2 septembre 2011

Raconte moi papy… quand tu enseignais la morale à l’école

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Sur l'école .

Bravo Mr Chatel, en voilà une idée au moins qu’elle est bonne et surtout qu’elle ne coûte rien et plait aux électeurs, du Front National à la Gauche Socialiste Patriote Amoureuse du Drapeau. Facilement un millier de voix supplémentaires à glaner pour le grand Mamamouchi, sans débourser un radis. Finie l’époque bénie où Mère Liliane arrosait les campagnes électorales. Il faut maintenant faire feu de tout bois et trouver des idées, peu onéreuses, et suffisamment populistes pour récupérer quelques brebis égarées à l’extrême droite de ce bon Mr Guéant (eh oui, la ligne d’horizon de droite recule chaque jour un peu plus loin et tend vers l’infini…).

Le problème d’une circulaire qu’on balance à la va-vite quelques jours avant la rentrée, c’est qu’on n’a pas toujours beaucoup d’idées pour la détailler. Pas de souci nous dit Saint Luc dans son évangile : ce qui importe c’est le but à atteindre ; chaque enseignant, pilier de l’établissement scolaire vacillant, est en mesure de trouver quelques bonnes idées pour faire avaler la soupe fadasse aux fans de jeux vidéos amateurs de sensation forte. Puisque nous baignons dans le « c’était mieux avant » (il paraît que la femme de Mr Saint Luc a recommencé, comme dans les campagnes au XIXème, à faire la lessive au lavoir avec des cendres de bois), je propose à mes jeunes collègues de prendre exemple sur les grands anciens, les hussards noirs de la République qui, dans nos campagnes profondes, consolaient veuves et orphelins au son du clairon et redressaient les torts commis par les ennemis teutons de la nation. J’ai sous les yeux un magnifique « premier livre de lecture et d’instruction pour l’enfant », rédigé par ce bon Mr Bruno (l’auteur du tant prisé « tour de la France par deux enfants »), et édité chez Belin en 1892. Je propose aux enseignants débutants et non formés trois textes extraits de cet ouvrage qui remporteront certainement un grand succès auprès de leurs élèves, surtout si les collègues sus-nommés ont la chance de travailler dans les quartiers adaptés (et pas toujours adoptés).

« La prière d’une enfant
C’était un dimanche et les cloches sonnaient à toute volée. La jeune Adèle, gaiement, s’était rendue à l’église, vêtue de sa robe des plus beaux jours de fête.
Agenouillée sur une chaise, auprès d’un pilier, elle priait.
Tout près d’elle priait aussi une pauvre femme, agenouillée sur la pierre. La pauvre femme était vieille, elle était pâle, elle avait l’air souffrante, et ses genoux tremblaient sur les dalles froides.
La jeune Adèle se sentit émue de pitié : sans bruit elle se leva et glissa sa chaise derrière la bonne vieille ; elle mit dans la main amaigrie de la pauvre femme le sou que sa mère lui avait donné pour payer sa chaise ; puis, s’agenouillant à son tour sur la pierre, elle dit tout bas : « asseyez-vous. »
La pauvre vieille, la remerciant d’un regard, s’assit. Sous l’ombre du grand pilier, l’action de l’enfant s’était accomplie sans que personne la remarquât.
Mais, quand Adèle reprit sa prière interrompue ainsi par une bonne action, il lui sembla que son âme en était devenue meilleure, et que du fond de son cœur montait vers Dieu une prière plus forte et plus pure. »

Commentaire pédagogique. Les pistes proposées par l’auteur, en 1892, me paraissant mal adaptées aux exigences de notre temps, en voici quelques autres pour permettre à mes collègues hyper-actifs quelques séquences plus attrayantes. Réfléchissons un peu sur le sens de cette histoire… La vieillesse est une période difficile, surtout quand on a durement travaillé toute sa vie. En fait, si l’on veut profiter de quelques années de vieillesse heureuse, mieux vaut cesser toute activité salariée et/ou pénible assez tôt dans sa vie. Cette petite fable illustre à merveille les vertus de la retraite par répartition, système que les jeunes générations actuelles semblent considérer comme « has-been » ou comme utopie. Si Adèle avait touché un salaire correct de la part de son employeur, elle n’aurait pas eu de quoi se payer une seule chaise mais deux. Sans se priver aucunement, elle aurait donc pu offrir l’une des deux chaises à la vieille sans souffrir inutilement. Nul besoin d’un sourire divin pour l’encourager. Adèle, en parfaite connaissance de ses droits sociaux, aurait su que de toute façon, la récompense qu’elle méritait, lui aurait été attribuée, non dans un quelconque au-delà (dont l’existence, même en 1895, était soumise à caution), mais lorsqu’elle même aurait atteint l’âge où l’on apprécie ce genre de délicatesse.

« Le travail dès le matin
Voici l’aurore qui paraît, voici le gai matin. L’abeille active sort de sa ruche en déployant ses petites ailes d’or. Elle bourdonne et semble dire : « merci, chaud rayon de soleil qui fait éclore les fleurs où je vais puiser mon miel. »
Dans l’étable, les grands bœufs ont mugi : « voici le jour ! veulent-ils dire ; laboureur éveille-toi, partons ensemble pour creuser le sillon où germeront les blés ».
La vache beugle devant sa crèche : « fermière laborieuse, ouvre-moi, il faut que j’aille brouter l’herbe de la prairie, afin d’emplir mes mamelles d’un lait généreux qui nourrira tes enfants ! »
Ainsi, dès que le jour paraît, chacune des bonnes créatures de Dieu reprend courageusement son labeur.
Imite-les, petit enfant ; tout travaille ici-bas, travaille toi aussi avec courage. Le travail c’est le bonheur. »

Commentaire pédagogique. Ce texte suinte tellement le bon sens qu’il n’est point besoin d’en analyser finement la portée idéologique. Plus qu’un simple jeu de questions-réponses, il serait peut-être intéressant d’amener les enfants à le paraphraser en choisissant divers sujets comme personnages principaux à la place des abeilles et des bovidés ; on peut suggérer par exemple un Malien sur le point d’être expulsé, un chômeur de chez Continental ou Madame Bettencourt en personne. Un professeur un tantinet écologiste peut guider ses élèves sur des pistes plus agrestes : l’intérêt d’utiliser des bœufs pour le labour (à condition qu’ on se les soit procurés de façon honnête et non en volant un œuf), ou le rôle essentiel des abeilles dans le processus de pollinisation. Dans ce cas, on évitera toutefois une quelconque allusion aux multinationales, aux pesticides et à la disparition des abeilles. Il ne faut pas que le regard de nos chères têtes blondes diverge trop de la ligne bleue des profits à l’horizon.

Allez, une dernière petite pour la route. Ce n’est pas tous les jours qu’on a de saines lectures pour s’abreuver aux sources du savoir…

« Politesse, Obligeance et Charité, trois bonnes actions en une heure
Paul allait au moulin faire une commission pour sa mère. Chemin faisant, il rencontra un pauvre vieillard infirme qui avait faim. Paul cherchait en son cœur ce qu’il ferait bien pour soulager la misère du vieillard. « Quel malheur, pensait-il, que j’aie achevé le pain de mon déjeuner ! » Tout désolé de n’avoir rien à donner, il ôta respectueusement sa casquette. « Dieu vous bénisse, enfant qui honorez la vieillesse ! » dit l’infirme. Et Paul continua sa route, heureux de voir que sa politesse avait fait plaisir au vieillard.
Quand Paul arriva au moulin, il vit une poule qui sortait de dessous un buisson. S’étant approché du buisson, il découvrit, cachés sous les feuilles, huit gros œufs.
Aussitôt Paul entra au moulin, salua la meunière, fit la commission dont il était chargé : « Madame, ajouta-t-il, je viens de voir dans un buisson huit œufs qu’une de vos poules y a cachés. »
Et Paul conduisit la meunière au buisson. La meunière, bien contente de trouver les huit œufs qui auraient été perdus, tira du four un grand morceau de galette : « Voilà, dit-elle, mon enfant, pour vous récompenser de votre obligeance. »
La galette donnée par la meunière sentait si bon, que Paul fut sur le point de la croquer tout de suite.
Tout à coup il se souvient du pauvre vieillard qu’il avait rencontré sur le chemin. « Il n’a pas déjeuné, lui, pensa-t-il ; comme cette excellente galette lui ferait du bien ! »
Et il se hâta de courir pour le rejoindre. Bientôt il eut rattrapé l’infirme. Il lui mit sa galette dans la main. Le vieillard était ému de la bonté de l’enfant, et, en lui disant merci, il essuya une larme.
Ainsi, en moins d’une heure, Paul avait trouvé le moyen d’être poli, obligeant et charitable. »

Commentaire pédagogique. J’espère que vous apprécierez le fait que j’ai gardé la meilleure pour la fin. Ces trois vertus sont en effet essentielles et il est important de prolonger cette séquence hautement morale en éclairant la profondeur de sa signification grâce à l’aide de quelques exemples contemporains bien choisis. Pour illustrer la première partie, on peut citer le célèbre « casse-toi pov’con, » directement recueilli par les micros – citation émanant de l’une de nos sommités himalayennes de la politique. En ce qui concerne obligeance et respect du bien d’autrui, les images disponibles sont tellement nombreuses, toujours parmi les personnalités dont les enfants entendent parler à la télé, que je ne me hasarderais pas à guider votre choix. Quant à la charité, pensez à ces quelques milliardaires repentis, qui envisagent de faire l’obole à l’état bienfaiteur de quelques redevances supplémentaires pour aider les pauvres à faire face à la crise… Décidément, l’actualité de ces derniers mois est une mine d’idées pour les enseignants qui veulent se donner un peu la peine…

EN CONCLUSION. Toutes ces gesticulations me donnent envie de gerber. Comme je l’ai déjà dit à (au moins) deux reprises, je ne regrette pas d’avoir pu quitter le navire en perdition avant qu’il ne sombre complètement. J’ai eu la chance d’être relativement libre dans mes choix pédagogiques, d’essayer – dans la mesure du possible – de mettre en pratique les règles morales d’entraide et de respect d’autrui dans la vie quotidienne de ma classe, et non de les enseigner uniquement pour plaire « à nos bons maîtres ». J’ai échappé aussi aux Marseillaises beuglées le regard tourné vers la ligne bleue des Vosges (personnellement je préfère « la chanson de Craonne », même si je ne l’ai jamais apprise à mes élèves). Depuis que l’Education Nationale est gérée par les mêmes sbires que les groupes privés, les choses vont de mal en pis. En conclusion – sérieuse – à ce billet ironique, je vous invite à lire la lettre de démission envoyée par un instituteur à son Inspecteur d’Académie, publiée par Rue 89. Je ne connais pas personnellement Laurent Ott, mais j’ai déjà eu l’occasion de lire pas mal de textes intelligents écrits de sa plume, notamment dans « L’éducateur ». Laurent est militant de l’ICEM (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne – pédagogie Freinet). C’est un instit, un vrai, un gars qui y croit et qui sait que l’apprentissage de la morale ne se fait pas le matin dans des leçons idiotes de cinq minutes. Je souscris entièrement à l’ensemble de ses propos et je lui tire mon chapeau.

5 Comments so far...

François Says:

2 septembre 2011 at 22:30.

Edifiant, le mot est faible. Quand on se met à penser que c’était mieux avant, rien de tel qu’une petite plongée dans les textes de l’époque pour être guéri de toute forme de nostalgie.

Je note quand même que le héros de la dernière histoire se prénomme Paul 😉

Clopin Says:

4 septembre 2011 at 13:10.

Moi aussi, je suis tombé sur la lettre de démission publiée dans Rue 89 et, bien qu’ayant instantanément pensé à toi, je n’ai pas osé t’envoyer le lien de peur de raviver chez toi de mauvais souvenirs… Mais je constate que ta capacité d’indignation est intacte et que cela nous vaut un article bien corrosif comme on les aime !

Paul Says:

4 septembre 2011 at 13:46.

Merci pour vos commentaires, Clopin et François. Ça me hérisse le poil chaque fois que l’on ressort ce genre de conneries à l’occasion des rentrées scolaires. Un coup c’est la méthode globale qui a ruiné l’apprentissage de la lecture, un autre coup faut revenir à la plume et à l’encre violette pour apprendre à faire les pleins et les déliés, après c’est la morale… A quand les défilés dans les cours de récréation avec des fusils en bois. La vérité est bien plus triste : faute de moyens, de formation adaptée des enseignants, l’école part à volo… Après une relativement brève période où l’on bénéficiait d’une relative marge de manœuvre dans ses choix pédagogiques, on revient à une école rouage parfaitement huilée d’une société qui ne rêve que profits, compétition et servilité des individus. Car derrière toutes ces pantomimes de rentrée il y a une volonté bien réelle de mettre les enseignants au pas et de créer une école à deux vitesses… entre autres malversations.

Zoë Lucider Says:

19 septembre 2011 at 22:41.

Approbation totale de ce billet et du texte publié sur Rue 89. Alors que nos « importantes personnes » nous font des démonstrations de débauche et de veulerie, on nous fait résonner au son du clairon le retour de la morale (moraline aurait dit Nietzsche). La lecture en filigrane de cette injonction est la suivante = laxisme des parents et des éducateurs qui ne fouettent pas suffisamment la marmaille pour l’habituer au joug accepté en silence. Oui not’ bon maître, un acquiescement qui s’est démonétisé, à remettre en vigueur d’urgence. Ils ont un peu la trouille au final.

a/c Says:

6 octobre 2011 at 10:02.

excellent article !!

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