11 septembre 2013

Gerrard Winstanley et les Diggers

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Philosophes, trublions, agitateurs et agitatrices du bon vieux temps .

Eh bien non ce n’est pas une chronique musicale et nous n’allons pas parler d’un quelconque groupe de Country ou de Rap, bien que le titre choisi puisse y faire penser ! Un coup d’œil sur Wikipédia ne laisse aucune équivoque : « Gerrard Winstanley, né en 1609 et mort le 10 septembre 1676, est un réformiste protestant anglais, adepte d’une forme de communisme chrétien précursive du socialisme. » C’est précis mais un peu bref pour satisfaire la curiosité. Intéressons-nous d’un peu plus près à ce singulier personnage et à ses copains, les diggers, terme anglais que l’on peut traduire par les « bêcheurs » (au sens originel du terme).

 Gerrard Winstanley fait son apparition sur la scène historique du XVIIème siècle anglais le 1er avril 1649, peu de temps après l’exécution du roi Charles 1er. Un groupe d’ouvriers agricoles, dont il fait partie, prend possession des terres en friche à St George’s hill, au Sud-Ouest de Londres, dans le Surrey et décide, en quelque sorte, de les collectiviser – le terme n’est pas vraiment employé à l’époque. Dans l’esprit de ses initiateurs, cette opération, totalement illégale, est la première étape d’un projet plus vaste de réappropriation des terrains agricoles dans l’ensemble de la région, puis sur tout le territoire anglais par la suite. L’objectif est clair : il s’agit d’abolir la propriété privée… La misère est grande parmi les manouvriers – ceux qui ne possèdent que leurs mains pour travailler – et leur survie dépend pour une grande part de la bonne volonté des employeurs éventuels. L’inspirateur et le théoricien de ce mouvement de révolte sensé devenir une révolution sociale, n’est autre que Winstanley. L’homme n’est pourtant pas issu du milieu agricole. Sa biographie est assez mal connue mais il est sans doute d’une origine sociale plus aisée, probablement fils d’un marchand drapier, né à Wigan dans le Lancashire le 19 octobre 1609. Il déménage à Londres en 1630 et devient apprenti dans le commerce des tissus et des vêtements, avant de prendre la succession de son père. Une série de déboires économiques, sans doute liés à la guerre civile qui ravage l’Angleterre, entrainent la faillite et la fermeture de la boutique qu’il possédait à Londres en 1640. Avec l’aide de l’un des membres de sa famille, il s’enfuit dans le Surrey, mais il est complètement ruiné et devient simple ouvrier agricole au service des propriétaires terriens locaux.

 Les informations fiable, relatives à sa vie antérieure à la révolte des Diggers,  s’arrêtent là. D’autres faits sont énoncés mais ne reposent que sur des suppositions. Ce qui est certain c’est que Winstanley est un lettré. Il aime écrire, et s’adonne avec passion à cette tâche. Au moment où se produit le soulèvement des Diggers, il a déjà publié plusieurs écrits dans lesquels il professe des théories peu conformes à celles de la classe dirigeante au pouvoir. Il prône une forme de communisme chrétien dont il énonce quelques règles fondamentales dans le plus célèbre de ses ouvrages « La loi de justice », publié en 1649 juste avant l’insurrection des ouvriers agricoles du Surrey. Les idées qu’il exprime dans cet ouvrage lui sont venues par des extases divines d’après ce qu’il indique à plusieurs reprises dans ses brochures (1). Il est persuadé que c’est la parole de Dieu qui lui a été révélée et qui doit servir de guide aux changements sociaux indispensables pour mettre un terme à la misère et à l’injustice. La propagande pour ces idées doit se faire par la parole, par les écrits mais aussi par le passage à l’acte. Gare à ceux qui ne suivront pas les enseignements divins ; la main du Seigneur s’abattra sur ceux qui acceptent de travailler au service d’autres hommes. Le servage et le salariat doivent être abolis. L’idée communiste ne saurait être discutée puisqu’elle est l’expression d’un commandement divin.  « La liberté c’est l’homme résolu à mettre le monde à l’envers, comment donc s’étonner que des ennemis l’assaillent… la vraie liberté réside dans la communauté de l’esprit et la communauté des biens de ce monde. ». L’emploi du mot liberté peut surprendre dans la bouche d’un homme dont les idées sont inspirées par le commandement divin et présentées comme incontournables. D’un autre côté on peut se dire aussi que d’autres penseurs ou leaders politiques n’ont pas hésité à se gargariser avec le mot communisme !

 L’expérience de cette communauté agraire, guidée par les principes de la morale religieuse, ne va durer qu’un an. Le pouvoir central à Londres ne semble pas la prendre très au sérieux, même si elle constitue un épisode important de la série de révoltes populaires qui vont embraser toute l’Angleterre. Les propriétaires terriens locaux par contre n’apprécient guère la plaisanterie et vont mobiliser leurs ressources pour venir à bout du soulèvement. Au cours de l’été 1649, les Diggers abandonnent St George’hill pour Cobham quelques miles plus loin, en espérant que le seigneur du lieu, John Platt, sera plus compréhensif à l’égard de leurs revendications. Les événements ne se déroulent pas conformément aux vœux des insurgés. John Platt fait démolir les bâtiments qui ont été élevés sur ses terres. Il accuse les colons d’être des fainéants et des ivrognes. Pour répondre à ces calomnies, en décembre 1649, Winstanley publie une adresse véhémente au « Lord et à son conseil de guerre ». Cette brochure est suivie d’une série d’autres, parmi lesquelles un texte incitant l’armée à se joindre au peuple pour abolir le pouvoir royal et celui de ses représentants, ces seigneurs qui oppriment les pauvres gens. D’autres communautés de diggers se créent à travers le pays, mais la colonie initiale, celle du Surrey est définitivement anéantie en avril 1650. Les maisons qui ont été occupées ou construites sont démolies ou incendiées. Gerrard Winstanley reconnait l’échec de cette première tentative mais ne désarme pas pour autant. Dans une autre brochure qu’il publie cette année là, il prend ses distances avec d’autres personnages importants du mouvement des « levellers », notamment John Lilburne et qualifie ses partisans de « true levellers » (vrais niveleurs).

 En 1652, il publie la « Nouvelle loi de la liberté », son dernier ouvrage. Dans ce nouvel opus théorique, il admet que l’avènement du communisme ne sera pas spontané, et propose à Cromwell, le nouveau maître de l’Angleterre, de promouvoir une constitution qui œuvre « dans la bonne direction ». Il semble que notre insurgé, à ce moment-là, ait mis un peu d’eau dans son vin et que sa vision du changement social soit devenue beaucoup plus légaliste. Jusqu’à sa mort qui survient en 1676, il mène une vie beaucoup plus rangée et rejoint la « société des Amis » (les « Quakers ») qui se développe en Angleterre à cette époque. Sa situation sociale s’améliore et il retrouve une certaine aisance financière. Le mouvement des diggers n’aura été qu’un feu de paille, mais il a contribué à l’embrasement de l’Angleterre qui, bien avant la France, va se lancer dans l’aventure républicaine. Certains n’hésitent pas à accoler l’adjectif « libertaire » au communisme prôné par Winstanley. Si l’on tient compte de l’époque à laquelle l’homme a écrit son œuvre, cet exercice ne relève point trop du grand écart, malgré sa dimension religieuse. L’utopiste anglais défend en effet un certain nombre d’idées que l’on retrouvera ensuite chez d’autres précurseurs du communisme : le caractère éducatif et non répressif des lois, la rotation rapide, grâce à une élection annuelle, des fonctionnaires chargés de la planification économique, la distribution des biens produits par tous à chacun selon ses besoins, la suppression des prisons… A cela on peut ajouter l’abolition du mariage, le droit pour les femmes d’être instruites et l’abolition des sanctions qui seront remplacées par des travaux d’intérêt collectif.

 Pour ceux qui voudraient connaître plus en profondeur l’œuvre littéraire de Winstanley je vous incite à parcourir l’étude que lui a consacré François Matheron dans la revue « Multitudes », étude qui est consultable en version intégrale sur Internet.  Je partage le point de vue de l’auteur selon lequel Gerrard Winstanley n’est en rien un penseur fondamental. L’essentiel des critiques qu’il formule à l’égard de la religion et de l’organisation de la société ont déjà été exprimées par d’autres. Ce qui donne un sens à l’œuvre de ce singulier personnage, c’est la capacité de synthèse dont il fait preuve et le langage utilisé dans ses écrits. Le pamphlétaire s’adresse à la fois à ses concitoyens auxquels il transmet sa vision du monde et aux possédants qu’il incite à accepter un changement sociétal inévitable puisque expression de la volonté divine. On peut trouver de nombreux textes originaux du leader des Diggers sur Internet, mais ceux que j’ai parcourus sont en anglais. Je vous propose un lien vers le blog « Libcom.org » sur lequel on peut trouver le texte de l’adresse à Cromwell cité dans la chronique. Ce blog dont je vous reparlerai prochainement publie plusieurs autres textes intéressants sur les Diggers.
Il existe une chanson, « Diggers song », dont les paroles ont été écrites par Winstanley, puis arrangées et mises en musique par le chanteur folk anglais Leon Rosselson. On en trouve diverses interprétations sur le Web. Une célèbre communauté américaine de San Fransisco a repris le nom de diggers en hommage au précurseur anglais (2). Il existe un nombre relativement important d’ouvrages consacrés à Winstanley, mais la plupart sont écrits en anglais. Un éditeur français, « les nuits rouges » a publié récemment une version française de « la loi de la Liberté ». Pour terminer cet inventaire des hommages, signalons un fim tourné par le cinéaste anglais Kevin Brownlow en 1975 (photo de l’acteur principal en début de chronique) et un festival organisé très régulièrement dans la ville de naissance de Gerrard Winstanley, à Wigan, dans le comté du Lancashire.

Notes : (1) Il est fort probable qu’il ait été inspiré aussi par les idées de John Lilburne, un autre leader important du mouvement des niveleurs.
(2) – Voici ce qu’en dit Wikipédia : « Les Diggers est un collectif contre-culturel anarchiste basé à San Francisco, actif entre 1966 et 1969, animé notamment par Kenny Wisdom, alias Emmett Grogan. Issu en partie de la San Francisco Mime Troup, ce collectif s’est dissous par la suite dans plusieurs projets communautaires, communalistes et écologistes. Ce collectif est précurseur de collectifs actuels tels Food not bombs. »

Addenda bien triste – Cette chronique est plus particulièrement dédiée à mon beau-frère, François Suchod, historien et lecteur assidu de ce blog, décédé le samedi 7 septembre, peu de temps avant que je boucle mes recherches. Connaissant sa passion humaniste pour la justice et son intérêt marqué pour les luttes populaires émancipatrices, j’imagine qu’il l’aurait lue avec plaisir…
Une mauvaise nouvelle n’allant bien souvent jamais seule,  j’apprends quelques heures après la publication de ce billet, le décès de Jean Emile Andreux, l’auteur talentueux du blog Mo(t)saïques, également lecteur et commentateur assidu de La Feuille. Je me sens obligé de lui dédier, à lui aussi, ce texte que je viens de publier, un peu pour les mêmes raisons que pour François.

4 Comments so far...

Paul Says:

12 septembre 2013 at 07:39.

Décidément c’est la pagaille pour les commentaires. Je m’aperçois que le commentaire de Zoë n’a pas été publié. J’espère que d’autres ne sont pas passés à la trappe… Je le reproduis ci-dessous :
« Deux nouvelles très tristes. je ne connaissais pas François mais sa compagne sous son joli pseudo Lavande. je suis de tout cœur avec elle.
J’aimais beaucoup Jean Emile avec qui j’avais des échanges plus réguliers. je suis très touchée de cette disparition. Il aura été d’un courage extraordinaire. Toutes mes pensées pour sa compagne et sa famille. » Zoë

la Mère Castor Says:

13 septembre 2013 at 11:34.

quelques mots pour Jean Emile chez moi.

Lavande Says:

13 septembre 2013 at 15:20.

Coïncidence infiniment triste et émouvante.
François est mon mari.
Lorsque Paul lui a appris la mort de François, Jean Emile a décidé de lui dédier un superbe poème, plein de délicatesse et d’humour, sur « la chaise », fauteuil roulant dont François était depuis toujours et de plus en plus prisonnier, … et Jean Emile l’a publié juste avant de mourir lui-même.
Mystérieuse et belle alchimie des blogs.
J’aimerais tant croire à un au-delà où François et Jean Emile disserteraient à plaisir sur les multiples thèmes qui les passionnent tous les deux, tout en veillant sur nous.

Je recopie ici un texte écrit dernièrement par François:

« J’aurai, je crois, fait preuve tout au long de mon existence d’un certain courage face à l’adversité, et aussi d’une formidable appétence à vivre.
La passion des connaissances et des choses de l’esprit, le spectacle du monde et des êtres, me sont toujours source de plaisirs et d’élévation ; la soif de justice me soulève comme à mes vingt ans, la maturité en plus, les convictions intactes et leur partage avec vous, mes deux «compagnonnes» si chères, mon frère fidèle dans la tourmente et vous mes amis qui m’êtes d’un tel précieux réconfort. »

Paul Says:

13 septembre 2013 at 17:22.

@ Mère Castor – Très beau texte en effet. Ce qui a été dit devait être dit et le silence de Mo(t)saïques va nous peser, nous qui étions des lecteurs réguliers. J’avais promis à JEA une chronique sur la colonie libertaire d’Aiglemont dans les Ardennes. Peinant déjà à boucler les articles pour mon propre blog, je n’ai jamais réussi à finir ce texte. Heureusement, JEA était compréhensif, sachant lui-même à quel point il est parfois difficile d’aller au bout de ses désirs…

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