30 janvier 2013
Oncle Paul raconte « Oncle Paul »
Posté par Paul dans la catégorie : les histoires d'Oncle Paul; Petites histoires du temps passé .
De l’origine dans le temps du nom d’une série de mes chroniques…
Il est clair que l’Oncle Paul le plus célèbre – bien plus que son modeste cousin de la Feuille Charbinoise – est celui qui racontait de « vraies histoires » dans le magazine « Spirou ». Ce personnage mythique est associé souvent au dessinateur belge Eddy Paape, décédé en 2012. Ce que l’on sait moins c’est que si la série des histoires de l’Oncle Paul a duré si longtemps dans ce journal, c’est que d’autres dessinateurs et scénaristes y ont été associés. Ce que l’on sait encore moins c’est que le premier Oncle Paul conteur de belles histoires était en fait le naturaliste Jean Henri Fabre. Il avait créé ce personnage pour le besoin de la rédaction de ses premiers livres pédagogiques destinés aux enfants et aux adolescents. Ces ouvrages furent réédités jusque dans les années 30 et firent les délices de plusieurs générations de jeunes lecteurs. Une petite recherche sur le web permettra de compléter ce bref historique, en ajoutant d’autres auteurs qui se revendiquent plus ou moins clairement de ce tonton narrateur de faits divers historiques, ayant pour héros des personnages hauts en couleur mais d’une bonne moralité à toute épreuve.
Soyons clair, ma référence à cet Oncle Paul héros de BD n’est que sentimentale. Je n’adhère en rien (ou presque) au caractère hautement vertueux de ses récits et à l’ambiance un peu trop « travail, famille, patrie » qui en caractérise un certain nombre. Je dois reconnaître cependant que, grand lecteur du journal Spirou dans mon enfance, j’ai toujours été fasciné par les histoires complètes qui étaient publiées dans chaque numéro. Leur thématique était extrêmement variée, puisque l’on passait, sans transition, d’un preux chevalier partant en croisade au Moyen-âge, à l’épopée de touristes emportés par des morceaux de glace non loin des chutes du Niagara, en atterrissant la semaine d’après sur le valeureux soldat américain ayant fait plus d’une centaine de prisonniers à lui tout seul pendant la guerre de 1914. Nombreuses étaient également les évocations relatives aux deux guerres mondiales. Les personnages clés de ces récits sont choisis pour leur courage, leur dévouement, leur grandeur d’âme… Nulle place n’est réservée aux gueux, aux révolutionnaires ou aux aventuriers sortant un peu trop des normes. Mon Oncle Paul fantasmé aimerait – lui – vous parler de ceux qui ont toujours été opprimés et ont combattu contre l’oppression : des déportés de la Commune, aux combattants des barricades de Barcelone, en passant par toutes ces femmes qui ont essayé de trouver une place dans une histoire dominée par des héros masculins. Là aussi avec des réserves… Tous les combats n’attirent pas mon attention et, entre une Jeanne d’Arc et Louise Michel, par exemple, mon clavier n’hésite guère ! J’aurais aimé entendre cet Oncle Paul-là raconter les mésaventures du mathématicien anglais Turing, l’un des génies scientifiques de ce siècle, persécuté par le gouvernement pour son homosexualité… Cela ne m’aurait pas déplu que figurent en bonne place les fusillés pour l’exemple de 1917, à côté des Guynemer et autres Baron Rouge…
Quand je liste les chroniques que je me suis amusé à placer dans cette catégorie onclepaulesque, je pousse un soupir de soulagement : mon choix est à peu près conforme à ce que j’énonce. Je m’aperçois aussi que nombre de « mes pages de mémoire » feraient d’excellents articles pour l’Oncle Paul. La BD de Spirou avait besoin de héros : chaque histoire devait être personnalisée. Ce n’est pas le cas de ce que je veux raconter… Bien souvent, on ne peut pas faire référence à un personnage central : un récit est alimenté par une succession de héros anonymes et cela ne lui enlève aucune valeur, bien au contraire…
Les « histoires vraies d’Oncle Paul » font leur apparition dans le journal « Spirou » en 1951. Leur créateur est le scénariste Jean-Michel Charlier. Les dessins sont l’œuvre d’Eddy Paape. Le tout premier récit est intitulé « Cap Plein Sud ». A partir de 1953, seront édités des albums qui regroupent par série les histoires publiées dans le journal. Ces recueils sont très recherchés par les collectionneurs et il est rare d’en trouver en bon état ! Dès le début, Eddy Paape et Charlier ne sont pas les seuls auteurs du savant tonton. Dès le premier album publié, intitulé « Barbe-Noire », on trouve les signatures de futures célébrités, notamment René Follet et René Goscinny. Nombreux sont ceux qui interviendront par la suite : Mitacq, le créateur de « la patrouille des Castors », Gérald Forton (Bob Morane), Hermann (Jeremiah), Jean Graton (Michel Vaillant)… Dans les années 60, Eddy Paape se brouille avec l’éditeur de Spirou (Dupuis) et passe à la concurrence, dans le journal Tintin. Cela n’empêche pas la série de continuer dans Spirou jusque dans les années 70, puis sa parution devient moins fréquente avant qu’Oncle Paul ne disparaisse des colonnes de l’illustré dans les années 80. Depuis 2009 une partie des récits (ceux qui sont rédigés par Octave Joly) sont publiés à nouveau par l’éditeur « La Vache qui médite ». Malgré ce défilé de signatures célèbres, que ce soit pour les dessins ou le scénario, le personnage d’Oncle Paul reste associé à Eddy Paape dans l’esprit de nombreux lecteurs. En contrepartie, on oublie souvent les autres séries qu’il a créées ou auxquelles il a collaboré, notamment « Luc Orient » ou « Marc Dacier ». Pour votre culture personnelle, sachez que Franquin, Will, Jijé, Peyo et Morris (entre autres) sont issus de la même école belge que lui. Eddy Paape est décédé le 12 mai 2012 à Bruxelles.
Petit bond en arrière dans le temps pour vous parler, ou plutôt vous reparler – puisque je lui ai déjà consacré une chronique – du précédent Oncle Paul et de son créateur, Jean Henri Fabre. Là aussi, le contenu des récits est intéressant mais un peu trop limité dans son rayonnement. J’aurais préféré, comme parrain, un Elisée Reclus capable de vagabonder d’un sujet à un autre sans oublier une dimension humaine omniprésente. Mais ne boudons pas notre plaisir : il y a dans « la science de l’Oncle Paul », de beaux passages et de belles images. Fabre est un observateur passionné de la nature. Comment peut-on ne pas l’être d’ailleurs quand on est capable de consacrer plus de 3000 pages à l’étude des mœurs des insectes (« souvenirs entomologiques »), dont près d’une trentaine au seul scarabée « bousier »… Que trouve-t-on alors dans ces récits que l’Oncle fait à ses neveux ? De nombreuses disciplines scientifiques sont abordées : la minéralogie, la botanique, l’astronomie, la chimie… Survivance ultime d’une époque où les « savants », dans leur quotidien, côtoyaient aussi bien la Grande Ourse, le Vésuve, les pommes tombant des arbres ou les secrets des alliages minéraux les plus complexes.
Le volume de « La Science » que j’ai sous les yeux est édité chez Delagrave en 1926. L’auteur est décédé depuis 1915. Il s’agit d’une compilation de textes plus anciens. Le premier ouvrage faisant référence à « Maître Paul » s’intitule « La Chimie de l’Oncle Paul » et date de 1881. Il a été suivi par « Simples récits sur la science » qui date de 1889. Revenons à cette « Science de l’Oncle Paul » : le ton paternaliste de l’introduction m’énerve un peu, mais le contenu des chapitres suivants beaucoup moins. Je ne me reconnais guère dans cet Oncle Paul « excellent homme, craignant Dieu, serviable pour tout le monde, bon comme le pain » pour lequel « tout le village a la plus grande estime ». Le seul élément du portrait qui me conviendrait à peu près serait résumé par « il faut vous dire que l’Oncle Paul sait manier la charrue aussi bien que le livre », tant je ressens le besoin, tout au long de mes journées, de varier les activités et d’exercer mes mains autant que mon intellect… Les histoires sont courtes et tous les événements qui surviennent dans la vie familiale sont l’occasion d’apprentissages modestes mais ô combien efficaces… Il n’y a pas meilleure occasion pour parler du fonctionnement des pistons dans le moteur que lorsqu’on met la main dans le cambouis. Freinet, qui préconisait de sortir des quatre murs de la classe aussi souvent qu’on le pouvait, avait bien compris cette dynamique essentielle. La graine ne germe que dans une terre fraichement labourée et la motivation est le principal engrais de l’apprentissage.
Les thèmes abordés dans les récits sont, comme je vous l’ai dit, variés.On sent quand même la fascination du chercheur pour les insectes : ses neveux fictifs sont instruits du fonctionnement de la fourmilière, de la nidification de l’épeire, ou de la génèse des papillons. Le chapitre 32, consacré à l’ortie et à ses mérites, plairait beaucoup à nos modernes écologistes jardiniers. Les histoires s’enchainent presque naturellement : les poils urticants de l’ortie évoquent ceux de la chenille processionnaire : « Mais voilà un mot qui appelle une histoire… » Le tonnerre, les éclairs et une pluie violente viennent troubler la sérénité de cette après-midi studieuse et obligent nos jeunes apprentis à se mettre à l’abri. Ce n’est point un problème pour le pédagogue qui enchaine sur l’orage, l’électricité et les travaux de Benjamin Franklin. Les dialogues entre le maître et ses élèves donnent le ton de l’ouvrage : Emile, Jules et Claire vont d’émerveillement en émerveillement. Quant à l’Oncle il ne manque pas de ponctuer ses récits de quelques sentences morales bien dans le ton de l’époque. Il y a donc une certaine filiation entre ces deux ancêtres célèbres, celui de Fabre et celui de Paape et Charlier.
Ces deux là sont ils les deux seuls représentants de leur espèce ou ont-ils des descendants ? Le meilleur moyen de faire un peu de généalogie est de regarder ce que nous proposent les moteurs de recherche sur la toile. J’ai donc poursuivi ma petite enquête… L’une de mes premières découvertes, c’est un blog intitulé « les lectures de l’Oncle Paul« , dont l’animateur est Paul Maugendre. Ce site se présente comme une « petite encyclopédie de la littérature populaire », une accroche qui devrait me plaire d’autant qu’un superbe décor de bibliothèque ancienne orne le bandeau de la page d’accueil. Dans les dernières chroniques, les seules que j’ai vraiment pris le temps de lire, les références au roman policier sont nombreuses mais d’autres genres littéraires sont abordés. Les notes de lecture concernant « Colère en Louisiane », me donnent très envie de découvrir ce livre… Ce blog très intéressant ne publie pas que des fiches de lecture mais fait souvent place aux événements d’actualité : salons, expos, concours… Bref, il s’agit là d’un outil tout à fait intéressant pour les amateurs de ce genre de lecture, même si j’ai des doutes sur le fait que cette sélection eut été celle de l’Oncle Paul des origines ! Le rythme de publication est aussi intense que sur « Actu du Noir » que je fréquente assidument. Je n’ai pas vraiment trouvé de références à la « littérature populaire » des origines. Il ne s’agit donc nullement d’un blog qui se prétend exhaustif, ce qui friserait le prétentieux si c’était le cas. En résumé, une belle découverte sur laquelle je reviendrai sûrement dans mon « bric à blog » futur…
La suite de ma recherche est moins convaincante : un téléfilm de Gérard Vergez, en 2000, un autre de Marcel Moussy en 1978, une pièce de théâtre d’Austin Pendleton, mais l’on s’écarte de mon champ d’investigation. Si l’on ajoute une librairie de l’Oncle Paul à Paimpol, d’ouverture récente, je pense avoir fait à peu près le tour de la question… Il ne me reste plus qu’à faire de « mon Oncle Paul à moi », un descendant, non pas conforme au portrait de ses ascendants, mais conforme à l’image quelque peu singulière que je m’en fais : un Oncle Paul pour les Bourses du Travail ou pour les causeries estivales, sous l’ombre d’un tilleul, au milieu des ami(e)s.
5 Comments so far...
JEA Says:
30 janvier 2013 at 15:13.
Après la libération, en Belgique, Tintin était écarté par les rescapés des camps pour cause de collaboration au « Soir emboché » (quotidien de Bruxelles 100% collabo et où Hergé publiait sans état d’âme). D’autant plus qu’alors Hergé plaça de ses amis ex-nazis dans des coulisses protectrices et non démunies de moyens financiers.
Si ce n’était pas Tintin, c’était donc Spirou. Non la capitale mais Marcinelle, en plein pays minier. Avec des débuts aussi variés que ceux du poor lonesome cow-boy Lucky, de Fantasio poète hurluberlu, de Blondin et de Cirage oùles noirs n’étaient plus des demeurés, des enquêtes de Valhardi, et et de l’Oncle Paul.
Tous ceux-là apprirent à une génération à lire (car il y avait des textes, des pages mêmes quasi sans illustrations). A rire. A partir en voyage alors que le monde était un peu partout en ruines.
Mon seul regret, je vous l’ai déjà écrit, c’est d’avoir aussi aimé l’histoire à travers cet Oncle. Sans me rendre compte que j’étais à moitié éclairé. Et que, pour ne citer qu’un exemple, Mermoz fut aussi à la tête d’un mouvement facho…
Paul Says:
30 janvier 2013 at 17:41.
@ JEA – Merci pour cet éclairage complémentaire, vu de Belgique. Quant à nos lectures d’enfance et à nos jeux… Je ne compte plus les « jeux de guerre », la fascination pour Napoléon et autres personnages douteux de l’histoire. Les moyens d’échapper à une certaine vision de l’histoire étaient rares ! En ce qui concerne Mermoz, je connais les zones d’ombre de son histoire… On peut y ajouter Lindbergh entre autre parmi les « héros » ayant mal tourné. Ceux-là ne viendront pas hanter les chroniques de « mon » Oncle Paul.
Oncle Paul Says:
31 janvier 2013 at 14:28.
Bonjour et merci d’avoir parlé mais auparavant visité mon blog. Il ne s’agit pas comme vous l’avez souligné de ma part d’être exhaustif, mais de faire partager ma passion de la littérature populaire. Avec portraits, entretiens et présentations de collections défuntes.
Puis-je me permettre de vous signaler que j’ai écrit un court article sur l’origine du roman de gare.
Bien à vous et à bientôt
PS : mon pseudo d’Oncle Paul est bien sûr une référence au journal de Spirou, mais c’était ainsi que me présentait un animateur radio lorsque je sévissais sur les ondes d’une radio dite libre.
Paul Says:
31 janvier 2013 at 16:57.
@ Oncle Paul, par un descendant virtuel d’Oncle Paul 1 et d’Oncle Paul 2, content de connaître un autre Oncle Paul qui fait du chouette travail en matière de littérature notamment policière. Merci pour les précisions que vous apportez sur le contenu de votre blog. Ma première visite, même si j’ai pris mon temps, ne m’a pas permis de faire vraiment un inventaire détaillé des nombreuses chroniques. Vous pouvez me compter en tout cas parmi vos lecteurs réguliers maintenant. Le roman policier, notamment historique mais pas seulement, est l’un de mes nombreux centres d’intérêt.