1 octobre 2008

Ôde à la confiture (acte I)…

Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; le verre et la casserole .

« Ah ! les bell’s confitur’s varmeilles !
J’en ai aux peurn’s et aux grosseilles
C’est pou’ les p’tiots
Quand c’est qu’i’s vienront vouér leu vieille
Grand’mèr’ gatieau ! »

(Gaston Couté)

Je ne sais pas encore si je vais vous parler de confitures, comme je pensais le faire initialement, ou si je vais essayer de vous faire partager mon plaisir à écouter le poète beauceron Gaston Couté, dont les textes ont été repris, et parfois mis en musique, par divers interprètes. Ce p’tit gars écrivait, il y a un peu plus d’un siècle, des poèmes qui vous chamboulent la tripe ou vous égaient le mirliton. Confiture, confiture, confiture… à force de répéter ce mot, la poésie ritournelle de Couté chantée par Gérard Pierron s’est installée dans ma tête et ne la quitte plus. Alors je vais faire quelques acrobaties et vous parler un peu des deux !

C’est amusant, quand on connaît bien l’œuvre de Couté, ses textes graves sur l’âpre lutte des pauvres gens pour la survie, la mort, les horreurs de la guerre… de découvrir, au milieu d’un ensemble plutôt sérieux, cette chanson divertissante, « Grand-mère gatieau », traitant d’un thème assez léger. C’est amusant, mais ce n’est pas étonnant car ce qui ressort avant tout de l’œuvre de ce poète génial et cependant marginal (sans doute à cause de ses opinions politiques malséantes) c’est le respect et l’amour qu’il porte aux humbles gens de son pays. La poésie de Couté épouse, strophe après strophe, mot après mot, ce milieu populaire essentiellement rural qui a été le sien pendant une bonne partie de sa vie. Couté, c’est le poète des grands chemins, la voix des « gars qu’ont mal tourné » parce que, comme lui, ils n’avaient pas d’argent, pas de biau costume pour sauver les apparences, et qu’en plus ils se permettaient de critiquer ce ramassis de notables et de faux-culs qui constituait la bonne société de son époque. Etre le reflet du quotidien de ce monde rural dans lequel il évolue, c’est représenter non seulement les difficultés de la vie, les peines et les souffrances, mais aussi les rares moments de félicité et la fierté du labeur accompli. On trouve tout ça chez Couté, et les confitures y ont leur place.

La bonne odeur de la confiture en train de cuire, les parfums de mûre, de prune, de framboise qui s’échappent de la grosse marmite, ça ne vous rappelle rien ? Moi, ça me replonge dans mon enfance et ça fait partie des rares souvenirs qui restent bien clairs dans ma mémoire. Mes parents allaient parfois passer une semaine ou deux en « maison familiale ». Ce n’était pas trop onéreux, et le cadre de vie était reposant : pas de ménage à faire, que des balades, le changement d’air et des animateurs pour s’occuper des gamins que l’on n’avait plus dans les jambes. Ce n’étaient pas des « center parks » ou autres « villages vacances familles » comme à présent, où l’on vous offre une foultitude de loisirs organisés, du sauna au cricket en passant par l’équitation ou le poker. C’était simplement une structure d’hébergement où l’on était débarrassé pour quelques jours des soucis du quotidien. Le cadre était joli et on se débrouillait pour s’occuper. Le rapport avec la confiture dans tout ça ? Eh bien j’ai un seul souvenir très net, celui d’une maison familiale, en Haute-Savoie, à St Gervais je crois, où, pour le goûter de quatre heures, nous, les mômes, on avait droit à des tartines de confiture gigantesques. J’étais plutôt grignet à l’époque, et j’avais l’impression que la tartine était aussi grosse que moi. Chaque goûter devait ressembler à un véritable combat : l’enfant contre l’ectoplasme sucré. En ce qui me concerne, j’étais à peu près assuré de la victoire et, mon dieu, quel régal !

Les confitures, je les retrouvais bien sûr à la maison ou chez mes grands parents. Le goûter était traditionnellement sucré et la confiture était bien souvent au rendez-vous, car le chocolat, sans être vraiment un produit de luxe (mon enfance ne remonte pas au XVIIIème siècle !), n’était pas abondant. En tout cas, la portion se limitait en général à deux minuscules carreaux, et il fallait bien manger trois ou quatre bouchées de pain avant d’engloutir un petit morceau de chocolat. Moi je faisais le contraire, comme avec le lait concentré dans le café : je mangeais tout le pain d’abord, et le chocolat en entier à la fin… Ma mère préparait les confitures elle-même : ce n’était pas un produit que l’on achetait, ou alors rarement. Ma grand-mère paternelle avait toujours peur qu’on meure de faim : elle nous en donnait aussi de nombreux pots. Quand on la quittait, le dimanche soir, on repartait en général avec un plein panier de provisions. C’était vraiment une « grand’mèr’ gatieau » ! L’une des confitures que je préférais, c’était la confiture de lait. Celle-là, pour la réussir, il fallait qu’elle cuise longtemps et à tout petit feu. Le jour où nous avons eu un poêle à mazout – gros progrès car il n’y avait plus de charbon à transporter ni de cendres à enlever – ma mère s’est dit que ce devait être le lieu idéal pour faire cette fameuse confiture de lait… Le résultat fut grandiose, mais pas dans le sens où elle l’escomptait : la marmite de lait sucré avait consciencieusement absorbé la bonne odeur du mazout en train de brûler… L’histoire du bol de lait dans une pièce où l’on vient de passer de la peinture fraîche…

Depuis que nous avons un jardin, nous faisons de la confiture pratiquement chaque année. Chose curieuse, nos deux fils n’en sont pas gourmands, et nous n’avons jamais eu besoin de mettre les pots en haut d’une armoire fermée à clé. Les principaux prédateurs de notre précieuse réserve… eh bien c’est nous. Nous avons fait et nous faisons encore toutes sortes de mélanges, surtout au niveau des baies et des petits fruits. Le grand classique de la maison, c’est l’association « framboises-mûres », un vrai régal. C’est ce que j’appelle une « fausse gelée » : on donne un premier bouillon aux fruits (quantité à peu près égale, selon les ressources) puis on les passe au presse-purée, on ajoute du sucre de canne roux, et on fait la cuisson définitive. Celle-ci est rapide si les fruits ne sont pas gorgés d’eau : dix minutes, un quart d’heure au maximum. Et surtout… pas de gélifiant, de sucre « truc », de poudre « machin »… Ces fruits contiennent largement assez de pectine pour donner une confiture onctueuse. Après, on met en pots avec un couvercle que l’on serre bien fort ; on étiquette et on range dans « le placard de la mémé ». On en fait beaucoup parce « qu’on ne sait jamais » avec la crise boursière qui s’installe et on essaie de résister au démon de la tentation qui est un démon aussi attrayant que les vierges du paradis de Ben Laden.

Bon… il faudra deux chroniques au moins, histoire, non pas de faire le tour du sujet, mais de l’effleurer… La prochaine fois, on reparlera un peu plus en détail de Gaston Couté ; on reviendra aussi sur la gastronomie et l’art de « confiturer » ; je vous raconterai où je suis allé acheter des couvercles pour mes pots labellisés « produit authentique du Charbinat ». Enfin, j’essaierai de vous parler de tout ça, sauf si, bien entendu, l’inspiration me guide dans une autre direction. Petit point de détail : les vierges que l’on trouve au Paradis feront l’objet d’une chronique particulière. Bon goûter à tous en attendant !

NDLR : Illustrations et confitures maison, comme de bien entendu, à l’exception de l’affiche de St Gervais et du portait de Couté qui est un dessin de Grandjouan. Inutile de lever le doigt pour demander qui est cet illustrateur : il s’agit d’un dessinateur français qui a collaboré notamment à « l’assiette au beurre » et qui a dessiné pas mal d’affiches sociales. Encore un « anar de la belle époque », celui-là !

One Comment so far...

fred Says:

1 octobre 2008 at 14:37.

c’est depuis que j’ai vu ton impressionnante collection de confiotes que je me lève tôt aux dragonneries ! Mon Hit-parade du moment en confiture : 1) Oranges (façon « anglaise ») 2) Rhubarbe, 3) Figues . Et concernant Gaston COUTé (c’est l’heure du Couté !) je trouve que ce garçon a les joues bien rouges ! Ne me dites pas que ça vient de l’abus de confiture !!!!

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