20 juin 2008
L’arrogance sans limites de la « forteresse Europe »
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique .
L’adoption par le parlement européen de la nouvelle loi concernant la « gestion » de l’immigration en Europe ne peut que réjouir les suppôts de Messieurs Hortefeux, Le Pen, De Villier et consorts. Pour les citoyens « lambda » que nous sommes, elle n’a pour résultats que de nous inquiéter un peu plus pour l’avenir de la planète et surtout d’accroître notre rejet de cette Europe du profit et des privilèges que nous avons déjà refusée en son temps (à l’époque où la survivance de quelques vieilles traditions démocratiques faisait que l’on demandait encore l’avis des électeurs !). Le contenu de cette « directive retour » qui a été adoptée grâce aux voix d’une coalition des députés conservateurs et libéraux, mais grâce aussi à l’indifférence polie d’une partie des députés socialistes, est une véritable honte et devrait rappeler à certains de bien tristes souvenirs d’une période historique pas si éloignée que ça.
Le texte adopté et devant servir de « fil conducteur » à la politique des différents Etats membres de la Communauté Européenne stipule que les immigrés clandestins pourront être maintenus en détention pendant une durée allant jusqu’à dix-huit mois puis interdits de séjour sur le territoire de l’Union pendant cinq ans. Cette mesure s’applique également aux mineurs qui pourront ensuite être expulsés vers un soi-disant pays d’origine dans lequel ils peuvent très bien n’avoir aucune attache familiale. Cet extrait du communiqué de la CIMADE résume très bien la situation : «En prévoyant l’enfermement de migrants non communautaires pour une durée maximale de 18 mois, en autorisant l’expulsion d’enfants, qui plus est hors de leur territoire d’origine, en instituant une interdiction du territoire européen de 5 ans, cette directive porte atteinte aux libertés publiques et fait de l’enfermement un mode de gestion courant des populations migrante. Sourds aux appels des ONG, sourds aux appels des Eglises, sourds aux appels de nombreux représentants d’Etats du Sud, sourds aux mobilisations citoyennes, les parlementaires européens ont, dans leur majorité, choisi de renoncer à toute velléité de résister à la logique policière qui sous-tend la politique d’immigration conduite par les ministres de l’Intérieur en Europe depuis 20 ans.»
Ne croyez pas que le vote de ce texte inique ait provoqué une vague de protestations dans nos beaux pays. Les citoyens européens sont bien plus préoccupés par la hausse du gasoil que par la situation des réfugiés économiques et politiques. Lorsque nous aurons à gérer, en plus, le sort des réfugiés climatiques, je ne vous dis pas la taille des camps d’enfermement qu’il faudra envisager de construire ! « Tout cela va coûter fort cher Monsieur Dupont ; et qui va payer chère Mme Dupont ? Ah là là ne m’en parlez pas, ce sont encore nos impôts qui vont augmenter ! Et puis on va leur construire des cellules tout confort avec la télé, des salles de bain… Quand je pense que je n’ai même pas d’écran LCD turbopropulsé… » On peut compter sur l’un de nos ministres pour suggérer que, pendant leur enfermement, ces fainéants travaillent pour « payer » leur séjour ou leur « billet de retour ». Cela permettrait d’appeler ces camps, non plus centres de détention de migrants », mais « chantier d’épanouissement par le travail forcé » ! La nausée….
Les réactions, car réactions il y a eu, heureusement, viennent des pays concernés par cette directive ignoble. Deux chefs d’Etat ont eu le courage de dire tout haut ce que nombre de leurs citoyens pensent de la façon dont l’Europe gère les problèmes d’immigration. Peut-être, me diront certains, ne s’agit-il que de « gesticulations », mais il fallait le faire quand même. Le premier a été Monsieur Evo Morales, le président de la Bolivie. Avant le vote honteux du Parlement européen, il avait lancé un appel à la « conscience des dirigeants et des citoyens » pour que la « directive retour » ne soit pas adoptée. Il insistait sur l’aide au développement que les émigrants représentaient pour les Pays en Voie de Développement : une modeste compensation à la perte de main d’œuvre compétente subie par ces pays, mais aussi un rééquilibrage par rapport à l’insuffisance des subventions réellement versées par les Etats « nantis ». Il mettait aussi en avant le fait que ce texte ne respectait absolument pas les conventions internationales : «Tel qu’il est, le projet de directive viole clairement les articles 2, 3, 5, 6, 7, 8 et 9 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Et en particulier l’article 13 qui énonce : « 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.» Toujours dans le discours du président Morales, je me permettrai de vous citer ce passage remarquable : «J’appelle aussi l’Union européenne à élaborer, dans les prochains mois, une politique migratoire respectueuse des droits de l’Homme, qui permette le maintien de cette dynamique profitable pour les deux continents, qui répare une fois pour toutes l’énorme dette historique, économique et écologique que les pays d’Europe ont envers une grande partie du Tiers-Monde, et qui ferme définitivement les veines toujours ouvertes de l’Amérique latine. Vous ne pouvez pas faillir aujourd’hui dans vos « politiques d’intégration » comme vous avez échoué avec votre supposée « mission civilisatrice » du temps des colonies.»
Le président du Vénézuéla, Hugo Chavez, a réagi à son tour, jeudi 19 juin, lors d’une rencontre avec son homologue paraguayen Fernando Lugo (il a une bonne tête, lui, il me plait !) : «Nous ne pouvons pas rester les bras croisés… Pour chaque pays européen qui appliquera cette directive, nous allons… enfin, nous n’allons pas suspendre les relations, mais c’est bien simple, à tout le moins, nous cesserons de leur envoyer notre pétrole.» Evo Moralès propose, de son côté, maintenant que le texte a été voté, d’imposer l’obligation aux touristes européens de posséder un passeport et un visa pour pouvoir mettre les pieds dans son pays. Il envisage également d’intervenir pour un blocage des négociations commerciales en cours entre les Etats de la Communauté andine des Nations et l’U.E. Le temps où les barons du monde occidental pouvaient se permettre d’écraser de leur mépris les peuples du Tiers Monde et leurs dirigeants, est sans doute en train de disparaître (cf chronique sur « Indiana Jones »). Il est dommage que l’aveuglement d’une majorité de politiciens dans le camp des « nantis » ne les empêche de s’en rendre compte. Les nombreux problèmes à venir de notre planète ne se gèreront pas à coup de répression, d’enfermement et de condescendance. Bravo Messieurs Moralès et Chavez ! Que d’autres responsables politiques vous suivent dans la même direction, et notamment les dirigeants des pays d’Afrique Noire, du moins ceux qui ne sont pas à la solde des gouvernements européens, s’il y en a…