont chers à Ursula K. Le Guin : la violence sociale et la non violence, la relation entre les individus, l’autorité et l’insoumission… Je n’ai nullement l’intention de vous conter l’histoire, simplement vous appâter ! Dans le tome 2, lorsque les saltimbanques-poètes Orrec et Gry arrivent à Ansul, ils découvrent la ville en pleine révolution. Malgré un pouvoir qui semble contrôler la situation politique avec une poigne de fer, la révolte gronde parmi les habitants qui ne supportent plus l’occupation des Alds et la dictature que ces envahisseurs ont imposée. Les Alds sont illettrés, méprisent la lecture et ont organisé une chasse systématique et une destruction méthodique des ouvrages imprimés. Pourtant dans la demeure princière où habite l’héroïne de l’histoire, Némar, subsiste une bibliothèque accessible la nuit, en jouant les passe-murailles… Les citoyens veulent démolir le pouvoir qui les oppresse et sollicitent Orrec pour qu’il prenne leur tête. Remplacer une autorité par une autre, même nouvelle, est-ce vraiment la bonne solution ? Le tome 1 m’a séduit, le tome 2 m’a passionné… Que me réserve l’avenir proche ?
« Une danse avec les démons », dix-septième épisode des aventures de Sœur Fidelma – roman policier historique de Peter Tremayne – Traduction Hélène Prouteau – 10/18 Grands Détectives
Je suis la série avec un grand plaisir depuis le début et ce n’est pas maintenant qu’elle est mariée avec le Saxon Eadulf et qu’elle a un charmant rejeton, que je vais laisser tomber cette bonne vieille religieuse irlandaise. Ainsi que je l’avais raconté dans ce blog, il y a un an et demi, j’ai même profité d’un court séjour en Irlande pour aller en « pélerinage » dans la ville résidentielle de Fidelma, le palais du Roi à Cashel. Je ne suis pas encore assez « givré » pour faire partie de l’association des fans de la célèbre héroïne de Peter Tremayne, mais j’avoue que, grâce à ce personnage, je connais maintenant un peu mieux l’histoire complexe de l’Irlande pendant le Haut Moyen-Age et la façon dont l’église irlandaise a défendu sa singularité, pendant quelques siècles, face à la volonté d’hégémonie romaine. Cette « indépendance religieuse » de l’Irlande, permet à l’auteur de prendre quelques libertés par rapport à la vie monastique traditionnelle. Le moine anglais Cadfaël, d’Ellis Peters, avait renoncé aux vices ordinaires des pêcheurs laïques du monde qui l’entourait. Ce n’est pas le cas pour sœur Fidelma, bien que l’auteur ne s’épanche guère sur sa vie privée ! Si les circonstances l’ont amenée à prendre l’habit de religieuse, Dame Fidelma de Cashel, sœur du roi, est avant tout une « dalaigh », c’est à dire une avocate des cours de justice de l’Irlande au VIIème siècle, et elle est, de ce fait, confrontée aux problèmes nombreux qui surgissent dans les cinq royaumes constituant l’Eire. Dans le cadre de cette histoire-là, Fidelma va essayer de démêler l’écheveau complexe qui entoure la mort du Haut Roi dans sa demeure de Tara. L’assassin, pris sur le fait, s’est donné la mort, mais quels mobiles l’ont poussé à agir ainsi ? Pour quelles raisons, ce membre important de la noblesse et du conseil de gouvernement a-t-il poignardé sauvagement son souverain ?… Fidelma et son complice Eadulf vont être plongés au cœur du conflit qui oppose les tenants de la « nouvelle religion » à ceux qui révèrent encore les anciennes déités. Nous, lecteurs, sommes très vite immergés dans l’ambiance bien particulière que Peter Tremayne sait créer dans ses histoires. Le souci du détail historique, le vocabulaire employé, les personnages multiples aux noms parfois complexes, déroutent un peu au départ, mais, après quelques prises, on est vite captivé par le charme et l’on évolue dans les décors envoûtants d’une Irlande verte et brumeuse.
« Chemins d’écriture » de Jacques Lacarrière, collection Terre Humaine, « Courants de pensée », chez Plon.
Certes Jacques Lacarrière est décédé, et l’ouvrage dont je vous parle date de 1988, mais cela n’empêche qu’il soit toujours aussi passionnant à lire. Lacarrière (encore un de mes auteurs fétiches), n’est pas un auteur « du moment », dont les écrits peuvent être datés et se démoderaient d’une façon quelconque. J’ai pris un grand plaisir à découvrir cet ouvrage que je ne connaissais pas encore. A travers un récit sur son propre parcours, Jacques Lacarrière amorce une réflexion intéressante sur le métier de l’écrivain et sur les différentes voies que peut emprunter un récit avant d’aboutir ou de ne pas aboutir à une « œuvre achevée ». « Chemins d’écriture » est donc à la fois une autobiographie et un voyage dans les différents écrits de l’auteur, grand voyageur s’il en est. Chacune des grandes étapes de sa vie a correspondu à une destination de voyage ou à un lieu de séjour, bon nombre de ses ouvrages aussi. L’écrivain et ses lecteurs ont ainsi voyagé en France avec « Chemin faisant », en Grèce avec « L’été grec » ou en Egypte avec « Marie d’Egypte ». « Chemins d’écriture » quant à lui, raconte comment se sont emmêlés la vie et les récits, et nous amène à suivre à la trace le parcours initiatique qu’a suivi cet écrivain-philosophe. « Errance et écriture ont été – et sont toujours – pour moi les deux voies essentielles de la rencontre avec les autres et de la connaissance de soi-même. » Au fil des pages, on découvre des épisodes méconnus de la vie de l’auteur, on devine les origines de certaines de ses découvertes, on comprend la démarche qui a été la sienne lorsqu’il cheminait à pied dans les cols du Massif Central ou sur les pistes sableuses du Moyen-Orient. « Volskwagen blues » de Poulain, « L’usage du monde » de Nicolas Bouvier, « Chemins d’écriture » de Lacarrière, une belle trilogie à se constituer dans sa bibliothèque lorsque l’on aime poser un pas derrière l’autre sur les sentiers qui parcourent les terres inconnues…
« Louise Michel en Algérie » de Clotilde Chauvin aux Editions Libertaires.
Même si cela tranche singulièrement avec les quatre livres évoqués plus haut, je terminerai quand même par un ouvrage historique ayant un rapport limité mais direct avec Isabelle Eberhardt évoquée dans l’introduction de cette chronique. En octobre 1904, Louise Michel embarque à Marseille pour une tournée de conférences en Algérie, sur le thème de l’anarchisme et de la transformation sociale. Elle est accompagnée du militant Ernest Girault et différents meetings sont prévus à Alger, Tizi-Ouzou, Constantine, Relizane… Parmi les personnes qui l’ont sollicitée pour ce déplacement et qui l’ont aidée à organiser matériellement ses interventions sur place, figure Isabelle Eberhardt. Les deux femmes ont prévu de se rencontrer à Aïn Sefra et Isabelle doit accompagner Louise pendant ses déplacements dans le Sud oranais, le Figuig, lieu de conflits incessants vers la frontière marocaine entre Français et tribus se battant pour leur autonomie. Ce projet ne se réalisera jamais : Isabelle Eberhardt meurt dans une inondation avant l’arrivée de Louise ; Louise tombe malade et doit rentrer à Marseille avant la fin de sa tournée, en décembre 1904. L’ouvrage très documenté de Clotilde Chauvin raconte en détail cet épisode méconnu de la vie militante de la grande révolutionnaire française. Il permet aussi de se faire une idée de la situation de l’Algérie occupée, en ce début du XXème siècle. Cet aperçu historique complète à merveille la vision plus littéraire d’Isabelle Eberhardt et témoigne, sur la base de faits précis et datés, du comportement de la puissance coloniale occupante à cette époque là : abus de pouvoir, corruption, traitements dégradants réservés aux autochtones sont le lot quotidien d’une période peu reluisante de l’histoire de « l’empire français ». La lecture de cet ouvrage peut être complétée par les carnets de voyage d’Ernest Girault chez le même éditeur. Un bon travail de mémoire d’autant que le rapport avec la situation actuelle des pays du Maghreb n’est pas si éloigné que cela !
4 Comments so far...
Lavande Says:
18 février 2011 at 09:41.
Je vois que la situation de retraité (réjoui) – paysan (heureux) – grand père (comblé) laisse quand même quelques loisirs intelligemment utilisés.
Paul Says:
18 février 2011 at 11:13.
@ Lavande – Il ne faudrait pas divulguer de telles informations en public. Trois boulots cumulés ! J’ai peur que le fisc ne me retombe dessus à bras raccourcix ! Heureusement que MAM utilise mon jet privé pour mettre mes fonds à l’abri aux îles Caïman….
JEA Says:
18 février 2011 at 16:16.
T. Bernard :
– « Ce qui fait que les grands-pères s’entendent aussi bien avec les petits enfants, c’est que, pour ces derniers, la vie n’est pas encore assez sérieuse et que, pour les aïeuls, elle ne l’est plus autant. »
Paul Says:
20 février 2011 at 08:11.
@ JEA – très belle citation et fort proche de la réalité !