24 mai 2011

L’onagre, une curiosité botanique, un plaisir pour les yeux…

Posté par Paul dans la catégorie : Incursions dans le monde des plantes .

Dans ce billet d’un genre un peu différent, ce n’est point de l’âne sauvage que je compte vous parler, ni d’un engin de siège médiéval, cousin du baliste, mais d’une fleur à la fois discrète et flamboyante, l’onagre. C’est la première fois que je consacre une chronique à une fleur ; il n’est jamais trop tard pour bien faire ! N’étant point un botaniste chevronné, mais simplement un jardinier amateur de plantes originales, j’espère que vous me pardonnerez d’éventuelles erreurs ou approximations, mais que vous serez sensibles comme nous le sommes à la maison, au charme et à la magie de cette belle nocturne à la robe de coquelicot teintée citron. La famille oenothera comporte diverses représentantes possédant chacune leurs particularités. Mes onagres du jour, ce seront l’onagre odorante, et sa proche cousine, l’onagre bisanuelle dont on tire une huile possédant d’importantes vertus médicinales.

L’onagre fait partie de ces nombreuses plantes revenues des Amériques, dans la besace des premiers explorateurs, à la fin du XVIème siècle et surtout au début du XVIIème. Plutôt que dans la besace, c’est en fait dans le ballast des bateaux qu’on la trouvait en quantité massive. Elle colonisa d’abord les dunes de l’arrière-pays côtier, puis migra progressivement dans l’intérieur du pays, avant de trouver place, bien plus récemment, dans le catalogue des apothicaires, puis dans celui des horticulteurs. On considéra au départ qu’elle n’avait qu’un intérêt décoratif, avant de s’apercevoir que la racine, assez charnue, pouvait être comestible. L’onagre a donc enrichi la panoplie des plantes, plus ou moins goûteuses au palais, que consommaient les miséreux dans les campagnes en période de disette. Très vite, cependant, cette fleur, possédant la propriété singulière de s’ouvrir au crépuscule, lorsque la lune paraît, a intrigué ceux qui l’observaient avec un peu d’attention. Fleur éphémère, éclatante de couleur lorsque la nuit tombe peu à peu sur la campagne au mois de mai, sa couleur devient plus foncée et sa robe se fripe au lever du jour le lendemain.  Lorsque le soleil est au plus haut dans le ciel, elle fane rapidement, ne supportant guère la chaleur et l’intensité lumineuse de l’astre. La beauté du spectacle nocturne est alors ternie par l’aspect misérable des touffes d’onagre en pleine journée. L’onagre rend un hommage flamboyant à la lune et plie le genou devant le monarque du jour.

Les pharmaciens se sont intéressés tardivement à cette plante nocturne et ont découvert assez récemment (milieu du XXème siècle), en étudiant les graines, que celles-ci contenaient une huile riche en acides gras poly-insaturés, précurseurs des prostaglandines (GLA, acide gammalinolénique, pour être précis). Différentes applications médicinales ont été très vite suggérées par la présence de ce précieux composant. Les prostaglandines jouent en effet un rôle important dans de nombreux métabolismes, que ce soit le système hormonal, les mécanismes immunitaires ou le fonctionnement du système nerveux. La poésie nocturne qu’inspire l’onagre est alors passée au second plan et l’on s’est mis à l’exploiter pour ses propriétés thérapeutiques. L’esthétique et le charme singulier qu’offre la naissance de ses fleurs sont alors passés quelque peu au second plan.  Il s’agit là sans doute d’un retour aux origines. L’onagre a retrouvé ainsi, dans nos herboristeries, et chez les apothicaires, la place qu’elle occupait dans la pharmacopée indienne traditionnelle. Les guérisseurs des tribus connaissaient les propriétés de cette plante, et utilisaient ses graines écrasées avec un pilon, pour guérir notamment de nombreuses affections cutanées. Les chasseurs, quant à eux, frottaient leurs mocassins avec des brassées de fleurs, pour tromper l’odorat des animaux qu’ils pistaient en masquant leur propre odeur. La panoplie de ses usages médicaux s’est élargie au fur et à mesure des découvertes effectuées sur la composition chimique de son huile.  Certaines propriétés semblent intéressantes pour intervenir dans des thérapies aussi complexes que le traitement de la sclérose en plaques ou de la maladie de Parkinson. Dans ces deux derniers exemples ce sont surtout les vertus calmantes du GLA pour le système nerveux qui sont exploitées.

Quittons l’Amérique du Nord pour un retour à notre environnement proche. Nous avons installé notre premier plant d’onagre dans un massif caillouteux, genre « jardin alpin », l’année dernière au printemps. Nous ignorions au départ cette affinité existant entre la lune et l’éclosion des pétales de l’onagre et nous avons découvert cet étrange phénomène tout à fait par hasard. Ce qui est étonnant sur le plan botanique c’est que l’ouverture de la corolle ne dure que quelques minutes et que l’on a l’impression d’assister à un film tourné en images accélérées. Le calice vert commence à se fendre lorsque le soleil disparait à l’horizon et un mince trait jaune apparait. La déchirure augmente peu à peu, puis le calice cède d’un coup et la corolle se déploie : apparait alors une fleur, assez semblable à celle du coquelicot, mais d’une couleur jaune éclatante. Le déploiement se fait, pétale après pétale, dans une discrétion quasi-totale (on entend parfois un petit bruit au moment où le calice achève de s’ouvrir pour laisser le passage au premier des pétales). La fleur s’ouvre alors très vite et expose devant nos yeux émerveillés le spectacle de ses pétales jaunes ; selon les spécimens observés, il y a des nuances d’intensité, mais, sur un même pied, toutes les fleurs ont rigoureusement la même couleur.
Une sorte de rituel s’est alors instauré pendant l’été 2010 avec nos visiteurs d’un soir. La cérémonie de l’apéritif était régulièrement interrompue par un « pèlerinage à l’onagre », parfois un peu énervant pour le maître des cérémonies ! Les convives se faisaient parfois attendre… Si l’éclosion des pétales ne dure qu’une ou deux minutes, il peut se dérouler un temps plus important avant que la corolle ne se décide à se déchirer complètement. Comme toute célébrité qui se respecte, Madame Onagre n’obéit point à un quelconque chronomètre ; elle ne débute son spectacle qu’après un dialogue plus ou moins long avec la lune, sa complice de scène.

Pour remédier à ces vils problèmes « d’intendance », nous avons procédé, cette année, à l’implantation de plusieurs spécimens de cette oenothera odorata. L’un d’entre-eux a pris place dans un pot, sur la terrasse, non loin du lieu des agapes nocturnes. Il est ainsi possible de deviser calmement, le verre à la main, un œil sur l’artiste, en attendant le lever de rideau. Ce n’est pourtant pas là que le spectacle est le plus intéressant… Dans la rocaille, le pied de l’an dernier a passé un excellent hiver, et a profité du temps pour s’étoffer quelque peu. Si l’on tient compte des compagnons qu’on lui a ajoutés après une foire aux plantes qui nous a permis de compléter notre collection, ce ne sont plus une ou deux fleurs qui s’ouvrent à la fois, mais, certains soirs, on observe jusqu’à une dizaine ou une douzaine d’éclosions quasi-simultanées. Il suffit de passer devant le massif, à la bonne heure, pour profiter du spectacle. Je dois même dire, avec une certaine tristesse, que je m’y suis habitué, et que ce sont les records que l’on dénombre maintenant au petit matin… “Huit fleurs hier soir ; cinq jaune foncé et trois claires… Dix aujourd’hui ! » Nous avons même pu constater que certains jours, le mécanisme d’horlogerie se dérègle, à cause des nuages, du mauvais temps, ou d’une mauvaise entente avec la directrice artistique dans les cieux. Lorsque le soleil fait grise mine, il arrive même que certaines fleurs aient l’impudence de rester ouvertes une journée entière !

Un peu d’étymologie pour finir… D’où viennent ces deux noms curieux, « oenothera » en latin et « onagre » en français ? Oenothera est une combinaison des mots grecs « oïnos » (vin) et « ther » (bête sauvage). Selon une légende ancienne, l’onagre permettrait d’apprivoiser les animaux sauvages lorsqu’on la fait infuser dans du vin. Ma source ne précise pas qui devait consommer le breuvage… Quant au mot français, il s’agit simplement d’une allusion au fait que la forme du pétale de cette fleur présente une certaine similitude avec celle de l’oreille de l’âne sauvage (onagre). Les Anglo-saxons ont choisi une toute autre dénomination puisqu’ils l’appellent « primevère du soir »… Les Turcs l’appellent Ezan Ciçegi, de « ezan » (appel à la prière) et « çiçek » (fleur). Ses fleurs s’ouvrent à l’heure où le muezzin lance son appel pour inviter les fidèles à la prière du soir…

L’onagre semble donc se plaire chez nous puisqu’elle croît et se multiplie. Il était donc légitime que je lui rende, par ces quelques phrases, l’hommage qu’elle mérite de recevoir. Ainsi que le montre la photo publiée en fin de cette chronique, elle a trouvé sa place au milieu du bleu pastel des scabieuses et du rouge flamboyant des œillets… La famille des onagres est vaste et il en existe de nombreuses sortes. Cette année nous en avons ajouté deux autres à la collection, notamment une œnothera kunthiana aux jolies petites fleurs rouges qui fleurit de façon beaucoup plus classique mais reste un enchantement pour le regard, une fois éclose. J’ai bien l’intention de m’intéresser aussi aux onagres élégantes (œnothera speciosa) ou aux onagres d’automne (œnothera fruticosa)… Comme je n’ai point de secrets pour vous (ou du moins si peu !), je ne manquerai pas de vous tenir au courant de mes prochaines découvertes ! Quant à ceux qui trouvent que nous voilà bien éloignés des préoccupations géopolitiques contemporaines…, qu’ils se rassurent « La Feuille Charbinoise » milite ardemment pour la biodiversité culturelle !

8 Comments so far...

Clopin Says:

24 mai 2011 at 19:59.

Très bel article pour un très belle fleur !

Paul Says:

25 mai 2011 at 09:39.

@ Clopin – merci ! Nous passons une semaine dans les environs de Toulon et il faut dire que la beauté des floraisons dans le coin (bien arrosé ce printemps) m’inspire plutôt des chroniques botaniques !

François Says:

25 mai 2011 at 17:23.

J’ai de bons souvenirs de la visite à l’onagre!

fred Says:

26 mai 2011 at 12:41.

mais dites moi ô grand Zihou, est ce que cette fleur sent bon ?

Pascaline Chion Says:

26 mai 2011 at 13:57.

Je me permets d’intervenir, ami Fred.

N’y’a pas plus douces et subtiles fragrances que la fleur d’onagre, même quand elle n’est pas encore ouverte. A mi-chemin entre le lilas et le seringua…

alaing Says:

26 juin 2012 at 21:30.

Bonjour !
Très bel artic le d e synthèse.
Je me suis moi concentré sur
La magie de l’onagre
Ces secondes exceptionnelles où la fleur déroule ses pétales,
ce spectacle unique qui nous prends chaque soir à la tombée de la nuit.
La nuit tombée, les insectes nocturnes viennent se repaître de la nouvelle cuvée de nectar ,
une odeur douce et suave se répand sur plusieurs mètres.
Au clair de lune la magie continue !
J’ai tenté de le restituer dans une page, avec animations, PPS
et vidéos des éclosions en temps réel.
http://www.jardindelasource.net/05_onagre01.htm

Paul Says:

27 juin 2012 at 21:16.

@ alaing – Merci pour votre lien qui ne manquera pas d’intéresser les lecteurs passionnés de botanique et même les autres, ceux et celles qui sont simplement curieux !
Cette année nous avons toujours quelques plants d’onagre bisanuelle et d’onagre odorante et le spectacle des floraisons se renouvelle. Avec le gel de cet hiver, nous avons perdu deux autres variétés : onagre kuntiana et onagre du Missouri qu’il faudra que nous remplacions.
Merci pour votre attention à mon article !

Miaou Says:

2 août 2017 at 15:30.

Merci 1000 fois pour cet article passionnant à lire dans le fond et la forme.
si je peux mettre la video que j’ai fait sur cette fleur je citerais votre article, il est parfait, pas besoin de paraphraser 🙂
Merci du partage
Isa Miaou

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