26 juin 2008
La malle aux trésors…
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .
Je ne connais pas grand chose de l’histoire de cette malle. Elle appartenait à mon grand-père. Elle a une centaine d’années. Il ne s’agit pas d’une réalisation prestigieuse, d’un ornement quelconque mais d’un simple objet utilitaire. Sa facture est sobre mais robuste : quelques planches de sapin assemblées soigneusement avec des « queues d’aronde » dans les angles, une serrure toute simple dont, bien entendu, la clé a été perdue. Un travail fait à l’économie : seuls les panneaux visibles sont rabotés. Le plancher est brut. Les nombreuses marques de coups, les rayures imprimées à la surface du bois, montrent qu’elle a beaucoup servi. Ma mère pensait que son père l’avait peut-être utilisée, pendant la grande guerre, pour ranger ses effets personnels. Le coffre précieux l’avait ensuite suivi dans ses déplacements de bureau en bureau car mon grand-père travaillait dans les Ponts et Chaussée et changeait d’affectation en fonction de ses promotions : il avait arpenté l’Isère de long en large, de Valbonnais dans les Alpes, à Crémieu en Bas-Dauphiné, en passant par Saint-Geoire en Valdaine. C’était l’époque où l’on pouvait commencer sa carrière en bas de l’échelle, puis gravir peu à peu les échelons et terminer ingénieur. Ce n’étaient pas les diplômes qui comptaient, mais l’expérience et le sens des relations humaines. Le « chef » avait un jour poussé la brouette et il avait suffisamment d’humilité pour s’en souvenir le jour où il envoyait ses « subordonnés » pelleter des graviers pour boucher les ornières.
Dans cette malle qui a maintenant rejoint mon « cabinet des curiosités« , je range toute une collection de vieux ouvrages ayant appartenu à ce grand-père que j’ai peu connu puisqu’il est mort lorsque j’avais trois ans. Les souvenirs que j’ai de lui proviennent essentiellement des photos que j’ai pu apercevoir dans les albums familiaux, ou de la lecture des cartes postales qu’il envoyait du front à son entourage. Quelques vieilles cartes d’état-major appartenant à son « trésor » sont venues grossir la pile. Un autre parent, curé celui-là, a fourni de quoi compléter cet échantillon de bibliothèque ancienne… Ce n’est pas que les sermons de Bossuet soient mon livre de chevet, mais quitte à conserver des traités sur l’art de la voierie… Parmi ces vieux ouvrages, figurent également une édition des œuvres théâtrales de Molière (celles-ci n’appartenaient pas à l’arrière-arrière-grand-oncle curé !) et une vie du bon chevalier Bayard, notre « héros dauphinois » (là je ne connais pas le propriétaire !). Lorsqu’on ouvre la malle, une odeur très particulière se dégage, celle que produisent les vieilles reliures de cuir et le papier lorsqu’ils sont renfermés.
Deux gros livres exceptionnels à mes yeux complètent cet assortiment singulier : il s’agit de collections de revues reliées. Le plus encombrant des deux c’est un volume du « petit journal illustré » (1898, 1902, le tournant du siècle précédent). Un numéro par semaine et à chaque fois une couverture mélo, toute en couleurs, qui ferait la joie des télespectateurs du journal de 20 h sur TF1 : cela va du « Triple assassinat rue des sorbiers » à « crime sordide à la sortie du bal » en passant par quelques évènements de politique nationale ou internationale, genre « le Tsar admirant notre nouveau canon aux manœuvres de l’Est ». Il est clair que, comme beaucoup de médias actuels, le « petit journal » faisait son beurre dans le sordide ! L’autre revue, plus ancienne, s’intitule « le magasin pittoresque ». Elle témoigne d’un niveau « culturel » nettement plus élevée que « le petit journal ». Le sommaire comporte des études historiques, géographiques, des nouvelles, et des articles techniques concernant les inventions. On y trouve côte à côte un « traité » sur la façon de nouer et de réparer les filets de pêche et une présentation de la collection des antiquités américaines au Musée du Louvre. C’est un peu « la feuille charbinoise » version années 1853-1854, avec Proudhon en moins parmi les rédacteurs ! Les illustrations au trait, sont extrêmement fines et de très bonne qualité. Les photos que j’en ai prises ne permettent pas vraiment d’apprécier l’excellente facture.
Le trésor de la malle ne date pas que d’il y a un siècle ou plus. D’autres objets sont venus le compléter depuis, afin qu’il soit digne de figurer dans mon cabinet de curiosités. L’âge n’est pas le seul critère de sélection et il n’y a pas que des livres. J’y ai ajouté par exemple une collection de flûtes à bec en tous genres dont je ne joue plus depuis longtemps, une pièce de monnaie trouvée dans le jardin et qui date quand même de Louis XVI, une épinette des Vosges achetée lorsque j’étais au point culminant de ma période « folk »… Rassurez-vous, je ne thésaurise pas les dents de lait, les « doudous » des enfants ou les pelotes de réjection des chouettes de la grange ! Par contre, j’envisage d’y remiser quelques vieilles tuiles couvertes de symboles bizarres récupérées sur les toits du voisinage avant qu’un charpentier trop zélé ne les jette à la benne. Je suis certain qu’elles proviennent de la tuilerie qui existait autrefois dans mon hameau, tuilerie dont il ne reste aucune trace et dont personne n’est capable d’indiquer l’emplacement (pour l’instant, car j’ai transmis le dossier à Hercule Poirot !).
J’avoue que je ne sais pas trop pourquoi je garde tout ça, car j’ai plutôt tendance à jeter beaucoup et parfois trop vite… J’ai exprimé, dans l’une de mes anciennes chroniques, la fierté que j’avais de descendre d’une longue lignée de paysans, d’ouvriers, de gens du peuple dont le seul « embourgeoisement » a été de devenir instituteur ou maire du village. Ce qui m’a marqué aussi c’est le fait que tous ces gens n’ont bien souvent laissé, comme trace de leur vie de labeur, qu’une date de baptême et une date de décès sur un registre municipal ou paroissial. Nul ouvrage ne conte leurs exploits militaires, leurs prouesses commerciales ou leur arrivisme politique. Peut-être est-ce dû au fait qu’il me reste si peu de souvenirs « matériels » que je suis aussi attaché à ces quelques objets. Finalement, ce sont mes racines, et je ne crois pas que ce soit une tare d’être enraciné quelque part pourvu qu’on ne se serve pas de ce prétexte pour massacrer ses voisins. Quelqu’un a construit la maison où nous habitons et c’est sans doute l’un de mes ancêtres qui l’a fait, je ne sais pas quand. Peut-être, un jour, cette maison disparaîtra-t-elle… On s’installera ailleurs : le monde est vaste et j’espère que ce jour-là quelqu’un nous laissera une petite place pour poser nos meubles. Nous avons d’ailleurs acheté un coffre au début de notre vie commune : il a été fabriqué par un artisan du Queyras et il est orné de sculptures traditionnelles. C’est un peu plus qu’un meuble utilitaire… Nos enfants pourront sans doute y entasser quelques trésors…