5 avril 2012

Potins feuillesques et charbinois — côté verdure

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

 Si c’est plutôt calme du côté du blog, ça remue sacrément dans notre environnement immédiat ; le second facteur explique d’ailleurs le premier… Le démarrage spectaculaire du printemps a pour conséquence une accélération frénétique du rythme de travail extérieur. Le nez dehors de 8 h du matin à 7 h du soir, ça ne suffit pas pour faire front à l’accumulation des tâches à exécuter. En plus, en 2012, il semble que, n’échappant pas à la loi commune, nous ayons un an de plus sur le dos (surtout sur le dos !). Ainsi que je le revendique périodiquement, il serait souhaitable que la durée des jours passe à 48 h, histoire que j’aie encore le temps de trainer devant le clavier de l’ordinateur et celui de l’accordéon, histoire que je ne m’amuse pas à recréer un stress inutile qui me fatigue parfois plus que le travail lui-même. Bref, on fait avec, un coup à gauche, un coup à droite, une pause au centre… Pour vous dire la vérité, en fait, j’aime ça, ce déferlement d’activités « nature ». La période fin mars – début mai est sûrement l’une des plus excitantes au jardin. D’abord il y a une grosse frustration à combler, après avoir passé plusieurs mois à observer (parfois de loin) une nature vivant au ralenti. Ensuite, le début de végétation offre des spectacles aussi inédits qu’émouvants. Pour finir, le jardinier ressent un peu la même impression que le peintre devant sa toile blanche ; tout semble possible, et les premières ébauches réalisées entrainent toute une série de créations en cascade. La remise à neuf de tel ou tel massif rend nécessaire un nouvel aménagement de l’espace voisin. Certains volumes sont à rehausser ; des plantes qui n’étaient pas à leur place à déménager. A chacun selon ses goûts : associer ou mixer les couleurs ; jouer sur les perspectives de façon plus ou moins rigoureuse ; corriger ce que j’appelle « les erreurs de casting » des mises en scène précédentes. Avant d’introduire une nouvelle espèce végétale dans le jardin, je fais toujours un test au préalable ; je ne veux pas de plantes trop fragiles ou nécessitant un nombre élevé d’opérations. J’aime l’apparence faussement naturelle des jardins anglais. Je n’apprécie guère les buis taillés au carré et les massifs tirés au cordeau « à la française ».

 Nous travaillons depuis dix ans, ma compagne et moi, à aménager un vaste espace vert, avec des fleurs, des légumes et des arbres. Nous sommes à la fois des privilégiés – et ça j’en ai bien conscience – et des démunis. Privilégiés car nous avons un cadre de vie très agréable et beaucoup de place. Démunis parce que nous n’avons pas le compte en banque qui accompagne généralement ce genre de réalisation. Du coup, nos moyens limités nous obligent à avancer par petites touches. Pas vraiment de plan d’ensemble, mais un puzzle de verdure dont les pièces se mettent en place progressivement. Pas question non plus de faire appel à des entreprises ou à une quelconque aide rémunérée. Les centaines de trous de plantation ont été faits à la main ; les tonnes de compost nécessaires ont été tournées à la fourche et charriées en brouette ; les arbres ont été achetés un par un, hiver après hiver, en fonction des disponibilités financières. Point commun avec le blog, notre parc est un joyeux méli-mélo qui se construit peu à peu au fur et à mesure du temps qui passe. Nous n’avons ni l’un ni l’autre aucune formation technique dans ce domaine. L’avantage de travailler par étapes, c’est que nous acquérons peu à peu une expérience qui nous permet d’éviter les erreurs des premiers temps. Le côté « fouillis organisé » n’est pas le seul point de ressemblance entre le blog et le parc. Nous avons décidé que ces deux entités, et même une troisième – la maison – porteraient le même nom : « La Feuille »… Plusieurs raisons à cette dénomination : « feuille de papier » correspond bien aux amoureux des livres que nous sommes ; « feuille d’arbre » pour l’arboretum que nous avons commencé à constituer ; « feuille de route » pour les carnets de voyage, feuilles aussi pour le temps qui passe et la mémoire qui va-et-vient. Autre raison dans notre choix, et ce n’est pas la moindre, le lieu-dit cadastral où se situe le hameau dans lequel nous habitons se nomme également « La Feuille ». Rencontre entre la toponymie et la destinée d’un lieu.

 Privilégiés nous sommes, donc, mais nous tenons à partager ce privilège que constitue un vaste espace de vie et de verdure, avec ceux que notre projet intéresse. Nous essayons « d’ouvrir » la maison, le plus possible. Nombreux sont les ami(e)s, intéressés de près ou de loin par nos activités pléthoriques, qui nous rendent visite et nous donnent des coups de main ponctuels depuis des années. Il est impossible de dresser la liste de tous ceux qui ont aidé à mettre la truelle dans le béton ou le bois dans la raboteuse depuis que nous avons commencé l’aménagement de nos divers bâtiments, sans courir le risque d’en oublier un ou une. Je ne me livrerai donc pas à ce genre d’exercice qui présente par ailleurs le défaut de n’intéresser que les gens qui seraient cités au tableau d’honneur. Nous avons même recruté quelques généreux donateurs pour « sponsoriser » quelques uns de nos plus beaux arbres (rassurez-vous, cette chronique n’a pas pour objet un appel de fonds habilement dissimulé !)
Depuis plus de deux ans, nous avons rejoint le réseau « Couch’Surfing » et reçu un certain nombre de voyageurs, pour une nuit ou plus. L’occasion de belles rencontres, que ce soit parmi les gens que nous avons hébergés ou parmi ceux qui ont été nos hôtes en France et à l’étranger. Avec plus de trois millions d’inscrits, ce réseau d’échanges de canapé et de civilités, a littéralement explosé. De nombreux groupes locaux existent, proposant des activités de proximité et regroupant, au gré des hasards du calendrier, hébergeurs et hébergés. Nous sommes un peu en décalage par rapport à la moyenne d’âge des inscrits : on serait plutôt au stade de jouer à pépé mémé plutôt qu’aux gentils hôteliers, mais cet élément là nous plait beaucoup. Rencontrer des plus jeunes que nous continue à nous dynamiser : nous avons l’impression d’avoir constamment nos garçons à la maison et les projets des vingt ou trente ans de moins que nous, nous paraissent plus réjouissants que les sorties en car du « club diamant » local, ou les virées traditionnelles en camping-car des retraités professionnels. Il n’en reste pas moins que certains matins, avant d’aller « au turbin », je me demande quelle mouche m’a piqué de me lancer dans un bazar pareil, d’autant que, me font remarquer certains esprits rationnels, « dans quelques années ça va devenir encore plus difficile »… Notons au passage qu’on peut se poser le même genre de question pour plein d’autres projets… Un blog par exemple… quelle motivation ? Des milliers de pages accumulées pour… la gloire ? l’amour du lard ?

 Enfin bon… Ainsi souffle le vent dans la principauté charbinoise. Il fait voler des milliers de feuilles en attendant de faire tourner une éolienne. Et pour tourner, eh bien il faut que ça tourne, sacré nom d’un p’tit bonhomme ! Cette année, nous nous sommes dit qu’en plus des privilèges, ça serait bien que nous partagions aussi le travail qui accompagne la création de cet environnement épanouissant. Nouvelle expérience donc. Nous nous sommes inscrits à un autre réseau à dominante anglo-saxonne : « Help’x », diminutif de « Help exchange » ou « échange d’aide » pour ceux qui ont la flemme de traduire. Cela me plairait bien d’ailleurs si tous ces réseaux, les sites internet qui leur servent de base, et leurs multiples adhérents étaient un peu plus francophones. Mais la France, comme dans beaucoup de domaines, a été plus ou moins pionnière dans ce domaine-là, avant d’être pas mal larguée par l’approche un peu plus décontractée de nos amis d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique. Si je mentionne le fait que la France a été pionnière, c’est parce que c’est des étroites frontières de l’Hexagone – à ma connaissance – qu’a démarré le plus ancien des réseaux de partage, à la fois idées, couchage et amitié. Il s’agit du réseau « Servas », construit dans les années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, et établi sur des bases si solides qu’elles sont toujours là, bien en place. Certains des voyageurs que nous avons reçus faisaient d’ailleurs partie des deux associations : « Couch’Surfing » et « Servas ». Un jour, peut-être, je vous ferai une description détaillée de ces divers mouvements, de leurs similitudes et de leurs divergences… Pour l’heure, nous voilà aussi adhérents de « Help’x » et nous avons reçu, au mois de mars, notre premier voyageur travailleur, en séjour à la maison.

 Le contrat de base proposé par Help’x (et par ailleurs assez souple) est assez simple : accueil (avec, à nos yeux au moins, le respect de la plénitude des sens que contient ce mot), nourriture et logement contre trois ou quatre heures d’aide à divers travaux chaque jour. Cet horaire peut être modulé à convenance : un jour de travail, un jour de repos, journées groupées… « Aide » ne veut pas dire travail accompli avec les mêmes objectifs que dans le cas d’un emploi salarié. Il s’agit avant tout d’un partage de connaissances autour d’une activité donnée, en fonction des compétences, des envies et des besoins de chacun. Tu m’aides à brasser mon compost ; je t’explique comment je fais. Tu as de plus gros biceps que les miens et un dos en meilleur état : tu m’aides à tourner du béton et à pousser la brouette. Il ne s’agit en aucun cas de recrutement « au noir » d’une femme de ménage ou d’un électricien pour remettre à neuf l’installation de la maison. Il n’en reste pas moins que la mise en commun des idées, et l’intervention de nouvelles personnalités, permet bien souvent d’avancer plus vite dans le travail. Notre premier « voyageur travailleur » est resté une dizaine de jours entre nos murs et l’expérience s’est révélée vraiment très enrichissante à différents niveaux. Quelques exemples ? Le niveau linguistique des deux parties a bien progressé. Beaucoup d’échanges se sont faits en Anglais ; du coup notre niveau est passé de rouge à rouge-orange dans l’échelle de Shakespeare ; notre visiteur a bénéficié de cours accélérés de francophonie et a pu acquérir tout un vocabulaire argotique ou régional de prime importance dans la vie courante. Ayant le privilège d’héberger un chef pâtissier soucieux de découvrir la pâtisserie française, nous nous sommes joints à ses tests de dégustation et avons réussi à gagner un bon kilo pendant son séjour. Côté jardin, eh bien, beaucoup de projets ont avancé d’un bon pas, même s’il nous a fallu parfois calmer un peu les ardeurs de notre travailleur qui voulait nous imposer des horaires hors-limite syndicale.

 Notre visiteur est reparti avec sa compagne (arrivée à la fin de son séjour) mais il a promis qu’il repasserait nous voir après une première étape d’aventure dans le Sud de la France. Je crains que l’espoir qu’il a de trouver un contrat help’x dans le domaine de la pâtisserie ne soit vite déçu mais comme notre nouvel ami est multi-compétent et très sociable, il est probable qu’il fera d’autres belles rencontres. Quant à nous, nous attendons une nouvelle recrue, étatsunienne, cette fois, pour le courant du mois de juin, à moins que d’ici là, fonction des hasards de la galaxie internaute, d’autres courageux/geuses volontaires ne viennent séjourner au bagne fleuri. Pour parfaire mon bonheur, il me faudrait aussi trouver une « aide » audacieuse qui tiendrait le blog à ma place le temps que je puisse essayer la nouvelle chaise-longue que je vais m’acheter avec le capital fourni par nos nouveaux sponsors. Ce serait sympa aussi de trouver une famille de joyeux cinglés qui vienne tenir le gouvernail de notre « feuille » hétéroclite, le temps qu’on aille explorer une partie de l’espace intersidéral. Bref, on n’est pas trop partisans du « volet fermé, chacun chez soi, chérie t’as branché le radar ? » ; on préfère échanger des idées autour d’une platée de ravioles du Dauphiné, et recruter suffisamment de bras pour pousser plusieurs brouettes à la fois. Si vous rêvez de séjours harassants mais ô combien épanouissants à la campagne, ne vous privez pas de nous contacter, on accepte même les non-inscrits aux différents clubs mentionnés plus haut.

Puisqu’il est question de feuilles de papier – aussi – sachez, même si vous vous en fichez éperdument, que j’ai enfin réussi à compléter ma collection de la Géographie Universelle d’Elisée Reclus, publiée à la fin du XIXème… Dix-neuf volumes, un peu hétéroclites certes puisque ma série comporte une douzaine de reliures différentes ! En tout cas, je suis bien heureux d’avoir fait cette acquisition (il m’a fallu une année et demi de transactions diverses chez pas mal de libraires d’occasion) et d’avoir réussi à le faire pour une dépense totale relativement raisonnable si l’on tient compte du « trésor » que cela représente pour moi…

Amour, partage et happyness for ever.

9 Comments so far...

François Says:

6 avril 2012 at 11:39.

Quels beaux projets que toutes ces feuilles, et comme ils sont bien menés. Et avec tant d’humanité. Bravo pour ce que vous construisez!

la Mère Castor Says:

6 avril 2012 at 17:26.

le bagne fleuri, quel alléchant programme.

Paul Says:

7 avril 2012 at 13:49.

@ Mère Castor – Je crois que l’appellation, non contrôlée, est bien choisie ! La supériorité par rapport au bagne c’est qu’il n’y a pas de pointeuse et du coup, on peut faire des journées plus longues quand on en a envie… Autre supériorité, la nourriture est nettement meilleure : le fournisseur de la cantine mérite au moins trois étoiles…

Pourquoi Pas ? Says:

9 avril 2012 at 16:00.

De mon côté, j’en suis à ma quatrième expérience Helpx, mais du côté esclave. J’imagine qu’après cela, je pourrais me permettre d’écrire une chronique « en connaissance de cause », et sauver au jardinier une paire d’heures qu’il ne passera pas à écrire un nouvel article !

fred Says:

10 avril 2012 at 13:56.

Râââ ! tes ravioles du Dauphiné !
j’en garde un souvenir ému !
Et à chaque fois que j’essaye de m’en préparer, je mesure le gouffre qui nous sépare en terme de virtuosité culinaire. Je n’arrive jamais à approcher, même de loin, le ravissement papillaire qui fût le mien en dégustant les tiens ! une pure merveille !

Paul Says:

10 avril 2012 at 14:02.

@ Fred – Il va falloir que je fasse une chronique sur les « ravioles » du Dauphiné et leurs variantes. En période électorale ça peut être un thème porteur !

feuilleàrouler Says:

12 avril 2012 at 14:44.

A vous lire, ça donne envie de se mettre au jardinage.

Zoë Lucider Says:

15 avril 2012 at 15:27.

Comme nos situations sont très proches (privilégiés fauchés), je note cette possibilité Helpx. Quant à votre bagne, j’irais bien m’y faire coffrer quelques jours histoire de goûter aux ravioles mais surtout de recueillir du savoir-faire jardinier.

Paul Says:

15 avril 2012 at 15:52.

@ Zoë – Pour les séjours brefs (moins de six mois), les conditions d’esclavage sont raisonnables, tant par rapport au temps de travail, que par rapport aux conditions d’hébergement ! La formation est assurée gratuitement et on essaie de pas trop bassiner les visiteurs avec des notions de botanique trop ardues, pour la bonne et simple raison qu’on ne les possède pas !
En fait c’est un endroit charmant : de la verdure et des livres, que demander de mieux, sauf, une météo un peu plus souriante que cette dernière quinzaine…
Venez nous voir, on sera ravis de vous accueillir !

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