9 août 2012
Même dessalée, je n’aime pas la morue, et encore moins les sardines
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .
Je sais, c’est triste, mais c’est comme ça ; il est clair que ce n’est pas grâce à la pêche que je survivrai sur une île déserte après mon prochain naufrage. L’intérêt que je porte aux poissons s’arrête juste avant le filet du pêcheur. Si j’étais ministre de l’environnement, je serais même partisan de créer une taxe spéciale « poissonnerie » pour subventionner les torréfactions… C’est sans doute une tare, mais on ne se refait pas. La seule solution me paraît être la réincarnation, mais pas tout de suite. En fait, le seul regret que j’ai, dans cette histoire, c’est que je perds une bonne occasion de parfumer mon lotissement avec l’un de ces barbecues odorants qui font fureur au mois d’août. Mais comme, d’une part je n’habite pas un lotissement et que, d’autre part, je ne suis pas aussi méchant que j’en ai l’air, ce n’est pas trop grave. Et puis il me reste toujours les merguez.
Je n’aime pas non plus les sushis, ce qui me prive du plaisir de fréquenter tout un tas de restaurants branchés remplis de jeunes cadres dynamiques. Snif ! Mais le fait de voir mon voisin ou ma voisine en consommer me crée nettement moins de souchis que lorsqu’ils se délectent de filets de maquereau ou de harengs grillés. Quant à la tradition norvégienne ou suédoise consistant à déguster avec délectation de délicieuses terrines de harengs à moitié décomposés (je crois que cela se nomme surströmming), inutile de préciser que le fait de se livrer à ce rite initiatique à proximité de mes narines est une forme de déclaration de guerre. Je suis prêt à riposter à grand renfort de tartines d’Epoisse ou de Livarot, à moins que ce ne soit tout simplement à écraser une bonne boulette d’Avesnes bien à point sur le pif rubicond de l’agresseur. On verra s’il fait toujours le fiérot avec son surströmming… Il paraît que le même genre de coutume existe en Islande… Pourtant, les sources d’eau chaude ça me tente bien. Je n’aime pas l’eau froide (sauf dans le pastis) mais ceci fera l’objet d’une digression postérieure. Là je digresse sur le poisson si vous me suivez bien.
Les naufrages en mer étant fréquents lorsque l’on habite le Bas-Dauphiné, j’ai déjà longuement étudié la question de ma survie crusoësque. Après de nombreuses années de réflexion, j’ai décidé que je ne monterai plus dans un bateau sans emmener avec moi au minimum un couple de porcelets, une chèvre en début de lactation, une vache écossaise et un arbre à saucissons. Si mon embarcation me lâche au mauvais moment, je veillerai à ce que ces animaux précieux figurent dans le même canot de sauvetage et j’exigerai que la radio du bord envoie sur les ondes un message contenant les coordonnées précises des ilôts sur lesquels je risque d’échouer, ainsi qu’une demande pressante pour qu’UPS, SNCF ou RATP me ravitaillent chaque semaine, en larguant par avion un container rempli de victuailles alléchantes à mon palais. Pour les fruits, ce n’est pas la peine, je présume que l’île déserte sur laquelle je commencerai mon séjour d’ermite sera pourvue de façon convenable. Installé dans mon hamac, je relirai l’île mystérieuse de manière à me renseigner de façon précise sur la manière dont je pourrai disposer des équipements de base nécessaires.
Quant aux voyages dans les pays dont la tradition culinaire repose largement sur le produit de la pêche, eh bien je m’adapte. J’ai fort bien survécu à trois semaines de séjour au Portugal sans jamais consommer l’une des 365 recettes de morue que proposent – paraît-il – les restaurants de ce pays magnifique. Je n’ai été vraiment dérangé que par le fait que les seuls légumes proposés en accompagnement de mes vingt et une côtelettes successives soient, l’un après l’autre ou l’autre après l’un ou les deux ensemble, du riz et des frites. Puisque j’ai choisi de dévoiler au grand jour une partie de mes vices cachés, je vous avouerai même qu’en Grèce, j’ai éprouvé grand plaisir – avec une pince à linge sur le nez – à voir les pêcheurs décharger le résultat de leur travail sur les quais. Après un tel spectacle, on ressent une grande satisfaction en savourant un petit noir accompagné d’une bonne pita aux amandes et en se disant que l’on n’est pas à l’origine du massacre qui vient d’avoir lieu.
Une autre question à laquelle j’ai longuement réfléchi, c’est la question du végétarisme. Nombre de végétariens de ma connaissance remplacent le faux-filet de bœuf par un steack de cabillaud, ou la fine tranche de jambon cru fumé par un filet de truite de mer. Or ces préparations – délicieuses si l’on en croit ces personnes – ne motivent guère mes papilles gustatives. Le jour où je virerai ma cuti (il me semble qu’il soit assez éloigné bien que je sois de moins en moins « viandard » comme ils disent gentiment) il faudra que je trouve autre chose que le Surimi (ou le Tofu) pour me motiver. En fait, si je deviens végétarien, je me limiterai (pour les protéines) aux œufs et au fromage… et peut-être même – j’ai honte – aux deux en même temps. Toute attitude sérieuse devant s’appuyer sur des bases idéologiques idoines, je cherche un compromis (avec de solides justificatifs) qui me permettrait des escapades relativement fréquentes vers le saucisson ou la noix de jambon fumé. J’ai bien essayé des théories du genre : « finalement le cochon ce n’est guère qu’un végétal transformé… « , « le grain de maïs vous ne croyez pas qu’il souffre lorsqu’on l’arrache de son épi… » ou encore « que devient l’âme de la salade lorsqu’on lui coupe ses racines ? »… Mais comme les végétariens me regardaient avec des gros yeux et que les zomnivores s’indignaient du fait que je ne réclame même pas une petite côte de bœuf de temps à autre, j’ai relégué le débat pour une future réincarnation. En fait, je vais écrire au chef des végétariens pour lui demander si je ne pourrais pas troquer la poiscaille contre la cochonaille, sachant que pour tout le reste j’ai bon : céréales, fruits, légumes, légumineuses, léguminettes et tutti quanti. Je garde en réserve un argument de taille pour étoffer ma requête : j’accepte même de manger un peu de tofu de temps à autre en sandwich entre deux bouts de camembert bien fait. Mais les lentilles sans jambonneau… quelle tristesse !
Je sais que ces aveux mal contrôlés vont m’occasionner quelques ennuis, voire même – peut-être – une excommunication (quoique je doute que la papauté se mêle de cette querelle. Elle nous a déjà assez emmerdé avec son poisson du vendredi et son carême à rallonge). Il y aura bien quelque lecteur pour me conseiller d’aller voir un diététicien, un esthétichien ou un pschittcanalyste… L’entretien ne manquera pas de piquant ; j’en jurerai..
« – Vous aviez un poisson rouge quand vous étiez petit ? Un jour vous l’avez fait bouillir avec l’eau du bocal pour voir s’il se décolorait ? … Allongez-vous et déballez tout…
– Déjà petit, je n’aimais que le poisson pané, surtout celui à base de sciure… J’avais la phobie des arêtes, docteur… C’est pour cela que je suis devenu enseignant parce que les petits mammifères scolarisés ont des os, un vrai squelette eux au moins… Non je n’ai jamais fait bouillir de petit garçon dans son bocal pour le désosser… Ce n’est pas une histoire de couleur docteur, bien que je préfère la viande blanche à la rouge… Quoique, non docteur, oui, enfin je sais, le poisson c’est blanc, comme le poulet… Non docteur je n’ai jamais fait bouillir un poulet dans son petit aquarium. Le pauvre poulet il est mort avant, noyé, même pas eu le temps de faire monter l’eau à 40°…
– Mais vous n’en mangez donc jamais ?
– Si docteur, de la sole parfois, parce que ça goûte le lapin plus que le maquereau pas frais… Non non, rien à voir avec la platitude, ni avec la laideur… Zêtes pas un peu raciste à l’égard des soles docteur ? Comment ça pas de système nerveux central ?
– Vous avez la phobie des poissons ?
– Vivants, non, j’ai même été aquariophile à une époque où je n’avais pas encore réalisé qu’il fallait un réacteur nucléaire pour chauffer l’eau de ces adorables petits néons scintillants.
– Bon et bien je pense qu’il va falloir nous revoir un certain nombre de fois. Un détail au passage, on règle les séances au jour le jour…
– Trois cents euros c’est pas un peu cher ? Juste pour une petite analyse simplette ? »
Même pas peur de l’île déserte… Mais je n’emporterai pas de canne à pêche, sûrement pas ! Juste un Opinel ou un Laguiole.
Post mortem scriptum : je remercie les coutelleries de Thiers, le jambon d’Aoust et la fromagerie artisanale de Vertugadin sur Fièvre, pour leur généreuse action de sponsoring. Ce n’est qu’avec les chèques d’industriels intelligents que la Feuille Charbinoise suit fidèlement sa voie vers la lumière et le développement général de l’humanité.
Post scriptum pre reincarnationem (désolé il n’y a pas d’accents en latin et ça complique la tâche du scripteur et celle du lecteur) : Je vous jure seigneur, je n’ai jamais pêché…
6 Comments so far...
Vinosse Says:
9 août 2012 at 20:44.
Ah bin là, alors… j’en reste bouche bée… (toute ouïe viendra après) …
Moi c’est pareil, j’aime pas l’poisson…
Tout p’tit j’adorais les sardines grasses salées au petit déjeuner, avec du beurre et du gros pain rassis… mais j’ai plus la patience de les peler, ni d’écarter les filets d’un geste élégant et aérien… Pis les sardines c’est pas noble.
J’ai aimé le harengs dans les patates, l’anchois et son câpre, les p’tits vairons frits, mais c’est bien tout…
Ah si, la pêche au gardon en coulée, au blé…
Je me détourne des poissonneries, je les fuis, tant elles ne vous vendent que du prêt à penser, du conforme à la loi des faibles, du politiquement correct, de la mauvaise foi la plus infâme…
J’préfère défendre la corrida que la pêche industrielle.
Fred Says:
10 août 2012 at 10:41.
Bigre ! je suis sous le choc ! Qu’un tel gourmet puisse avoir le poisson en horreur me sidère ! C’est tellement bon le poisson ! Tant qu’il n’est pas cru en tout cas ! Maintenant, une question me taraude, est ce cela s’applique aussi aux gens qui sont du signe des Poissons ? (comme c’est mon cas, je balise un peu).
Phiphi Says:
10 août 2012 at 13:56.
Paul, nous sommes plusieurs à t’avoir vu manger (voir déguster) du poisson… 😉
JEA Says:
10 août 2012 at 17:02.
fromage pas triste non, le Herve
quand les trains étaient encore avec des compartiments pour six à huit sardines, aux jours et heures de saturation, je prenais le Namur-Paris avec quelques Herves bien faits dans un sac non hermétique
une trentaine de kilomètres après mon entrée dans le compartiment, celui-ci s’était vidé par magie
et jusqu’à Paris, à chaque arrêt, des voyageurs se précipitaient, faisaient coulisser la porte vitrée, restaient stupéfiés, s’enfuyaient aussitôt…
Cathy Says:
13 août 2012 at 18:01.
Ah, il fallait venir aux rencontres internationales de l’Anarchisme à St Imier (Suisse). Tous les repas étaient végétaliens, et c’était rudement bon. Tu aurais été heureux : il n’y avait pas la moindre queue de poisson à l’horizon… 😉
Paul Says:
16 août 2012 at 08:08.
@ tous – Quel dommage que la série se soit arrêtée ! Vous étiez si bien lancés ! Je vois en tout cas qu’il y a des thèmes porteurs…