3 octobre 2008
De la confiture à la poésie… (acte II)
Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel .
Suite de l’épisode précédent où l’on commençait à parler de la poésie de Gaston Couté, l’esprit serein et le doigt dans la confiture… Cet acte I avait cependant un défaut de conception majeur : il partait du postulat que tout le monde connaissait Gaston Couté – ce qui n’est en fait pas le cas. Avant de continuer à m’étaler avec complaisance dans les turpitudes de la confiserie, je vais donc vous parler un peu plus en détail de ce poète beauceron mort en 1911. Je m’appuie, pour cette chronique, sur une brochure de P.V. Berthier republiée en 1980 dans le cadre de la collection « cahiers du CPCA (Centre de Propagande et de Culture Anarchiste) et sur un excellent site internet consacré à Couté que je vous invite à consulter. Vous pourrez notamment écouter un certain nombre de poèmes du « gâs qu’a mal tourné », interprétés par Pierron, Meulien, Robine, Daraquy… parmi d’autres, et trouver les références des enregistrements disponibles.
Gaston Couté est mort jeune, à 31 ans, à l’hôpital Lariboisière à Paris, des suites d’une congestion pulmonaire. Il a été enterré le 1er juillet 1911, à Meung sur Loire. Sa carrière a donc été extrêmement brève, mais cela ne l’a pas empêché de publier un nombre important de textes de qualité. Ses études ne le conduisaient pourtant pas vraiment à la poésie. A l’âge de 17 ans, il est commis de perception à Orléans, tout en commençant à collaborer au journal « le Républicain du Loiret ». La vie de bureau ne lui convenant absolument pas, il part pour Paris en 1898 avec en poche six chansons et ses maigres économies. Il débute au cabaret « Les Funambules », l’établissement dans lequel se produit notamment Jehan Rictus. Voici le portrait que ce dernier dresse de son jeune confrère :
« Couté nous apparut en blouse bleue, sa blouse des dimanches ruraux et des jours de foire passées sur ses biaux habits. Il était coiffé d’un feutre noir et pointu à larges ailes, et c’était à cette époque le petit gars trapu et de teint coloré qui nous arrivait tout droit de sa Beauce… Nous nous trouvions manifestement en face d’un adolescent de génie, qui, à ses dons extraordinaires, joignait déjà une connaissance approfondie du métier… »
L’un des textes qui lui vaut une renommée immédiate, c’est « le champ de naviots » que l’on peut lire dans la rubrique « œuvres » du site internet indiqué plus haut, propos hautement philosophiques et émouvants sur la destinée finale de tout être humain… Couté laisse une large place, dans sa poésie, au patois beauceron qu’il parle depuis son enfance et cela donne un charme incontestable à son écriture.
…Et tertous, l’pésan coumme el’riche,
El’rich’ tout coumme el’pauv’ pésan,
On les a mis à plat sous l’friche ;
C’est pus qu’du feumier à pesent,
Du bon feumier qu’engraiss’ ma tarre
Et rend meilleurs les vins nouvieaux…
Le succès de Couté est rapide et il se produit dans de nombreux autres cabarets : les Quat’z’Arts, le Pa-Cha-Noir, les Noctambules… C’est la « Belle époque » et la vie nocturne parisienne est endiablée. Notre chansonnier-poète est vite entrainé dans cette folle sarabande. Couté est quelque peu grisé par sa réussite, et il est surtout manipulé par ses compagnons de beuverie qui usent et abusent de sa naïveté et de son extrême générosité. Il arrive cependant à s’échapper parfois de cet univers de débauche parisien pour se rendre en province. C’est à l’occasion de ces voyages qu’il écrit sans doute ses plus beaux textes. L’éloignement de la capitale ne l’empêche cependant pas de mener une vie assez tapageuse et il cultive allègrement cette image du « gas qu’a mal tourné » à grand renfort de boisson. Selon Pierre Mac Orlan qui l’a rencontré un jour par hasard à Mehun-sur-Yèvre, petite ville du Cher, « le pauvre Couté menait grand tapage, et n’était sans doute pas ivre que de poésie et d’air campagnard… »
Plutôt que de profiter de sa renommée et vivre « bien à son aise » grâce aux gains relativement importants qu’il réalise lors de ses tournées, Couté préfère la révolte au confort bourgeois. Il a la haine de la loi, de toutes les lois, et n’a de cesse de dénoncer l’hypocrisie de cette bourgeoisie qu’il exècre. Il paraît qu’un soir, avant de se produire sur scène, mécontent du public qu’il avait sous les yeux, il aurait déclaré : « Vous croyez que je vais dire mes poèmes devant cette bande de cons ? » Au travers du texte de ses chansons-poèmes, il traite de toutes sortes de sujets, de la vie malheureuse des prostituées qui vivent derrière la cathédrale (« Idylle des grands gars comme il faut et des jeunesses ben sages ») au tragique destin de l’ouvrier qui fabrique les armes avec lesquelles on le tuera un jour (« le fondeur de canon »). Il écrit des textes sur le braconnage, la lessive à la ferme, le mariage d’une jeune paysanne… Ce dernier poème, « le foin qui presse » est déclamé par Bernard Meulien d’une façon remarquable et vous prend littéralement aux tripes. Le début de l’histoire c’est le récit des festivités d’un mariage :
… »la joli’ marié’ qui s’appresse
En faisant ronron comme eun’ tit’ chatt’ blanche
Qui veut des lichad’s et pis des caresses »…
Son paysan de mari s’aperçoit alors que le ciel noircit, l’orage menace : la fête est finie, le foin passe en premier :
… »Pasque, auparavant que d’et’ dev’nu’ femme,
All’ est devenue eun’ femm’ de pésan
Dont la vie est pris’, coumm’ dans un courant,
Ent’ le foin qui mouille et les vach’s qui breument… »
On n’est pas dans le mélodrame à quat’sous mais dans le récit de la vie de ces gens que le poète connaît bien parce qu’il les a côtoyés (son père était meunier) et ne veut pas les oublier. Dans son ensemble, l’œuvre de Couté est extrêmement pessimiste et ce ne sont pas forcément des poèmes ou des chansons à écouter lorsque l’on a le moral en berne… Mais quelle beauté dans les images utilisées, quel réalisme dans le tableau qu’il dresse de la France à la belle époque !
Couté est un écrivain social, un révolté, un libertaire dans l’âme. Il collabore au journal « la guerre sociale » d’un certain Gustave Hervé, militant anarchiste qui, par la suite, tournera sa veste radicalement en devenant militariste, cocardier et Pétainiste avant l’heure. Mais, à l’époque de cette trahison, Gaston Couté n’est plus : il repose, six pieds sous terre dans le champ de naviots. La guerre de 1914-1918 emporte tout dans son sillage, et elle a bien failli faire sombrer dans l’oubli la centaine de textes poétiques qu’il a écrits. Il s’en est fallu de peu, d’autant que, avant 1914, il n’existait pas de recueil imprimé des œuvres de Couté. Sans le dévouement et l’obstination d’un certain nombre de ses anciens camarades, nous n’aurions sans doute plus en notre possession un tel trésor de la culture populaire. Selon la légende, quelques jours après les obsèques, son père, venu mettre de l’ordre dans ses affaires, aurait tenu ces propos à l’une des connaissances de son fils : » Jamais je n’aurais cru que Gaston avait tant d’amis. Maintenant qu’il est mort, vous pouvez bien me le dire… Mon fils… il avait donc du talent ? «
NDLR : Disques et interprètes sont nombreux. Perso j’aime bien le travail réalisé par Bernard Meulien, mais ce n’est qu’une question de goût personnel et je vous invite à écouter aussi les autres !
3 Comments so far...
Pichnouf Says:
14 octobre 2008 at 12:13.
Bonjour!
J’arrive via le Monolecte sur lequel vous venez de laisser un petit mot encore tiède. Comme ça, par hasard. Moi qui suis pris par l’amour du livre, des mots… et de la Confiture (allégorie des choses simples et vraies), je découvre avec joie votre feuille si bien troussée. Je vais revenir!
Et comme je suis très citations
« J’ai la nostalgie d’une de ces vieilles routes sinueuses et inhabitées qui mènent hors des villes… une route qui conduise aux confins de la terre… où l’esprit est libre… » H.D. Thoreau
C’est à ça que votre page me fait penser.
Paul Says:
14 octobre 2008 at 12:43.
Merci pour ce commentaire. Je suis ravi de vous compter parmi mes nouveaux lecteurs (nouvelles lectrices ?). J’apprécie beaucoup Henri Thoreau. Je viens de lire « désobéir », il n’y a pas longtemps. Je parlerai certainement de cet auteur un de ces jours sur le blog. Cela fait partie des sujets que je garde au chaud pour l’hiver ! (à déguster entre deux tartines !)