11 avril 2011

Le silence des géants

Posté par Sebastien dans la catégorie : Carnets de voyage; Feuilles d'érable .

Cette chronique, rédigée par Sébastien, prolonge agréablement le court article sur les séquoïas géants publié au mois de janvier. Bon voyage !

Rien. Pas un bruit. Juste un silence apaisant. Malgré les touristes que l’on devine un peu partout, les lieux sont calmes. Personne n’ose vraiment élever la voix, et l’on comprend pourquoi. Nous sommes dans « Cathedral Cove » ; le nom convient parfaitement. Comment peut-on ne peut pas se recueillir en pareil endroit ? Comment ne pas se replier sur soi même, regarder en dedans de nous, devant la magnificence de ces géants ?

J’étais à Muyr Wood ; à peine à une heure du centre ville de San Francisco. Il s’agissait de ma première rencontre avec les arbres géants de la Californie. Car j’ai eu la chance de marcher parmi ces géants. J’ai eu la chance de les approcher, et d’avoir ce sentiment inusité, en levant la tête au pied de l’un d’eux, de me demander si j’allais d’abord tomber en arrière ou en voir le sommet.

Pourtant, ce ne sont pas les plus hauts. Ce ne sont pas non plus les plus vieux, ni ceux qui ont les plus gros troncs. Eux, ils sont les plus gros, tout court. Les plus grosses choses vivantes, en terme de volume, de la planète. Rien de moins.

Je n’ai pas vu le plus gros de tous. Je n’ai vu que le troisième. Le Général Grant. Mais à vrai dire, j’ai vite arrêté de les comparer. Tous sont imposants, gigantesques, magnifiques. À cette taille, ils sont tout simplement incomparables.

Ces arbres me fascinent ; je me suis servi de cette fascination comme d’une excuse pour en voir le plus possible. À chaque « cove » (crique), à chaque « grove » (plantation), je me suis retrouvé animé par le même sentiment. Je ne suis pas croyant ; je ne suis pas spécialement mystique, ni très fervent de spiritualité. Je me revendique « agnostique animiste » (ce que je résumerais par « nous n’arriverons jamais à saisir la question divine, parce que « Dieu » est insaisissable. Il est partout autour de nous, dans toute chose, dans tout être vivant, mais nous refusons de le voir. Dieu et la Vie ne sont qu’un »). Si j’avais déjà cette opinion avant de voir des séquoias géants, je n’en ai eu que plus la conviction par après. Ces mastodontes ont plusieurs millénaires d’histoire devant eux, et donnent l’impression de contempler le ciel depuis que le monde est monde, comme s’il n’y avait pas eu de « avant ». Ils Sont, tout simplement.

Je suis ressorti de toutes ces visites avec ce même sentiment de petitesse. Si bien qu’à la fin, j’ai arrêté d’aller les voir. Tout simplement parce que je n’arrive pas à concevoir tout ce qu’ils représentent, tout ce qu’ils ont connu. J’ai tout juste 30 ans, et déjà l’impression que le monde a tellement changé au cours de ces trois petites décennies. Que doivent-ils penser, eux qui en ont connu jusqu’à cent fois plus ? Nous ne représentons même pas l’équivalent d’une de leurs années.

À les voir ainsi, gigantesques, je n’ai pu m’empêcher d’en toucher certains. De simplement poser la main contre cette énorme écorce, et de fermer les yeux. La littérature fantastique déborde de créatures (elfes, dryades, etc…) qui communiquent et/ou communient avec les arbres. J’avais déjà ressenti cela en marchant dans une clairière où trônait un vieux chêne ; il devait bien avoir deux siècles, et déjà il était majestueux. Toucher une entité pluri-millénaire ne laisse pas indifférent, surtout quand celle-ci vous écrase de toute sa hauteur. C’est le genre de sensation que l’on aimerait être capable de décrire, pour lesquelles on cherche désespérément des mots, sans jamais vraiment les trouver.

Alors j’ai décidé de me venger. J’ai décidé de traverser l’un l’eux. Il y a quelques années, quand leur nombre semblait encore infini, on se jouait d’eux. On creusait des trous/tunnels pour pouvoir passer à l’intérieur. Maintenant, on ne le fait plus. Beaucoup sont tombés, mais il en reste encore qui sont debout. Encore en vie, comme si de rien n’était. Imaginez-vous continuer de vivre en étant traversé par un trou de 10 centimètres de diamètre… Ma vengeance s’est bien évidemment retournée contre moi. Pensez-vous vraiment que l’on puisse traverser 2000 ans d’histoire en seulement sept ou huit pas ? J’ai vu des gens le faire, sans problème. Traverser en discutant, le téléphone à l’oreille. Puis s’arrêter, prendre la pause en rigolant ; faire la queue pour pouvoir être pris en photo à l’intérieur de l’arbre. J’ai vu des gens incapables de ressentir ce qui les entourait.

J’ai fait deux pas, sans un mot, avant de m’arrêter. De tendre le bras. De le toucher du bout de la main. J’avais besoin de le sentir, de le percevoir. Comme à chaque fois, il était là, et comme à chaque fois, je m’excusais de le déranger. Ce qui le laissait complètement indifférent.

Le monde qui nous entoure déborde d’endroits magnifiques, d’endroits magiques. Les anciennes cultures (celtiques, amérindiennes, aborigènes…) parlent de cette nécessité de communier avec la nature, de l’admirer, de la respecter. Et plus que tout, d’en être conscient. Aujourd’hui, nous sommes conscients de notre compte en banque, du cellulaire que l’on a à l’oreille, et de la photo que l’on doit absolument ajouter à notre profil Facebook pour impressionner nos amis. On passe désormais au travers de la vie sans même regarder autour de nous, sans prendre le temps de nous arrêter et de comprendre. Et je trouve cela horriblement triste. Triste, parce que dans notre inconscience, non seulement nous détruisons tout cela, mais en plus, nous avançons dans un monde vide et gris. Il y a pourtant tellement à voir, tellement à connaître. Le plus grand écran de cinéma du monde fait 18 mètres de haut. Les séquoias sont 4 fois plus grand. Et jamais un écran ne saura transmettre l’émotion qui vous transporte quand vous avez deux mille ans d’histoire devant vous.

Je n’ai que trente ans, mais je continue de parcourir ce monde, à la recherche de ces endroits magiques, qui m’aident à comprendre un peu mieux tout ce qui nous entoure. Je regarde, j’écoute, je touche et je ressens.

4 Comments so far...

Zoë Says:

11 avril 2011 at 16:40.

J’avais 32 ans lorsque je suis allée à Muir Wood, j’étais également émue et en y pensant la chair de poule me prend. Oui, on ne peut qu’être saisi d’une émotion mystique. Qui plus est, il s’est mis à pleuvoir. Ca faisait un bruit énorme dans la forêt et réfugiée dans le tronc d’un de ces vénérables, les larmes me coulaient des yeux tellement j’étais impressionnée. Un des grands bonheurs de ma vie.
Merci pour ce très beau reportage

Pourquoi Pas ? Says:

13 avril 2011 at 18:24.

Merci pour ton commentaire Zoë.

Lavande Says:

14 avril 2011 at 18:36.

Très beau reportage. très belles photos. Impressionnant!

Cathy Says:

14 avril 2011 at 18:38.

Merci pour ce beau texte et superbes photos. J’aime aussi les arbres, même si je n’en ai jamais vu d’aussi gros et vieux… Sûr qu’on doit vibrer à leur approche !

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