22 juin 2011
La jardinière du solstice
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; le verre et la casserole .
Bon je sais, une chronique gastronomico-horticole de plus qui va lasser ceux que les expériences de jardinage n’intéressent pas ou exaspérer ceux qui voudraient une ligne politique plus claire, des propos incisifs, voire même une contribution active à l’élaboration d’un Xième programme commun pour la Gauche, la vraie, celle qui avait autrefois les yeux sans cesse tournés vers la ligne bleue de l’Oural. Eh bien non, ainsi va La Feuille, cahin-caha, greli-grelo. Mes aspirations à une société plus juste, plus respectueuse de son environnement, abolissant progressivement les rapports hiérarchiques nuisibles… s’enracinent dans un plat de petits pois, carottes et pommes de terre nouvelle. J’espère que cette déclaration fracassante aidera les Verts à organiser leur élection primaire, les veufs et les veuves de DSK à trouver un autre pantin gominé, ou bien ceux qui ont admiré les multiples leaders charismatiques du mouvement communiste autoritaire à trouver un nouveau gourou à vénérer. Cela ne me déplairait pas non plus que l’UNESCO s’associe à mes efforts pour inscrire la jardinière de légumes au patrimoine profondément matériel de l’humanité, et à faire du 21 juin, date à laquelle nous célébrons déjà le solstice d’été, une journée mondiale de ce plat grandiose. Au point où l’on en est rendu dans la connerie des commémorations diverses, cela n’aggraverait guère la situation, et cela ferait toujours une occasion supplémentaire de s’empiffrer de ce plat, cadeau divin du dieu des libations et des banquets, et de la déesse des récoltes. Le message d’amour universel des religions monothéistes ayant échoué, un retour aux bonnes vieilles valeurs polythéistes, surtout si chacun peut constituer son propre panthéon, cela ne peut pas faire de mal.
Passons donc aux fondamentaux, en commençant par le fondamental du fondamental : il ne s’agit point d’une charmante personne de sexe féminin s’adonnant aux plaisirs du potager dont je parle ici, mais d’un plat gastronomique assez commun dans nos campagnes. Les lecteurs anthropophages peuvent donc réfréner leurs instincts. Ils n’auront pas l’occasion de les assouvir aujourd’hui. Cette mise au point étant faite, rentrons dans le vif du mijotage : les légumes de base de la jardinière, ce sont : des pommes de terre nouvelles, de jeunes carottes bien tendres, des oignons blancs, jaunes ou rouges (avec ou sans leur verdure, selon fraicheur) et… des petits pois. On emploie des proportions équivalentes pour carottes, pommes de terre et petits pois et une quantité moindre d’oignons. Plus les légumes sont frais, plus la préparation est bonne… Le recours à des petits pois surgelés, solution choisie par les paresseux, n’améliore pas la qualité gustative de l’ensemble : seul le petit pois écossé fraichement a cette teneur en sucre et cette saveur subtile qui en font un véritable régal pour les papilles. Variante possible au niveau des ingrédients : on peut ajouter des feuilles de laitue ou des pois gourmands en part égale avec les autres légumes. Si vous n’êtes pas végétarien sachez que la présence de quelques lardons coupés en fines lamelles ne gâte en rien la saveur du plat. On commence par faire rissoler oignons et lardons dans du beurre ou dans de l’huile d’olive, puis on ajoute pommes de terre et carottes ; on termine par les petits pois qui demandent la cuisson la plus courte. Cette cuisson doit se faire à l’étouffée et non dans de l’eau ou à la vapeur. La Feuille Charbinoise n’est malheureusement pas un site de référence pour les gens qui sont au régime ! Pour éviter que les légumes n’attrapent au démarrage, un petit verre de vin blanc et un petit verre d’eau rendent le mélange plus « glissant ». Ayez la main légère côté épices et aromates. La jardinière se satisfait très bien d’un peu de sel et de poivre ; on peut compléter par une pincée de muscade… c’est tout ! La saveur des légumes nouveaux est subtile : ne l’assassinez pas avec des épices au goût trop marqué ! Dix à quinze minutes de mijotage à feu doux dans une cocotte aux parois épaisses, avec un couvercle ; cinq minutes à découvert en « touillant » avec une cuillère en bois pour faire réduire le bouillon ; c’est prêt ! Versez dans un plat à gratin ; laissez refroidir un peu car se brûler la langue ne facilite pas le travail des papilles ; servez vous une bonne louchée et dégustez les yeux fermés en débranchant votre machin à musique et votre truc à sonnerie… La gastronomie et l’électronique ce n’est pas compatible.
Ne négligez pas le plaisir des senteurs ! Avant de porter la cuillère à la bouche, n’hésitez pas à la promener à proximité de l’organe qui fonctionne le mieux pour analyser les odeurs. Il n’y a pas que le château Margaux qui a des arômes à déguster avec le nez… Une gorgée de vin, oui ; une bouchée de viande, oui ; mais prenez le temps de déguster les premières cuillerées nature, sans mélange. Vous comprendrez alors pourquoi la jardinière de légumes est un nectar des dieux, le cadeau que l’on peut s’offrir, sans risque et sans trop de frais, avant d’aller sauter les feux du solstice. C’est un plat que vous pouvez, par ailleurs, préparer en quantité importante car il supporte très bien d’être réchauffé. N’exagérez pas cependant, même si vous avez vos parents et grands parents à la maison pour écosser les petits pois, la jardinière se congèle très mal, en grande partie à cause des pommes de terre dont le goût et la consistance se dégradent considérablement après un tripatouillage des températures. Quelle viande en accompagnement (vous savez que chez nous, la viande « accompagne » les légumes et non l’inverse) ? Un bon rôti de veau me paraît tout indiqué ; un poulet rôti se place assez bien ; une tranche de gigot ne dépare pas le plat… Que boire avec ce plat ? Selon ses goûts et ses couleurs… Je n’aime guère les conseils œnologiques. En ce qui me concerne, pour ce solstice, j’ai accompagné la jardinière d’un vin de pays bio du Roussillon, une Grenache, domaine Jorel pour être plus précis car ce petit vigneron, rencontré sur un salon bio, mérite bien qu’on lui fasse un petit coup de pub !
L’intérêt principal du plat réside indubitablement en un mélange subtil de saveurs, mais ce serait une injustice criante de ne pas réserver une mention particulière au petit pois. Ce légume, trop souvent maltraité dans les conserves, est d’une délicatesse exquise lorsqu’on le consomme frais. Il n’est nul besoin alors de lui ajouter un quelconque exhausteur de goût, comme savent si bien le faire les industriels de l’agro-alimentaire. Ni sel en excès, ni sucre, et, n’en déplaise à nos amis d’Outre-Manche, surtout pas de menthe dans son accompagnement ! Les « peas » anglais ont un rapport plus étroit avec les pois chiches qu’avec les petits pois extra-fins de nos jardins. Que l’on éprouve le besoin de leur ajouter moult saveurs étrangères après les avoir fait bouillir à grande eau, cela se comprend. Mais de grâce, ne commettez point un tel crime avec les petites billes vertes de votre jardin ! Et puis il est grand temps de retrouver l’un des plus grands plaisirs liés à la consommation de ce légume délicat : cueillette et écossage prennent un temps infini… Si l’on tenait compte des heures de main d’œuvre nécessaires à la récolte et à la préparation d’un kilo de grains, la jardinière de légumes frais deviendrait alors un plat vendu presque au prix de l’or… L’occasion peut-être de recréer un peu de lien social ? La joie des soirées passées à émonder les noix, à effiler les haricots, ou à écosser les petits pois… surtout si le personnel concerné est invité à partager le plat ensuite. Philippe Delerm décrit cela très bien dans « la première gorgée de bière ». Pour cette fois, je vous ferai grâce de l’épépinage des groseilles à la plume d’oie, je ne suis pas un sadique.
Les raisons que j’ai d’écrire ce billet sont nombreuses et mériteraient sans doute d’être détaillées. Je ne les expliciterai pas aujourd’hui cependant. Je mettrai juste en avant le fait que j’estime nécessaire de consacrer à nouveau du temps à notre alimentation. Je constate un peu plus chaque jour que les néo-ruraux, citadins transplantés dans un décor campagnard, rêvent de consommer des légumes frais, mais ne s’intéressent qu’aux produits « bons à manger direct » du jardin. Tomates, melons, courgettes ou aubergines ont la cote, car il suffit de les couper en rondelles… Les légumes demandant un effort plus conséquent sont boudés. Les salades vertes qu’il faut laver parce que – beuark – il y a de la terre et des limaces, les haricots « je n’ai pas le temps » et les blettes « ça se mange ? » ont beaucoup moins de succès. Il y a un grand pas à faire pour se désaccoutumer des légumes ronds, lisses et tout propres du supermarket du coin. Ce n’est pas parce qu’un petit ver a fait une minuscule galerie dans un navet que l’on risque une hospitalisation d’urgence. Le pesticide qui se dissimule sous la peau paraffinée de la pomme parfaite est sans doute beaucoup plus dangereux. A ce propos, la démarche de l’association « slow food » est intéressante ; dommage que l’ambiance soit un peu trop huppée à mon goût (ce n’est pas un jugement péremptoire et sans appel, j’y reviendrai). Il n’y a pas besoin d’aller dans un restau quatre étoiles pour se faire plaisir avec… ma jardinière du solstice !
3 Comments so far...
Patrick MIGNARD Says:
23 juin 2011 at 16:00.
Ça donne sacrément envie d’y goûter,… et si ce n’est pas l’essentiel, ça en fait tout de même partie. Merci pour ça !
Cathy Says:
25 juin 2011 at 10:37.
J’ai des petits pois, des carottes, des oignons et des patates ramenés du marché ! J’ai bien fait de te lire ce matin 😉 Le programme des réjouissances culinaires est offert par la Feuille. C’est chic ! A propos de feuille, j’ajoute volontiers une feuille de salade dans ma jardinière, mais je laisse de côté la viande et la charcuterie.
Ma jardinière va mijoter dans un tout petit d’eau, dans une cocotte en fonte. J’ajoute également une branche de thym et une feuille de laurier. Et une noix de beurre à l’arrivée !
PS : en quelle langue s’exprime ta Captcha ? Kwa nicapi… ?
fred Says:
27 juin 2011 at 13:53.
j’ai mis longtemps à ne pas dédaigner bêtement ce plat.
« la jardinière ? » Beurk ! « y’a pas des frites ? » beuglais je haut et fort pendant tant d’années !
Pourtant, un jour, j’ai eu l’illumination. C’était il y a 10 ans à peu près …
Avec des légumes frais et à peu près la même recette …. quel bonheur ! quel délice !
Une vraie révolution papillaire !
Je ne peux donc que plussoyer devant ce bel article de la feuille !