16 janvier 2012
Court métrage romain… sans vespa
Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage .
Bienheureux voyageurs. A l’heure où d’autres ploient sous la charge d’un dur labeur pas toujours apprécié, certains privilégiés, prenant prétexte d’une date anniversaire jugée fort importante, déambulent sous un soleil quasiment printanier dans la capitale italienne… Enfin, ont déambulé, puisque nous voilà rentrés au bercail. Rassurez-vous, ce n’est pas la bénédiction du pantin en blanc qui s’agite sur son balcon que nous sommes allés chercher… Le regard paresseux suivi d’un clin d’œil étonné des chats qui se prélassent en grand nombre dans les jardins publics et les chantiers archéologiques, nous a plus interpellés que le va et vient constant des abbés affairés et des nonnes en gris, en noir ou en blanc, dans les antichambres vaticanesques. Le billet sur Ida Pfeiffer publié la semaine dernière était en fait un signe avant-coureur de notre première migration 2012, bien que celle-ci soit une bien modeste entreprise par rapport aux exploits accomplis par cette grande dame. Un passage rapide dans le quartier du Vatican nous a aussi permis de vérifier que la pâtisserie de la Piazza dell’unità est toujours intacte et que la prédiction de Ida H.K. ne s’est pas réalisée. La pâtisserie mentionnée dans le billet commis par votre serviteur s’est carrément volatilisée et nous n’avons pas non plus croisé le célèbre détective Paul Employ dans les environs : la Feuille Charbinoise aurait-elle inventé toute cette histoire d’attentat machiavélique ?
Quand on n’a jamais mis les pieds à Rome, ce qui est notre cas, la première chose qui surprend c’est l’immensité de la ville. D’après les guides que nous n’avons pas manqué de consulter, il paraît que la superficie totale de la cité dépasse celle de toutes les autres grandes villes italiennes réunies. En tout cas, il faut rouler un bon moment dans un bus ou un tram pour traverser, ne seraient-ce que les quartiers les plus anciens, de part en part. Il règne dans la cité une animation trépidante pratiquement à toute heure du jour et de la nuit. Si l’on ajoute à cela, la silhouette des pins parasols et l’ocre des façades, il n’y a pas de doute, on est bien dans une ville méditerranéenne. Un zeste de Quartier Latin, une pincée de quartier St Jean, une louche de Toscane, plus un petit quelque chose de très local que je n’arrive pas à définir vraiment. Rome est une ville qui se prête admirablement au cliché « carte postale » ; dès que l’on se hisse sur une hauteur quelconque, la vue panoramique est des plus plaisantes. Si l’on reste au niveau des trottoirs, l’appréciation varie selon les quartiers : hors des zones très touristiques et/ou commerciales, le nettoyage laisse beaucoup à désirer… La sensation éprouvée par le piéton d’être transformé en quille pour le slalom des vespas n’est pas toujours plaisante non plus. Il est donc agréable de chercher les sommets pour se dégager du bazar terrestre : terrasse des jardins de la villa Borghese, point de vue depuis le mémorial Garibaldi, ou panorama du haut du toit du « Vittoriano », le hideux monument construit à l’initiative du roi Vittorio Emmanuele, que les Romains ont surnommé « la machine à écrire » ou « la pièce montée »…
Nous avons bien entendu un peu fait ce que j’appelle le « tourisme lourd » : certains monuments sont vraiment incontournables, et nous nous sommes acquittés des péages indispensables pour les visiter. Difficile de passer à côté d’un Colisée ou d’un Panthéon sans aller trainer ses guêtres à l’intérieur. Mais je crois que ce qui m’a le plus charmé, c’est de flâner dans les ruelles tortueuses de la vieille ville. On fait une quantité de découvertes surprenantes au hasard du parcours, notamment lorsque l’on peut jeter un coup d’œil indiscret derrière de lourdes portes trop souvent closes. Certains « palazzi » présentent en effet des façades bien décrépies, mais offrent des vues somptueuses lorsque l’on pénètre subrepticement dans leurs cours intérieures. Les fontaines des petites places romaines sont célèbres et c’est mérité. Certaines sont ornées de sculptures surprenantes. Sur ces mêmes « piazette » discrètes, au croisement de deux rues, on découvre parfois quelques vestiges archéologiques plus ou moins valorisés. La déambulation au fil des ruelles est plaisante : la diversité des boutiques est parfois étonnante. Le vieux quartier central n’est encore pas trop colonisé par les enseignes habituelles qui ont conquis les zones piétonnes de nombreuses villes. Les ateliers d’artistes, les entrepôts de brocanteurs, les magasins d’antiquité abondent et leurs vitrines rivalisent d’ingéniosité dans la décoration. De nombreuses boutiques offrent à la vente des objets insolites de production locale, et, si l’on s’éloigne un peu des parcours balisés, la quincaillerie « made in… » n’a pas encore envahie tous les étals… Je ne parle pas bien sûr des échoppes de la place Venezia ou des boutiques situées à proximité du Colisée ou du Palatin ! Nous nous sommes régalés à photographier des vitrines, véritables œuvres d’art par elles-mêmes : ferronnerie d’art pour orner les devantures des meubles, santons de crèche, boules de Noël en verre, mitres d’évèques et soutanes du dernier chic… Si l’on ajoute, dans certains quartiers, nombre d’ateliers de souffleurs de verre ou de sculpteurs œuvrant sur une grande diversité de matériaux, le périple est des plus agréables pour un esprit curieux. Il y a de quoi se créer des envies bien plus affriolantes qu’à bader simplement devant les vitrines de telle ou telle grande marque de chandails, de savonnettes ou de parfums, semblables les unes aux autres de Vienne à Dublin en passant par Lisbonne ou Milan. Un conseiller en com’ devrait suggérer aux commerciaux de « L’Occitane » ou de « Benetton », de varier un peu le faux décor original de leurs devantures !
D’autres éléments du décor nous ont frappés également, mais ceux-là sont malheureusement de plus en plus courants dans les grandes villes. Le principal c’est la misère omniprésente dont témoignent la multiplication des petits marchés, des fripes, des vendeurs ambulant dont l’éventaire se limite à quelques têtes d’ail ou trois objets en cuir, la mendicité ou les simples regards de détresse… Tout cela se déroule sous l’œil indifférent de ces hommes d’affaires en costumes immaculés, dont la bagnole aux vitres fumées garée en seconde ou troisième position, bloque sans vergogne une circulation automobile déjà plus que chaotique. Autre élément du décor, la multiplication des uniformes, police, armée ou services de sécurité, bien que leur présence, très lourde, semble d’une efficacité limitée en ce qui concerne la délinquance quotidienne. J’ai payé mon « dû » à cet impôt énervant, touriste benêt servant de cobaye à un pickpocket expérimenté dans le métro. Cela a eu le mérite au moins de nous permettre de donner un coup d’œil, trop limité à mon goût, à l’intérieur du palais Farnese qui sert d’abri à l’ambassade et au consulat de France… Bien que l’on habite soi-disant l’espace Schengen, difficile de se déplacer sans le moindre papier d’identité… Mieux vaut en ce cas être un « honnête citoyen » du pays voisin et ami, plutôt que l’un de ces nombreux immigrés sans papiers et sans travail, que l’on rencontre par centaines dans les lieux touristiques de la cité romaine. Il est clair que l’on ressent parfaitement ce qu’exprime le dicton « mieux vaut être riche, blanc, en bonne santé, avec des revenus et des papiers officiels plutôt que… ». Mais je ne vais pas commencer à enfoncer des portes ouvertes !
Le quartier populaire où nous avons installé notre campement était agréable, et le fait d’y rester plusieurs jours de suite, nous a permis une certaine immersion dans les coutumes locales. Il est plaisant d’être reconnu et salué par le boulanger du coin de la rue, d’emprunter à plusieurs reprises la même ligne de bus, d’en identifier la succession des arrêts, de repérer les passages difficiles ou les zones où les places assises sont les plus difficiles à conquérir. Il est plaisant aussi, après quelques jours de répétition de ces rituels auxquels nous ne sommes plus accoutumés – depuis le temps que nous vivons dans un hameau rural d’une vingtaine d’habitants – de retrouver notre havre de paix habituel… Que ce soit Rome, Budapest, Dublin ou Paris, c’est amusant de jouer pendant un temps à l’ethnologue en mission, mais – j’en suis de plus en plus convaincu – la ville ce n’est plus mon univers : trop de tension, de bruit, de fatigue viennent à bout très vite des plaisirs faciles qui s’offrent au visiteur.
Alors… bilan pour conclure. Vous avez aimé Rome ? Oui, pendant ces quelques journées passées à s’y aventurer, mais sûrement pas pour y installer mes pénates… Les lieux que vous avez préférés ? Les ruelles du Campo dei fiori, du Trastevere, la colline du Palatin et les pins parasol du jardin de la villa Borghese. L’impression d’avoir vu l’essentiel ? Non, je pense que nous n’avons fait qu’effleurer le sujet… Du bouquet de marguerites, nous n’avons effeuillé qu’une fleur… La richesse de la ville est grande et justifie sans doute d’autres séjours, mais il est tant et tant de villes dont les noms à eux seuls constituent une légende… Tant de châteaux, de forêts, de contrées lointaines et de visages humains qui jalonnent ma propre carte du monde…
Nota Bene (molto bene) : Ma correctrice préférée étant déçue que j’ai zappé dans mon inventaire la colonne Trajan qui lui a tapé dans l’œil, je corrige derechef cet oubli malvenu. Voici donc, pour les amateurs de sculpture fine, le tout début de l’une des plus célèbres bandes dessinées de l’époque romaine… On fait trop souvent attention à la paille qui est dans l’œil du voisin…
6 Comments so far...
Clopin Says:
18 janvier 2012 at 11:51.
Ben nous on a pas le Capitole mais on a des oies !
Sinon, bien que bouffeurs de curé invétérés, nous avons un souvenir ébloui des musées du Vatican malgré l’indécence de cet étalage inoui de richesses ! Avez-vous jeté un pièce dans la fontaine de Trévi ?
Zoë Lucider Says:
18 janvier 2012 at 22:17.
J’ai aimé Rome où je suis passée à plusieurs reprises. J’ai été délestée de mon portefeuille mais (ancienne habitude de routarde), je l’ai senti et me suis retournée illico vers la gitane qui a lâché mon bien et s’est enfuie juste à temps avant que les portes du métro de ferme. J’ai ainsi évité la visite de l’ambassade mais ne m’en plains pas. Sinon c’est la déambulation de petite place en petite place que j’ai aimé, moi aussi.
Paul Says:
19 janvier 2012 at 14:57.
@ Zoë, JEA, Clopin – Merci pour vos commentaires. Cinq jours qu’on est rentrés ; le temps passe vite. Ce que l’on regrette le plus je crois, c’est le soleil de l’après-midi et sa douce chaleur qui permettait de lézarder un peu… Ici, froid, grisaille et retour de l’humidité… Enfin, du coup on apprécie aussi le fait d’avoir le temps de lire et d’écrire un peu. Et puis, comme le dit si bien Clopin, il faut bien qu’on écoute un peu nos oies, même si leur discours ressemble étrangement à celui des oies du ou des pays voisins… L’incident du métro est oublié, malgré le préjudice financier. Le plus emmerdant c’est d’avoir à rassembler la pile de papiers nécessaires pour avoir les papiers dont j’aurai besoin dès que le démon de la bougeotte me prendra à nouveau dans ses filets. La prochaine fois ça risque d’être un peu plus rural comme escapade…
Pascaline Chion Says:
19 janvier 2012 at 15:08.
@ Clopin
Nous ne sommes pas allés jusqu’à la fontaine de Trevi. En sommes passés pas tellement loin, mais on avait des heures de marche dans les pattes, et le crochet nous aurait pesé.
Je ne regrette pas plus que ça.
Je conçois très bien ton écoeurement devant cet étalage inouï de richesses ! C’est ce qui me déplaît à Rome – malgré l’intérêt et le plaisir que j’ai eus à la découvrir : l’excès. Pourquoi avoir un toit à vingt mètres de ta tête quand dix fois moins suffirait ?