8 septembre 2008

Même si c’est plus cher, c’est mieux, donc c’est moins cher…

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive l'économie toute puissante .

Non, je ne vais pas vous parler de prestidigitation, enfin si, d’économie (pseudo science inexacte) et plus précisément de calcul du coût de la vie, selon la méthode qu’utilisent nos gouvernants depuis quelques années… Il n’y a pas besoin d’être diplômé de Harvard pour s’apercevoir que depuis un certain nombre d’années le prix de la vie a augmenté très régulièrement, avec deux pics notoires : l’un au moment du passage à l’euro, l’autre, récente, expliquée, partiellement, par la hausse du coût du pétrole et par la hausse des cours des denrées alimentaires fondamentales. Depuis 2001, certains prix ont augmenté de près de 50 %, d’autres ont pratiquement doublé, d’autres enfin ont connu une hausse sensible, de l’ordre de 20 à 30 %. Chaque année, les statisticiens de l’INSEE nous annoncent une hausse de l’inflation de l’ordre de 1 à 3 % (1,7 % en 2001, 1,9 % en 2002, 2,1 % en 2003… 1,5 % en 2007 chiffres officiels de l’INSEE). Même si l’on cumule ces hausses minimes mais successives, on est loin du compte et on est loin de l’inflation ressentie par le citoyen lambda comme moi. En bref, on a l’impression très nette que tous ces chiffres sont « trafiqués ». Pourtant, les gens qui travaillent à l’INSEE sont des travailleurs comme les autres et ils n’ont pas de raison majeure de nous jouer de la flûte à bec en ce qui concerne l’évolution de notre pouvoir d’achat. La logique du raisonnement implique donc que s’il n’y a pas mensonge c’est qu’il y a erreur, et si cette erreur se répète, c’est que la formule de calcul ou les méthodes utilisées pour construire ce calcul sont erronées. C’est dans cette direction que va se porter notre regard dans la suite de la chronique.

Depuis quelques années un nouveau procédé d’évaluation du taux d’inflation a été mis en place. Ce nouveau procédé, inauguré aux Etats-Unis du temps de ce bon vieux Clinton, a été trouvé tellement performant qu’il a largement inspiré nos propres statisticiens. Entendons-nous bien sur le sens du mot performant : il ne s’agit pas de dire que la nouvelle méthode de calcul est plus juste, mais simplement qu’elle permet de produire des chiffres qui sonnent mieux à l’oreille de nos dirigeants. Ces statistiques ont l’apparence, l’odeur et la couleur de données scientifiques mais elles n’en sont pas vraiment car les paramètres introduits sont assez singuliers ! Trois innovations ont été intégrées aux anciens procédés de façon à pondérer de façon satisfaisante les résultats qu’obtenait le bureau du Labour statistics (leur INSEE locale, là-bas aux USA) et à les rendre plus présentables au grand public. Ces trois paramètres nouveaux portent le nom de « substitution », de « facteur de pondération » et de « facteur hédonique » (vous allez comprendre un peu plus loin ce que l’hédonique, élément de plaisir, vient faire dans un raisonnement aussi aride). Voici quelques exemples simples pour comprendre la portée de ces « innovations » qui n’ont rien d’innocentes. Attention, ce ne sont que des exemples utilisés pour éclairer ma démonstration : toute ressemblance avec des faits réels ne serait que purement fortuite et l’auteur…

Imaginons qu’en 2001, le panier de la ménagère ait comporté du magret de canard, parce que c’était un produit largement consommé et vendu à un prix raisonnable. Les revendications du syndicat des canards élevés en batterie ont abouti après une lutte aussi longue que gavante et ont obtenu comme résultat une augmentation conséquente du prix du magret en 2008. Aucun problème : le magret disparaît du panier et on considère que le consommateur choisit maintenant de préférence le rôti de dindonneau qui vaut, en 2008, pratiquement le même prix que le magret en 2001. Conclusion numéro un : le consommateur type des statistiques de l’INSEE n’est vraiment pas un gastronome. Conclusion numéro deux : sa dépense n’a pratiquement pas augmenté. Vous me suivez ? C’est assez logique si l’on n’y réfléchit pas trop longtemps, puisque le consommateur achète plutôt ce qui est moins cher. L’INSEE n’y est pour rien ; les économistes américains, disciples de Michael Boskin, non plus ; c’est la faute au syndicat CGT des canards gras. Et de un ; la pondération maintenant…

On peut aussi jouer sur la part qu’occupent les différents types de dépense dans notre fameux panier de référence. Là aussi le technicien dispose d’une certaine marge de manœuvre. Soit il répercute dans son échantillonnage la part réelle (telle qu’elle est dans le PIB) du secteur concerné, soit il la pondère. Je m’explique (avec des données fantaisistes d’abord, puis exactes en ce qui concerne les loyers)… En 2001, la part des dépenses de santé est par exemple de 10 % dans le PIB de notre pays. Ces dépenses rentrent donc à hauteur de 10 % dans l’échantillonnage de produits et de services pris en compte dans le calcul d’indice. Imaginons que de 2001 à 2008, le prix des médicaments et des honoraires médicaux ait fortement augmenté (pure fiction). En 2008, la part des dépenses de santé dans le calcul du taux d’inflation sera ramenée à 7 ou 8 % même si elle est restée à 10 dans le PIB. En gros, c’est plus cher, mais vous en achetez un peu moins, donc vous ne dépensez pratiquement pas plus. Disons que, dans une famille comportant cinq enfants (c’est trop), c’est comme si en 2001 on en soignait cinq et maintenant plus que trois (c’est mieux, puis de toute façon il y en avait deux de trop ; il suffit de choisir). A la place des médicaments, le père de famille vertueux achète des balles de ping pong par exemple. La ficelle est grosse, mais si l’on n’est pas familiarisé avec le vocabulaire utilisé par les économistes (encore un jargon volontairement incompréhensible), on ne la voit pas trop. L’exemple des loyers est encore plus frappant et il n’y a point besoin de « forcer » les chiffres qui parlent d’eux-mêmes : en 2007, l’INSEE considère que le loyer pèse à hauteur de 6 % dans les dépenses type des ménages alors qu’en réalité beaucoup y consacrent 30 % et plus de leurs revenus. La forte hausse des loyers ces dernières années n’a qu’une faible incidence sur le calcul effectué…

Le meilleur tour de prestidigitation c’est quand même le troisième, le principe « hédoniste » ou principe du plaisir équivalent s’appliquant principalement aux produits technologiques. En 2001, le téléviseur que vous rêviez d’acheter pour suivre chaque soir « le maillon faible », valait 450 euro (tout nouveau, tout beau, il est frais mon euro !). En 2008, le même téléviseur est devenu complètement ringard, et, pour 450 euro (prix que coûte toujours un téléviseur), vous avez un zinzin à écran plat panoramique vous permettant de zieuter le moindre grain de beauté des spationautes qui présentent la messe de 20 h. C’est le même prix, mais c’est nettement mieux (enfin nettement pourvu que la réception satellite ne soit pas trop perturbée). Dans le cerveau de l’économiste, cela signifie en fait que le prix du premier téléviseur a largement baissé ! Votre téléviseur à 450 euro de 2001 ne vaut plus que (au mieux) 50 euro. C’est le prix auquel vous paieriez votre mastodonte préhistorique s’il était toujours fabriqué ! Son prix a donc baissé, même s’il est impossible de trouver un modèle neuf à ce prix là et s’il faut quand même débourser 450 euro pour avoir un écran de taille comparable. Imaginez que l’on applique ce principe aux téléphones, aux ordinateurs, à l’électroménager ! L’effet sur le coût du panier est sensationnel ! Il permet de minimiser la hausse du coût de la vie de façon plus que sensible. Il ne faut même pas en abuser et ne pas mettre trop de technologie dans l’indice car sinon on va arriver à raconter aux gens qui n’arrivent plus à boucler leurs fins de mois que leur pouvoir d’achat a doublé ou triplé en 7 ans et ça va être dur à avaler.

Même si j’ai (volontairement) quelque peu exagéré dans les exemples choisis, vous vous rendez compte à quel point les experts du Ministère de l’Economie sont honnêtes ! Ils vous donnent les résultats de leurs calculs, point final. Il n’y a point de mensonge, point de corruption, point de promotion liée aux bons résultats. C’est du « brut de fonderie » mais cela démontre en tout cas, à quel point il est possible de manipuler des données économiques. Les chiffres fournis par l’INSEE dont le gouvernement se gargarise régulièrement ne correspondent en rien à la réalité quotidienne que nous vivons. Il est bien évident que les statistiques concernant le chômage et son évolution sont à considérer avec autant de méfiance, même si les techniques de manipulation sont différentes. Une fois encore, on pourrait disserter sur les relations existant entre les experts de salon au service de nos gouvernants et la population dans son ensemble. Deux mondes qui coexistent mais dont les valeurs n’ont rien de commun. Certains alignent des chiffres, d’autres les prennent dans la figure jour après jour. D’un côté on achète des montres à quelques dizaines de milliers d’euro, de l’autre une mère de famille se défenestre pour échapper à l’expulsion de son appartement par un huissier parce qu’il lui manque 500 euro pour joindre les deux bouts… Qu’en pensez-vous chère Madame Lagarde ?

NDLR : parmi les principales sources d’information utilisées, outre le site officiel de l’INSEE, l’excellent article de Ashoka paru en août 2008 sur le site « Oulala.net« , le texte « Indice INSEE, pouvoir d’achat et coût de la vie » publié sur le site du « collectif du 29 mai, ensemble pour construire une alternative au libéralisme« .

3 Comments so far...

François Says:

8 septembre 2008 at 20:15.

Je savais déjà que l’on pouvait faire dire n’importe quoi aux statistiques, mais une telle manipulation me laisse comme deux ronds de flanc. Quelle malhonnêteté!

fred Says:

9 septembre 2008 at 10:00.

bâh quoi ? c’est bien la hausse qui a baissé non ?

leirn Says:

9 septembre 2008 at 14:33.

J’ajouterais qu’il y a 2 ans, des statisticiens de l’INSEE avaient fait grève pour protester contre les chiffres hautement pipeautés du chomage publiés en leur nom. Malgré leurs tentatives de faire parler d’eux, leur grève a été maintenue à un niveau de discrétion rarement égalé. Malheureusement, les statisticiens n’ont pas l’habitude de descendre dans la rue, de se battre avec des CRS ou encore de déverser du fumier devant les préfectures…

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