15 octobre 2013

Deux musées intéressants, consacrés aux métiers et à leur histoire

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage .

Saint Laurent de la Plaine et Argol, de l’Anjou au Finistère…

Sans vouloir pour autant dénigrer ce qui se fait chez nous, selon l’adage « l’herbe est plus verte chez le voisin », j’ai souvent trouvé, jusqu’à présent, des musées globalement plus intéressants à l’étranger (au Canada par exemple) qu’en France. J’apprécie qu’un minimum d’animation soit proposé autour des collections présentées au public, et ce dans le plus de domaines possible.  Dans notre beau pays, on préfère trop souvent encore impressionner le chaland avec des vitrines bourrées d’objets, des collections imposantes certes, mais dont la consultation finit par être plutôt barbante, d’autant que la signalétique n’est pas de première jeunesse. Bien qu’intéressé par la question, je me suis plutôt ennuyé en visitant le musée du Moyen-Âge à Paris par exemple, alors que j’ai trouvé remarquable le musée des civilisations à Hull.
Des deux musées dont je vais vous parler, l’un est d’un style plutôt classique, mais intéressant de par sa genèse. L’autre traduit une volonté très marquée de vouloir faire évoluer la muséologie classique. Tous deux possèdent des collections remarquables de machines et d’outils anciens, regroupés selon leur usage professionnel. L’un se situe à Saint Laurent de la Plaine, en Anjou, et l’autre à Argol, dans le Finistère.

  Trois choses ont attiré mon attention au musée de Saint-Laurent : la richesse patrimoniale du matériel exposé, l’histoire du musée et en particulier la ténacité de ceux qui l’ont créé, la beauté des bâtiments construits ou rénovés pour présenter les collections (Admirez la charpente sur la première photo !). Tout d’abord, il faut dire que, des deux musées dont je vais vous parler, celui de Saint-Laurent possède la plus importante collection d’outils et de machines, notamment en ce qui concerne le gros matériel. Cet élément là, à lui seul, justifie amplement la visite. La genèse du projet est également passionnante. J’ai acheté à la boutique du musée un petit ouvrage qui retrace les différentes étapes de sa création. Je lui emprunte bien évidemment un certain nombre d’informations pour rédiger cette chronique.

  L’histoire commence en 1968. A l’origine du musée, le rêve un peu fou de deux artisans locaux : Victor Perrault (décédé en 2005), et Abel Delaunay. L’un est charpentier et l’autre forgeron et ils approchent de l’âge de la retraite. Tous deux souhaitent que les outils qu’ils ont utilisés et le savoir-faire qu’ils possèdent soient conservés et valorisés. Il s’agit de montrer aux nouvelles générations que les techniques employées par les anciens témoignaient d’une grande habileté et d’une maîtrise élevée des matériaux. Ils ont donc commencé à enrichir leur collection d’outils, puis cherché un local qui puisse permettre de les exposer au public. Ce projet reçoit le soutien de la municipalité de Saint-Laurent qui met à la disposition de l’association nouvellement créée, un ensemble de locaux en très mauvais état situé au cœur du village qu’il va falloir soit rénover complètement soit reconstruire. Les concepteurs du musée souhaitent alors que les bâtiments qui abriteront les collections, soient eux-mêmes un témoignage des compétences des artisans de la région. Ils choisissent alors le modèle architectural des constructions angevines au XVIIIème siècle. La place centrale du village va retrouver, au fil des années, une fort belle apparence. Si vous visitez le musée, un jour, ne manquez pas de vous attarder à observer les charpentes de ses différentes parties. Une grange a été complètement reconstruite et présente une rue pavée, baptisée « rue des échoppes ». La plupart des matériaux choisis pour reconstituer boutiques ou ateliers sont des matériaux de récupération et l’ensemble, particulièrement réussi, a fort belle apparence. Un seul regret, que tout cela ne soit pas un peu plus animé : on aurait aimé discuter quelques minutes avec la repasseuse ou le forgeron, avant d’aller trinquer avec le marchand de vin ! Il y a bien des animations qui sont proposées, mais seulement de façon ponctuelle et surtout à la haute-saison touristique. Pendant l’année, une large place est réservée aux scolaires auxquels on propose divers ateliers d’activités.

  Pendant une quarantaine d’années, de nombreux bénévoles, des stagiaires aussi, vont travailler à la construction du musée, encadrés par des « anciens » ou des artisans en activité qui vont peu à peu leur transmettre leurs compétences. Chaque avancée du chantier est un véritable combat à mener, pour trouver les financements, pour motiver les bonnes volontés, et parfois pour vaincre les difficultés internes à l’équipe, la vision de chacun des participants n’étant pas forcément la même que celle du voisin. En ce mois de septembre 2013, lors de notre visite, nous avons pu voir le résultat impressionnant de ce labeur. Les ressources mobilisées sont considérables. Un vaste local est réservé à des expositions temporaires. Celle que nous avons pu visiter était consacrée aux travaux de charpente réalisés par des Compagnons à l’occasion de l’obtention de leur diplôme. On déborde largement le cadre des traditions artisanales en Anjou pour admirer alors de véritables chefs d’œuvre en modèles réduits. On se rend compte alors à quel point le bois est un matériau qui permet une infinité de créations, la seule limite étant la compétence de celui qui réalise les assemblages. Les photos qui accompagnent cet article ne permettent malheureusement pas de se faire une idée de la richesse des collections. Saint Laurent de la Plaine ? Un détour incontournable si votre chemin passe non loin d’Angers et des bords de Loire !

 

  Au musée des vieux métiers d’Argol, une animation est proposée tous les jours de la semaine aux visiteurs. L’équipe du musée a su mobiliser un certain nombre de bénévoles, retraités pour la plupart, qui prennent un plaisir évident à venir faire la démonstration des techniques de travail  qu’ils maitrisent, soit parce qu’ils s’y sont intéressés pendant leur temps de loisir, soit parce qu’ils les ont pratiquées tout au long de leur vie de labeur. Le nombre de bénévoles mobilisés est suffisant pour que des ateliers soient ouverts chaque après-midi. Nous avons assisté ainsi à des démonstrations de dentelle au fuseau, de broderie, de fabrication de cordes, de vannerie, de sculpture, de tournage sur bois, de ferronnerie… La visite que nous pensions rapide a duré finalement presque trois heures, tant il était plaisant de discuter avec les uns et les autres. Chaque activité est productrice : les artisans présents sur les lieux fabriquent de petits objets destinés à la vente, histoire de payer la matière première, ou profitent des démonstrations pour faire de petits travaux sur commande : réparer un panier, fabriquer un cheval à bascule, refaire l’épissure d’une amarre de bateau… Chacun prend plaisir à expliquer ses gestes et à montrer pas à pas sa démarche. Les personnes présentes sont aimables et patientes, deux qualités nécessaires quand on entend les questions posées par certains visiteurs ! Nous sommes restés un bon moment sur chacun des stands animés alors que nous nous sommes contentés d’un regard, souvent admiratif d’ailleurs, sur les vitrines bien garnies. Le cordier nous a montré comment fonctionne son matériel ; le forgeron nous a expliqué à quelle température correspondaient les différentes nuances de couleur de la barre de métal qu’il exposait à la chaleur du son braséro. Il nous a précisé aussi dans quelles conditions il fallait examiner ces couleurs : seule une obscurité relative et un coup d’œil d’expert permettent de distinguer certaines nuances d’orange plus ou moins rougeoyant.

  La participation de chacun étant plutôt libre, les métiers représentés varient d’une après-midi sur l’autre, mais une grille horaire permet de se faire une idée des pôles qui seront en activité selon les jours de la semaine. Il y a un jour pour le pétrissage du pain, un autre pour la dinanderie… Nous avons été gâtés en tout cas : en plus des activités déjà citées, deux métiers à tisser anciens étaient en fonctionnement, un charpentier de marine travaillait à la restauration d’une barque de pêche ancienne… Que du bonheur ! J’ai beaucoup aimé aussi la présentation de ce que les Canadiens auraient appelé un « magasin général », une épicerie de village offrant aux habitants presque autant de sortes de marchandises qu’un supermarché, la chaleur humaine en plus ; le genre de boutique où l’on repart avec une bouteille de pétrole Hahn, deux bonbons à la guimauve, une poche de clous et une toile cirée. Difficile d’animer un lieu comme ça, mais l’évocation était suffisante pour permettre d’éveiller une certaine nostalgie. Quand j’étais gamin, il y avait au village voisin une épicerie et une mercerie qui rappelaient ce type d’officine, sauf que c’était un peu moins bien rangé et que pour obtenir une boîte de cacao Banania ou une paire de pantoufles il fallait absolument faire appel l’aide de la commerçante.

  Il est clair aussi que la mémoire a tendance à embellir un peu trop ce genre de souvenirs : l’une des deux boutiques du village était aussi le point de rendez-vous des commères et les « cancans » allaient bon train. Gare à celle ou à celui dont les pratiques heurtaient quelque peu les coutumes locales… Peu avant la disparition de la dernière des deux officines, des amis se renseignèrent auprès de la grand-mère qui surveillait la place depuis la porte de sa boutique : ils cherchaient « l’instituteur ». La brave femme, après avoir observé d’un coup d’œil expert leur allure quelque peu « négligée » leur demanda alors : « l’instituteur, celui de l’école, ou celui pour imprimer les tracts ? ». Pour nous qui prenions grand peine à rester discrets sur notre activité militante, ce fut un peu la douche froide.
Certains de ces lieux étaient heureusement un peu plus conviviaux : je me souviens par exemple d’une « quincaillerie » de ce style découverte à Dublin en Irlande, dans les années 70. Nous en sommes repartis, non point avec une boîte de vis, mais avec un violon d’occasion et un disque 33 tours… A la même période, aussi, il y avait, dans un petit village d’Auvergne, un « café-menuiserie » qui nous a fait longtemps fantasmer… A quelle heure la table de la dégauchisseuse se transformait-elle en comptoir ? Qu’advenait-il aux clients qui s’assoupissaient quelque peu après leur énième blanc limé ?

S’intéresser à des musées qui parlent du « bon vieux temps » semble d’un passéisme ringard si l’on en reste effectivement au stade de la nostalgie légèrement pétainisante, du romantisme bon chic bon genre. On peut avoir sur la question le même point de vue que celui que j’ai sur la question du patrimoine en architecture. Les châteaux ont certes été habités par une couche sociale à laquelle je ne voue ni admiration, ni respect, mais ils ont été bâtis par des manouvriers, des artisans, des artistes parfois, auxquels nous devons le respect car ils ont fait de la belle ouvrage. La majorité de ces gens sont nos ancêtres, à nous qui trimons à notre tour pour le plus grand plaisir de profiteurs de plus en plus anonymes. Les métiers anciens avaient un sens que beaucoup d’activités contemporaines n’ont plus. Dans bien des cas, un savoir-faire fragmenté, robotisé, déshumanisé, a remplacé la capacité qu’avaient nos anciens à suivre la fabrication d’un objet de A jusqu’à Z. Une intelligence des mains s’est perdue ou est en train de se perdre. Il est toujours regrettable de perdre quelque chose, que ce soit une langue, une culture ou une technique, surtout, a priori, quand on ne sait pas si ce que l’on met à la place à une valeur supérieure ou non. Sciences et techniques sont devenues complexes, tellement complexes que la vue globale de leur finalité échappe de plus en plus à ceux qui n’en ont qu’une approche partielle. Le carrossier sait se servir d’une visseuse pneumatique mais ne sait plus façonner les tôles ; l’informaticien réalise des prodiges virtuels mais ignore totalement les usages malveillants que l’on peut faire des technologies qu’il conçoit. La rançon du progrès diront certains… Encore faut-il, pour accepter de payer une rançon, que l’otage vaille la peine qu’on fasse un effort pour le libérer !

Notes : deux sites internet pour avoir un complément d’informations. Celui du Musée des métiers à Saint Laurent de la Plaine et celui du musée des vieux métiers vivants à Argol (Finistère).

 

One Comment so far...

la Mère Castor Says:

30 octobre 2013 at 13:43.

J’aime tellement ces lieux qui donnent à voir et toute l’ingéniosité des artisans, et combien aussi le travail était si pénible. Vu la Taillanderie dans le Doubs, ou le Jura, enfin par là, un extraordinaire endroit où l’outil de production a été gardé et le musée en plein air des maisons comtoises, très bien lui aussi. (ringard ? non, pas pour moi. Ou si ça l’est je veux bien l’être aussi. m’en fiche)

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