2 octobre 2012
J’aurais aimé habiter dans un manouarrh…g
Posté par Paul dans la catégorie : Delirium tremens; les histoires d'Oncle Paul .
J’aurais aimé habiter dans un manoir (tant qu’à faire avec un grand parc, un étang et des arbres centenaires). J’ai au moins deux bonnes raisons à cela. D’une, parce que les bâtiments historiques que l’on qualifie de cette manière me plaisent généralement beaucoup ; de deux parce que j’aime la sonorité de ce mot. C’est important d’aimer des mots. Du coup on a envie d’en connaître l’origine, l’étymologie comme on dit chez les lettrés qui abondent parmi mes lecteurs.
Rien de tel qu’une petite visite sur Wikipedia pour répondre à cette soif soudaine de connaissance ; « manoir », j’ai de la chance car l’article est plutôt bien documenté. Je vous fais partager mes découvertes… Ne me remerciez pas, c’est tout naturel et ça vous évitera un clic. L’origine du mot d’abord : sans doute un dérivé du mot latin manere qui signifiait « demeurer un certain temps ». Destiné probablement à ne rester vivant sur cette terre qu’un bref instant à l’aune des ères géologiques, un logis dans lequel on « demeure un certain temps » me conviendrait parfaitement !
La suite de la description se gâte un peu… Non pas que j’eusse espéré que l’on appelle « manant » l’occupant d’un manoir (bien que cette extrapolation m’eut arrangé socialement parlant), mais j’apprends que le terme convenable pour désigner l’heureux occupant d’une telle bâtisse est en fait « hobereau ». Ce mot, par contre, ainsi que toutes les connotations qui l’accompagnent ne me plait pas du tout (ressemblance avec « maquereau » ? « tombereau » ?), ce qui complique sérieusement ma tâche. Le hobereau, nous apprend l’encyclopédie, est en fait un personnage d’importance toute relative, un nobliau en quelque sorte, autre mot détestable. Comme le coq dressé sur son tas de fumier, il claironne, plastronne et bouffonne du sommet du parvis qui permet d’accéder à sa noble résidence. Comme le gallinacé tonitruant, il est malheureusement à la merci du premier renard de passage, et sa « brillante carrière » ne pèse guère face aux rétorsions que peuvent exercer à son égard tous ceux qui ont su occuper une place plus proche du firmament céleste. Alors il compense ce manque d’envergure par un paternalisme sucre et sel, veillant au bonheur relatif de son petit peuple, de ceux qui suent sang et eau, quotidiennement, pour payer la plume de son chapeau.
Non, là ça ne colle plus. Moi qui me vante d’avoir des ancêtres n’ayant jamais joué un rôle autre dans la destinée de leurs concitoyens, que de leur fournir du pain, du tabac ou du ciment… Ouvriers, laboureurs, manouvriers, quelques pédagogues mais point de généraux, d’évêques ou de ministres. Manant moi-même, je ne me vois guère distribuer du haut de mon balcon les cacahuètes dont je m’estime redevable à l’égard de ceux qui m’ont aidé à constituer le pécule que j’ai placé en bourse et qui me rapporte bien plus que leurs misérables paniers de carottes. Pareil pour ma compagne, je l’imagine mal distribuant quelques piécettes ou ses hardes usagées à la sortie de la messe le dimanche. Je me suis renseigné, elle n’a rien à voir ni avec les de Wendel, ni avec les Rockfellers. Ça coince donc pour le hobereau.
Difficile de se procurer un manoir quand on n’en possède point. Mon cerveau élimine d’emblée plusieurs hypothèses banales pour en chercher de plus originales. Je n’en trouve guère. Reste éventuellement la solution révolutionnaire classique, celle du croquant qui s’empare avec quelques concitoyens habilement manipulés de la riche demeure du notable local. La suite de la manœuvre est connue : on devient commissaire du peuple ; le manoir devient la propriété du parti dont on est l’unique représentant labellisé sur place. Au début les « concitoyens – camarades » grognent un peu ; il suffit de virer les meneurs au goulag avec l’aide de quelques autres parvenus en les traitant d’irresponsables. Et la vie reprend son cours monarchique. Disons que – dans un premier temps – le monarque local n’a plus ni perruque ni sceptre ; seulement un quelconque « petit livre rouge » et la bénédiction du parti tant que l’ordre règne. « On » a veillé à ce que le service en cristal du hobereau et les flacons les plus prestigieux de sa cave ne soient pas bêtement gaspillés. Cela permet de porter quelques toasts au balcon aux « courageuses travailleuses » qui partent trimer avec ardeur dans la filature du coin, ou « aux héros révolutionnaires » qui s’engagent à se faire trouer la panse dans un quelconque conflit frontalier, à la place de « on ».
Scénario indigne du libertaire que je prétends être. Je relis ce que je viens d’écrire et m’exclame, la chope de bière à la main : « mort aux vils hobereaux et à leurs épouses corrompues ! » Toujours tarabusté par les questions de vocabulaire, j’en viens alors à me demander comment on nomme l’épouse du propriétaire du manoir que je convoite… Un qualificatif charmant et je pourrais reconstruire un récit dans lequel je ne serais plus le « révolutionnaire », couteau entre les dents, prenant possession des lieux au nom du parti, mais, de façon plus romantique, l’amant de la dame patronnesse. Le mari qui la néglige ? Une promenade en barque, un accident de chasse, une arête de saumon dans le gosier… la littérature qu’affectionnent certains de mes lecteurs ne manque pas de brillantes démonstrations.
Malheureusement, mes investigations linguistiques débouchent sur une série de couacs. Si l’on trouve de nombreuses entrées faisant référence aux mots « épouse » et « hobereau », mon lanterneau ne s’en trouve point mieux éclairé car aucun terme ne semble correspondre à mes besoins. Le hobereau a une épouse. Une chose est certaine : elle n’est point hobereaute ni hoberette. Point final. Elle est jeune et fauchée et elle l’a épousé parce qu’il est vieux mais riche. Elle est vieille, moche mais fortunée, et comme le dit une belle citation que j’ai trouvée : « L’épouse si joliment argentée valait bien quelques sacrifices disait le hobereau tout en rangeant son crapouillot dans son caleçon rouge à pois… »
Je ne veux point vous ennuyer trop longtemps avec mes divagations, vous que la question du manoir laisse grandement indifférents, soit parce que vous en habitez déjà un, soit parce que votre morale bien comme il faut vous pousse à ne point désirer ce que vous n’avez pas. En tout cas, devenir l’amant d’une épouse de hobereau, supportant avec peine un veuvage récent, ne résout en rien mon problème existentiel. Il se peut en fait que l’origine de ce trouble soit en fait mon manque d’imagination ou d’ambition sociale. Une démonstration simple… Imaginons que j’aspire à habiter un château plutôt qu’un manoir. Le fil de l’histoire se déroule alors dans une simplicité enfantine : château, châtelain, châtelaine ou… si l’on apprécie la précision des titres, duc ou duchesse, marquis ou marquise, comte ou comtesse… Pourquoi le hobereau seul est-il frappé d’ostracisme et condamné à n’avoir qu’une simple épouse ?
Il est temps d’évoquer le manoir que j’aimerais habiter et dont je n’hériterai jamais, à moins qu’un mécène lisant ce billet ne se décide à faire un geste sérieux pour m’encourager dans mes projets. Merci encore à Wikipedia de me proposer quelques belles illustrations, histoire de me faire rêver cinq minutes de plus. Prenez par exemple, l’élégant petit manoir du XVème, dit « de Fournebello », à Plouargat en Bretagne (image 1 début de chronique)… N’est-il pas charmant ? Une tour ronde, très seyante, quelques belles fenêtres à meneaux, des oubliettes sans doute ! Ah les oubliettes, les douves profondes, l’huile bouillante… Arrêtez Marie-Thérèse je risque l’infarctus ! Je préférerais bien sûr qu’il y ait le chauffage central histoire de simplifier la vie du petit personnel. Quitte à hobereautiser, mieux vaut se lever tranquillement le matin dans une chambre délicatement chauffée plutôt que d’avoir à se précipiter en courant sur ses charentaises et sa doudoune en peau d’ours pour éviter d’avoir les extrémités gelées…
A ce sujet d’ailleurs, j’entends déjà quelques esprits chagrins marmonner que ces vieilles pierres c’est bien difficile à chauffer, qu’il y a sans cesse des travaux, qu’il vaut mieux un solide pavillon de banlieue ou une splendide villa baroque sur la côte basque. Halte là tristes sires, ce n’est point d’une HLM dont je rêve, mais d’un manoir ; un manoir ! Ne commencez pas à me chauffer les oreilles. La révolution est proche et, dans le cas fort probable ou le parti des prolétaires (dont je vais devenir le gourou local) s’emparerait du pouvoir, vous pourriez bien aller tâter du camp de rééducation, espèces d’écologistes abrutis. Les règles qui doivent s’appliquer au commun des mortels ne concernent en aucun cas le godelureau propriétaire d’un manouërrh. Histoire de faire quelques concessions en rapport avec les exigences environnementales, me voilà prêt à renoncer au 4×4 rutilant et à faire mon tour de parc et ma promenade au marché dominical, en calèche, comme au bon vieux temps, pourvu que les chevaux choisis pour l’attelage soient du genre pépère et si possible à boîte automatique.
Je reconnais que cela dégénère petit à petit et qu’on s’écarte d’une attitude socialement correcte. Un manoir, en période de crise ! Je vais donc m’arrêter là dans ma quête légitime d’un bonheur absolu et non partagé. Je laisse le Graal à d’autres (ceux qui apparaissent sur la photo avaient plutôt un problème de cheval). Une dernière précision culturelle avant que je vous quitte. Je ne peux en effet passer mon temps à élucubrer ainsi d’utopiques projets. N’étant point hobereau, si je veux qu’il y ait quelques pommes dans ma cave, je n’ai d’autre solution que d’aller les cueillir avec mes petites mains caleuses. Petit retour à l’étymologie, pour terminer, celle du mot « manant » par exemple : eh bien, figurez vous que je n’étais pas si loin de la vérité que cela : « manant » a la même étymologie latine que celle du « manoir » – objet de toutes mes convoitises. Il y a bien un lien entre les deux mots. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le manant était un paysan fortuné…, mais condamné à demeurer manant. Ne point confondre avec un croquant ou un gueux. Dieu que c’est compliqué : il était plus simple de naître marquis !
Bref, comme disait ma grand-mère lituanienne : « à manant, manant et demi mais de manoir que nenni ! »
2 Comments so far...
la Mère Castor Says:
2 octobre 2012 at 19:18.
Difficile à chauffer ? Pas du tout, il suffit de ne chauffer qu’une pièce et de s’y tenir tout l’hier, toi et ta hoberelle.
Paul Says:
2 octobre 2012 at 20:22.
@ Mère Castor – Certes, certes, une pièce seulement mais quelle tristesse alors qu’il est si plaisant de lire son journal dans le fumoir, de recevoir sa mie charmante dans le boudoir, de voter dans l’isoloir, de regarder la télé dans le bronzoir… Ça en fait des pièces tout ça : celles qui existent déjà et celles qu’il faudrait inventer… D’un côté c’est un peu limitatif de ne discuter que dans le parloir. Quant à manger dans une mangeoire, cela ne siérait guère à des hobereaux de bonne naissance. Merci Mère Castor en tout cas pour ce petit clin d’œil !