20 juin 2012
Bois précieux des forêts lointaines
Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .
Bois de rose, ébène, acajou, palissandre… des noms qui font rêver les ébénistes et grincer des dents les défenseurs de la nature.
Souvent utilisés de nos jours en marqueterie ou en lutherie, les bois les plus précieux et les plus rares des forêts équatoriales et tropicales, proviennent d’arbres qui sont pour la plupart en voie de disparition. Utilisés de façon massive par les ébénistes européens à partir du XVIIème siècle, leur commerce intensif a provoqué des abattages excessifs et a causé des dommages considérables dans les forêts dont ils sont issus. Depuis la fin du XIXème siècle leurs prix atteignent de tels sommets qu’ils ne sont plus guère utilisés que sous forme de placages en marqueterie. Les meubles « massifs » en acajou ou en ébène sont devenus des exceptions. Ce n’était pas le cas pendant les siècles qui ont suivi la Renaissance. Il suffit d’imaginer par exemple le nombre de troncs d’ébène qui ont été nécessaires pour réaliser les structures de la « Long Room », la bibliothèque de Dublin, ou certaines constructions du Musée du Louvre. Je m’intéresse surtout dans cette chronique aux bois provenant de lointaines forêts. Il existe aussi des bois de grande valeur parmi les arbres poussant sous nos latitudes : buis, olivier, merisier, noyer, houx, laurier… ; ils ont fait, ou ils feront l’objet d’études indépendantes.
Beaucoup de bois exotiques sont commercialisés avec des appellations diverses, y compris parmi les bois courants, ce qui explique que les utilisateurs aient parfois du mal à les distinguer les uns des autres. Le terme « palissandre » par exemple peut très bien servir à désigner des espèces très différentes : bocotte ou dalbergia. L’acajou de Guyane (cedrela odorata) n’a que peu de rapport avec l’acajou d’Afrique (Khaya Ivorensis). Cet usage commercial très laxiste permet de substituer un bois à un autre, lorsqu’une espèce n’est plus disponible sur le marché ; il permet aussi d’abuser certains acheteurs un peu crédules. L’ébène du Gabon est beaucoup moins coté que celui des Indes, mais cette dernière essence, totalement pillée, n’est pratiquement plus exportée.
D’autres essences sont proches car elles appartiennent à la même famille botanique ; c’est le cas par exemple du bois de rose et du palissandre du Brésil ou de l’Inde, qui sont des Dalbergias. Le fait que les essences soient proches sur le plan botanique ne garantit absolument pas une similitude esthétique ou mécanique. Outre les espèces citées dans l’intitulé de cet article, il en est d’autres, moins connues, qui ont aussi des noms aux consonances sympathiques : amourette, padouc, pernambouc ou le précieux amboine. L’usage des plus connus de ces bois remonte jusqu’à l’antiquité. C’est le cas de l’acajou, de l’ébène ou du santal. Il est temps de parler plus en détail de certains de ces arbres…
L’ébène est un bois possédant une très forte densité et une veine décorative presque noire. Il appartient à la famille des Dyospiros. L’ébène se plait dans les forêts de montagne, à basse altitude, sur des terrains relativement pauvres, mais il a besoin, pour se développer de fortes chaleurs. On trouve des ébènes (nom féminin) à Madagascar, au Gabon et aux Indes. Les artisans de l’antiquité, en particulier les Egyptiens, l’utilisaient pour réaliser de petits objets précieux. En Europe, son usage est signalé dès le XIIème siècle. A partir de la Renaissance l’ébène est considéré comme l’une des marchandises les plus précieuses que l’on peut faire circuler sur mer. Son nom est d’ailleurs à l’origine du terme « ébéniste » utilisé pour nommer l’artisan qui fabrique des meubles. L’habitude se développe, chez les riches négociants, d’assurer leurs cargaisons « d’or noir ». Il faut dire que les risques de naufrages sont nombreux, qu’ils soient naturels ou dus à une quelconque malveillance. De cette pratique va découler une bien singulière expression… Le « commerce triangulaire » se met en place au XVIème siècle, après la découverte du Nouveau Monde. Les bateaux ne voyagent jamais à vide : dans les ports européens, il se chargent de verroterie, d’armes et d’outillage ; ils font escale sur le continent noir, dans le golfe de Guinée et troquent leur marchandise contre un « bois d’ébène » plutôt singulier puisqu’il s’agit d’esclaves ; la traversée de l’Atlantique se fait alors dans des conditions inhumaines ; la nouvelle cargaison est débarquée aux Antilles ou au Brésil, dans un premier temps, puis en Louisiane, et les cales sont chargées avec les marchandises précieuses que l’on rapporte du continent américain. Pourquoi ce terme de « bois d’ébène » est-il choisi par les négriers pour qualifier les esclaves qu’ils charrient comme du bétail ? Le propriétaire assure sa marchandise tout comme un bois précieux ; il peut ainsi être indemnisé en cas de perte ; cette « dépense » lui confère le statut de « pater familias », dans un sens très particulier : il a droit de vie et de mort sur ceux qu’il protège ainsi…
De nos jours, l’ébène n’est plus utilisé pour des réalisations de grande ampleur et il n’existe plus qu’un seul parquet réalisé avec ce bois : c’est celui de la salle des banquets du château d’Henry VIII à Leeds en Angleterre. Outre le prix de revient d’une telle réalisation, il est à remarquer qu’un parquet très foncé, presque uniformément noir, ce n’est pas ce qu’il y a de plus réussi pour égayer une demeure princière ! Seul le cœur du bois est commercialisé. Après l’abattage, le bois est débarrassé de son aubier, sans valeur commerciale… La veine noire, parfaite, se développe généralement sur une longueur de 3 à 4 mètres. La largeur dépend de la grosseur du tronc : de 25 cm à parfois 80 cm. Pour les lecteurs peu soucieux d’écologie qui auraient le désir de réaliser quelques aménagements en bois d’ébène dans leur chalet savoyard, signalons que le m3 acheté au prix de gros (donc en quantité conséquente) se situe autour de 8000 euros… Même si je n’apprécie guère son veinage, il faut reconnaître que ce bois possède des qualités mécaniques indiscutables pour l’ébéniste : finesse du grain, résistance du bois, très beau poli… Il n’est pratiquement pas poreux et peut se cambrer facilement ce qui rend son usage intéressant en lutherie. En contrepartie, les outils avec lesquels on le travaille doivent être résistants et affutés souvent !
Le palissandre mérite bien sa place dans cette énumération de bois précieux. Il est utilisé de façon relativement courante en placage pour l’ébénisterie (marqueterie par exemple) ou massif pour la réalisation d’objets précieux de petite dimension : jeux de société, parties d’instruments de musique ou œuvres d’art. C’est un bois dont la couleur est plutôt foncée dans l’ensemble même s’il n’atteint pas le noir d’ébène. il est difficile de parler d’une veine caractéristique puisque l’appellation recouvre un certain nombre de bois d’origines et d’espèces différents. Le palissandre de Rio est plutôt dans les nuances de bruns alors que celui de l’Inde est plutôt dans les rouges très sombres. C’est un bois très dense, très lourd (850 kg au m3), symbole de robustesse et de longévité. Si vous souhaitez, chère lectrice, cher lecteur, fêter un jour vos noces de palissandre, sachez qu’il vous faudra atteindre, bon an mal an, 65 années de vie commune. Si vous atteignez cet anniversaire remarquable, vous pourrez toujours utiliser l’argent que vous avez mis de côté, pour commander à un menuisier un peu plus jeune que vous, deux jolis meubles en palissandre, des chaises berçantes par exemple, comme disent nos amis québecois qui ne se ridiculisent pas en employant le terme « francophone » de « rocking chair ».
Le palissandre de Rio (Dalbergia negra ou jarcaranda da Bahia) est très rare sur le marché ; pour tout dire, sa commercialisation est même carrément interdite… Une essence remplaçant facilement une autre, c’est celui de Madagascar qui est actuellement le plus utilisé pour faire des meubles par exemple. La déforestation accélérée et plus ou moins contrôlée de l’île permet d’approvisionner un marché qui peine à trouver de belles grumes. Le m3 de palissandre vous coûtera environ 4000 euro si vous prenez le transport à votre charge et si vous évitez les douanes trop tatillonnes. Cependant que l’on parle de plus en plus de développement durable, d’exploitation raisonnée, de forêts certifiées, les trafics douteux ont encore la part belle sur le marché et jouent encore un rôle non négligeable dans les échanges (un exemple parmi tant d’autres, la forêt malgache, un article sur le site du Monde… Il date d’un an, mais sur le terrain, la situation n’évolue pas vite !). Si l’on en croit le discours vertueux des marchands de meubles soucieux de plaire à une clientèle bobo qui aime avoir bonne conscience, la quasi totalité des charmants salons de jardin en teck qui sont commercialisés proviendraient de forêts de plantation ; la réalité est beaucoup moins poétique et nombre de grumes de tecks proviennent des forêts traditionnelles que l’on ravage à grand coup de bulldozers et de coupes à blanc ; des dommages sans doute irréparables en certains lieux… Des mesures ont été prises pour limiter l’exploitation des essences les plus rares comme le pernambouc. Sa commercialisation est maintenant interdite. L’un des usages spécifiques de ce bois était la fabrication d’archets pour les violons. De plus en plus, maintenant, on utilise la fibre de verre à la place du bois. Si l’on veut reconstituer les stocks sur pied de certaines essences, il faudrait que ce type de mesure soit généralisé. On n’en prend pas vraiment le chemin, d’autant qu’il manque, dans les pays en voie de développement, les outils de contrôle nécessaires pour veiller à l’application de ce genre de décision.
L’amboine est peu connu et ce ne sont pas ses autres noms d’usage, comme Padouk des Indes ou Santal rouge qui vous aideront à mieux l’identifier. Cette essence provient principalement d’Asie (Malaisie, Philippines, Vietnam…). Elle a été très utilisée au XIXème siècle. De nos jours l’arbre est beaucoup moins commun : les forêts dans lesquels il poussait couramment ont été remplacées notamment par des plantations d’hévéas… L’échantillon reproduit en tête de paragraphe montre une « loupe » d’amboine, utilisée en placage, notamment en lutherie (guitares) ou pour la fabrication de mobilier de luxe. Pour ceux et celles qui ne sont pas familiarisés avec le vocabulaire de l’ébénisterie, je précise que la loupe est en fait une maladie du bois ; il s’agit d’une excroissance, en forme de boule, qui se forme sur le côté du tronc de l’arbre. Elle se développe, comme une sorte de tumeur, à la suite d’un choc (sur les platanes) ou à cause d’un problème génétique quelconque. Le veinage de la loupe est généralement magnifique, mais il est impossible d’en tirer autre chose que des tranches fines pour le placage. Le bois est trop tourmenté pour sécher de façon satisfaisante en pièces massives. Les loupes sont relativement fréquentes sur certains érables, sur les merisiers, les ormes et sur certains bois exotiques. L’amboine présente la particularité de dégager une odeur agréable lorsqu’on le travaille. Les tourneurs se servent de ce bois au grain fin pour réaliser des corps de stylos, des manches de couteaux ou de petits objets décoratifs. Chez les fournisseurs proposant ce type de produits, sachez qu’une loupe d’amboine peut se vendre de 1000 à plus de deux mille euro. On comprend mieux le genre de spéculation qui peut se mettre en place sur ce type de marchandise !
En guise de conclusion… provisoire… Il est clair qu’il faut cesser d’utiliser ces bois, tant la ressource a été exploitée ; tout au moins en interdire l’exportation et en réduire l’usage à l’artisanat local lorsque celui-ci joue un rôle économique important. Cela n’empêche pas – bien entendu – de continuer à admirer les ouvrages d’ébénisterie, de lutherie et de marqueterie qui ont été réalisés avec ! Avoir conscience des beautés que nous offre la nature, c’est aussi être motivé pour les préserver afin que les générations futures puissent aussi en profiter ! Difficile à concilier, le fait d’être à la fois amoureux du bois et amoureux des arbres. C’est pourtant possible à mes yeux. C’est dans ce sens que l’expression « gestion durable de la ressource » prend pleinement son sens.
6 Comments so far...
lamerecastor Says:
20 juin 2012 at 10:38.
épouse d’un modeste menuisier qui n’a jamais travaillé de telles essences et amie des arbres depuis toujours, je ne peux qu’applaudir à ce billet. Et j’ai appris que mon fauteuil à bascule (de quel bois ? Je ne sais pas) s’appelle aussi chaise berçante, voilà qui m’ouvre de nouveaux horizons.
luc Says:
18 mars 2014 at 02:58.
Cher Monsieur,
Est ce que le laurier d’inde est un bois rare et précieux? Est il different des autres lauriers?
Paul Says:
18 mars 2014 at 08:24.
@ Luc – Ne confondez vous pas avec le Lagerstroemia, « Lilas des Indes » ? En ce qui concerne le Laurier noble, son bois, plutôt dur, n’est guère utilisé. Il ne présente pas un veinage particulièrement décoratif.
Le lilas des Indes (appelé « des Indes » abusivement puisqu’il est originaire de Chine mais a été importé par la Compagnie des Indes) est utilisé en marqueterie. Son bois, d’une belle veine rouge, est commercialisé sous le nom de « bungur ». J’espère avoir répondu à votre question ! Merci pour votre intérêt pour cette chronique.
luc Says:
28 mars 2014 at 15:35.
Cher Monsieur,
Oui merci beaucoup. Pour être plus précis, j’ai remarqué sur le net une table de Nakashima (ébeniste japonais vivant aux US) en East Indian Laurel, bois qu’il semblait apprécié autant que le Palissandre d’Inde. Dont on m’a par ailleurs dit qu’il s’agissait de la même famille de bois. Vous trouverez sur ce lien http://www.artvalue.com/auctionresult–nakashima-george-1905-1990-jpn-special-order-frenchman-s-cove-3725489.htm
une photo d’une table réalisée dans ce bois (massif).
Est ce que vous pensez qu’il s’agit du Bungur?
Merci également pour cette très intéressante chronique.
Bien à vous
Luc
luc Says:
29 mars 2014 at 09:47.
Cher Monsieur,
Je pense qu’il s’agit Terminalla celerica (c’est peut être également ce que vous nommez « bungur »?
Bon week end
2) Indian Laurel (Terminalla celerica), not a true laurel, resembles English walnut and is sometime s considered a substitute. Light to dark brown with black lines and a striped pattern. East Indian Laurel is straight grained to interlocked and coarse textured and is heavy, moderately hard and strong. It has long been regarded one of India’s prime commercial woods and is protected. According to Interwood Forest Products Inc., in the book Veneers, A Fritz Kohl Handbook, Indian laurel can only be exported from India as veneer. The attractive wood is gray or light to dark brown with black lines and a striped pattern often with fiddleback and mottle grain patterns. Its grain ranges from fairly straight to irregular. Indian laurel’s uses are extremely varied. It is sliced for fine veneer and paneling and is also used for furniture and cabinetry. The heavy, compact and elastic wood is also suitable for use in its native lands for marine construction and piling, and for boat building. It is also used for joinery, tool handles, police batons and brush backs. As a turnery wood, Indian laurel excels.
Paul Says:
29 mars 2014 at 10:07.
@ Luc – Merci pour toutes ces précisions qui complètent l’article. Le problème avec les bois exotiques – précieux ou non – c’est l’imprécision qui règne en ce qui concerne leur dénomination commerciale. Certaines étiquettes recouvrent parfois plusieurs bois ; l’inverse se produit également. On commercialise sous l’étiquette « teck » des bois provenant d’arbres parfois assez divers… Bravo aussi pour les recherches que vous avez effectuées !