23 septembre 2013
Le paulownia, arbre impérial
Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .
Elle avait un certain charme, la princesse Anna Pavlowna, fille du Tsar Paul 1er de Russie – le tableau en témoigne. Guillaume, Prince d’Orange, futur roi des Pays-Bas, qui l’avait épousée en 1816 aurait pu plus mal tomber ! La princesse russe dut attendre 1840 pour devenir reine. Le botaniste Philipp Franz Von Siebold, officier de santé bavarois, attaché à la Compagnie des Indes Orientales, devait être sensible à la noblesse du regard de la dame, puisqu’il décida d’attribuer son nom à un arbre inconnu des Européens et découvert au Japon en 1835… A moins que le royal serviteur n’ait été qu’un simple opportuniste, veillant à assurer le bon déroulement de sa carrière puisqu’il était au service des souverains des Pays-Bas et transmettait toutes ses trouvailles, graines ou plantes, au jardin botanique de Leyde ! Nous en resterons à la première hypothèse, plus romantique… et nous allons nous consacrer à l’étude, non pas de la vie de la princesse, mais de l’histoire de cet arbre qui reste relativement peu connu hors du milieu des amateurs de jardin. Beaucoup de personnes le confondent en effet avec un autre arbre décoratif, le Catalpa.
Le paulownia imperialis (puisque tel fut le nom botanique qui lui fut attribué par son découvreur et enregistré par l’Académie) était, et reste un arbre très apprécié dans son pays d’origine, la Chine. Sa notoriété s’est ensuite élargie à tous les pays voisins, Japon et Corée en premier lieu, où il a été largement planté. Parmi les raisons qui expliquent cet engouement, la toute première est tout simplement ornementale. Le spectacle qu’offre, au printemps, un paulownia en fleurs, est tout à fait admirable ! Avant même que ses feuilles ne se développent, l’arbre se couvre, au mois de mai, d’une nuée de fleurs violettes, en forme de cloches, assez semblables à celles de la digitale. Cette floraison est éphémère et ne résiste guère aux tumultes climatiques printaniers. Quelques coups de vent, une violente averse, une fraîcheur excessive… et les fleurs se retrouvent au sol. Elles forment alors un tapis coloré, particulièrement plaisant pour le regard. Les grandes feuilles vertes n’apparaissent au bout des branches qu’à la fin de cette hécatombe. Elles se développent très rapidement, cependant que les capsules contenant les graines remplacent les fleurs. Même lorsqu’il est jeune, le paulownia offre un ombrage conséquent. Il est loin d’être le plus haut des arbres qui poussent sous nos climats, puisqu’il dépasse rarement une quinzaine de mètres. Cependant, ses branches s’allongent très vite et sa silhouette se développe de façon harmonieuse. Au fil des années, ses feuilles, en forme de cœur, prennent de l’envergure. Je me souviens avoir admiré, au jardin botanique de Montréal, quelques spécimens impressionnants de ces feuilles, sur de vieux arbres. Il suffisait d’en poser deux ou trois côte à côte pour qu’elles recouvrent l’assise d’un fauteuil de jardin… Nous ne pouvions faire autrement qu’en planter un, au plus vite, dans notre parc.
Le paulownia est donc originaire de l’Extrême Orient ; on le rencontre, à l’état sauvage, en Chine centrale et méridionale et en Corée. Il a été importé ensuite au Japon, où l’on a découvert très rapidement ses nombreuses vertus. Outre la beauté de l’arbre, c’est la qualité particulière de son bois qui a séduit les ébénistes japonais. Le bois est tendre, donc facile à sculpter, léger, et d’une coloration légèrement grisée et plutôt originale. Dans les temps anciens, au pays du Soleil Levant, on plantait un paulownia à la naissance d’une fille. Lorsqu’elle se mariait, on abattait l’arbre et on se servait du tronc pour fabriquer un coffre à kimonos. Le bois du paulownia est très léger, conséquence logique d’une croissance rapide. Il brûle difficilement ce qui est à la fois un inconvénient et un avantage. Du coup on l’utilisait et on l’utilise encore massivement dans la construction. Croissance rapide, c’est une qualité qui ne peut qu’intéresser les entrepreneurs dans une société où tout doit être fini avant même d’être commencé. Du coup, le Paulownia, comme l’Eucalyptus (arme de reboisement massif avais-je intitulé une chronique consacrée à cet arbre) est planté massivement en Chine, de la même manière que le peuplier chez nous, pour faire de la pâte à papier ou du bois d’œuvre. La superficie des plantations dépasserait un million trois cent mille hectares. L’Australie également s’intéresse de près à cet arbre. Tout cela n’est guère romantique et présage d’un avenir bien triste avec toutes ces forêts en monoculture.
Cela n’empêche pas l’arbre d’avoir conservé une image prestigieuse, que ce soit en Chine ou au Japon. Au pays du soleil levant, le paulownia (la silhouette de l’arbre ou la feuille), présenté sous forme de bijou, est une distinction honorifique. L’arbre impérial figure sur la pièce de 500 yen, et sur les armoiries du cabinet du premier ministre. Quant aux coffrets à kimonos, on n’en trouve plus guère que dans les armoires de grands-mères ou les boutiques de luxe.
Dans l’Empire du Milieu, c’est l’impératrice dont le destin est lié à l’arbre, par le biais du phénix. L’oiseau représente la magnificence et la toute puissance impériale. Voici l’histoire que conte à son sujet, le célèbre poète Zhuangzi : « le phénix vola de la mer du Sud à la mer du Nord, sans se percher ailleurs que sur des paulownias, et sans manger autre chose que des pousses de bambou. » On imagine difficilement la demeure de l’impératrice se dressant ailleurs que dans un parc dont les allées sont bordées par cet arbre gracieux. Ce lien entre le pouvoir impérial et l’arbre aux multiples clochettes bleues lui donne une place de choix dans les traditions de l’Empire du Milieu. Les vertus du paulownia sont innombrables dans la sagesse populaire chinoise : il est censé avoir des pouvoirs magiques, entre autres la capacité de préserver la santé et la beauté. De quelle manière ? Nul ne le sait précisément… Laissez moi imaginer que ce soit tout simplement par le biais d’une sieste prolongée à l’ombre de son feuillage, dans les bras d’un prince ou d’une princesse, amoureux de verdure ! Malgré toutes ces légendes, il ne semble pas que le paulownia soit utilisé de façon conséquente dans la pharmacopée traditionnelle chinoise. Mais dans ce domaine, l’étendue très restreinte de mes connaissances ne me permet en aucun cas d’être trop catégorique…
En Chine, le bois de paulownia avait également de nombreux usages traditionnels. Il servait par exemple à fabriquer certains instruments de musique comme la Cithare chinoise (cithare Guzheng). Un exemplaire très ancien (remontant à la dynastie des Han) est exposée au musée Guimet. L’instrument possède plusieurs timbres et permet d’exprimer aussi bien la mélancolie que la sérénité grâce à une large palette de sonorités.
Le bois apparait également dans nos magasins de bricolage ou de « loisirs créatifs », sous forme de blocs-portes (usage auquel il ne me semble guère adapté vu sa légèreté) de petits meubles ou de multiples coffrets « à décorer soi-même ». Inutile de préciser que tous ces objets arrivent directement de Chine ou des pays voisins. Si vous souhaitez que l’Impératrice de Chine ou le Phénix veillent sur votre dernier sommeil, vous pouvez aussi faire l’acquisition d’un cercueil réalisé à l’aide de ce bois. N’espérez pas pour autant faire des économies. Ce n’est pas parce que l’arbre pousse vite que le bois est bradé sur le marché européen !
Quelques précisions botaniques… L’arbre appartient aux scrofulariacées, une famille proche des solanacées (la tomate, vous connaissez ?), qui comporte plus de 3000 espèces de plantes dans son catalogue, mais peu d’arbres. En Europe de l’Ouest, on connait un bon nombre de membres de la famille : digitale, bouillon blanc, Véronique, muflier…, par exemple sont courants dans notre environnement. Le Catalpa, arbre avec lequel on confond souvent le Paulownia appartient par contre à la famille des Bignoniacées.
Comme beaucoup d’autres arbres utilisés pour le reboisement, le Paulownia n’est pas difficile en ce qui concerne le choix du sol. Bien qu’il ait une préférence pour les terrains plutôt acides, il s’adapte facilement à n’importe quel biotope. Il résiste au froid, mais n’apprécie guère les hivers trop humides, à moins d’être planté dans un sol bien drainé. Certes il faut un peu de place pour pouvoir planter un Paulownia, mais si vous avez cette chance, plantez en un dans votre environnement proche, vous ne le regretterez pas.
Voilà, j’espère qu’après avoir lu ces lignes vous aurez appris quelque chose. Quant à nous, nous profitons de quelques belles journées d’automne pour nous reposer en Cornouaille, non loin de Pont L’abbé. D’ici quelques jours une petite carte postale de voyage sans doute car nous avons déjà quelques belles découvertes à partager.
3 Comments so far...
fred Says:
27 septembre 2013 at 10:22.
ça ne rigole pas chez les scrofulariacées ! Est ce que les feuilles en décoction peuvent permettre d’obtenir du paulownium ? j’ai ouï dire que ça avait des propriétés astringente ?
gnéé !
Olivier Says:
29 septembre 2013 at 16:41.
Moi, je préfère les Bignoniacées, ça commence comme « biniouse » qui veut dire « bière » par chez nous.
À lire nos commentaires, Paul, t’as pas l’impression de donner du lard à des cochons ? 😉
Paul Says:
29 septembre 2013 at 20:55.
@ Olivier – Meuh non, meuh non… Et puis d’abord, donner du lard à des cochons c’est mal. C’est comme ça sans doute qu’on a provoqué la crise de la vache folle. Et puis ensuite, comme j’écris de Bretagne, les porcs ça ne manque pas !